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A la Comédie, le théâtre fait parler de lui

Publié le 19.01.2016

 


Pour Hervé Loichemol, «rappeler la crise de la parole ou sa dévaluation et demander au théâtre de la retrouver est une tâche urgente». C’est ce qui a guidé Olivier Py dans l’écriture de son Epître aux jeunes acteurs. Un texte destiné à l’origine aux apprentis-comédiens du Conservatoire de Paris, où l’auteur, comédien et metteur en scène, aujourd’hui directeur du Festival d’Avignon, s’est formé. Au lieu de la conférence qui lui avait été commandée, Olivier Py a fait parler la poésie et le drame dans un texte lyrique qui n’en est pas moins un discours critique sur le théâtre. Le metteur en scène et directeur de la Comédie de Genève éclaire pour nous le choix de ces écrits. La pièce est à voir du 19 janvier au 7 février.

 

 

Vous avez déjà monté plusieurs textes d’Olivier Py, Siegfried, nocturne entre autres. Comment votre choix s’est-il porté sur son Epître aux jeunes acteurs?

Je suis tombé sur ce texte tout à fait par hasard, connaissant alors peu les écrits d’Olivier Py. Epître aux jeunes acteurs est un commentaire assez bref sur le théâtre, ses impasses, ses ambitions, ses contradictions. Sa réflexion me semblait intéressante. J’avais déjà monté quelques années plus tôt Lettre au directeur du théâtre, de Denis Guénoun. Les circonstances dans lesquelles le texte avait pris naissance étaient singulières. Le directeur du Conservatoire de Paris, où Py avait étudié, lui avait demandé de faire une conférence. Au lieu de cela, il a écrit ce texte et est venu le dire sur scène. Il en avait fait une sorte de petit spectacle, dans lequel les élèves du Conservatoire lançaient des répliques depuis la salle. Quand il l’a mis en scène plus tard, il y avait deux comédiens seulement sur le plateau. Ça m’intéresse toujours de monter un discours sur le théâtre, critique qui plus est. Parfois, il s’intègre dans des éléments de fiction comme chez Marivaux, Pirandello, Müller ou Brecht. Ici, comme chez Denis Guénoun, bien qu’étant très différent, le texte est le discours en soi.

 

Que dit le texte au fond?

Epître aux jeunes acteurs raconte quelle doit être l’ambition du théâtre. Olivier Py place la barre très haut, ce qui me semble nécessaire. La parole peut sauver, dit-il. Ce n’est pas rien dans une société de plus en plus réduite à un chiffrage général. Rappeler la crise de la parole ou sa dévaluation et demander au théâtre de la retrouver est une tâche urgente. Encore plus aujourd’hui qu’il y a quinze ans.

 

Qu’aviez-vous envie de transmettre par ce texte?

Si on monte un texte, c’est qu’on en aime la langue, ce qui y est dit et la manière dont c’est dit. On n’est pas obligé d’être en accord parfait avec tout ce qui est formulé. Par exemple, le versant religieux d’Epître aux jeunes acteurs ne me dérange pas: je ne suis pas croyant mais je m’intéresse à la croyance. Comme le dit Jean-Loup Rivière, «le théâtre est l’endroit où l’on peut croire sans se faire d’illusions». Au théâtre, selon moi, il s’agit d’y croire. Au fond, je partage l’ambition que Py accorde au théâtre. Quand on passe au plateau, il s’agit de faire entendre la petite musique distillée au fond du texte. J’espère qu’on n’en est pas trop éloigné…

 

 

Comment situer ce texte, entre le poème dramatique et l’essai philosophique?

Olivier Py a fait des études de philosophie, de théologie; il est très marqué par la bible, par la pensée de Levinas sur l’altérité, l’apparition, la disparition. Mais Epître n’est à aucun moment un essai philosophique. Comme dans les œuvres dramaturgiques de Voltaire, on voit que c’est un homme de théâtre qui écrit. Py est un acteur, il a étudié au Conservatoire de Paris, il s’adresse aux apprentis-comédiens. Ce qui ne l’a pas empêché plus tard de monter le texte pour tout public. Py s’adresse à des fantômes, il les fait revenir, il organise un miracle. Bref, beaucoup de choses se passent sur le plateau. Ici, ce n’est même pas une conférence, mais plutôt une non-conférence. Le théâtre est présent en permanence.

 

Comme Olivier Py, pensez-vous que l’objectif soit vraiment de réenchanter le monde?

Je suis partagé sur la question du réenchantement du monde. Au théâtre, Shakespeare opère la transition. Jusqu’à lui, le monde était enchanté: on pouvait le lire comme un livre et le décrypter. Notre rapport au monde a profondément changé, il s’est sécularisé. Appelons ce processus la modernité. Py fait une critique de la modernité, ce qui fait de lui un moderne. En effet, être moderne aujourd’hui passe nécessairement par une critique des erreurs et des impasses de la modernité. Nous devons apprécier les avantages procurés par le processus de sécularisation et, dans le même mouvement, ne pas être aveugles sur les problèmes posés. Le cours du monde actuel est un problème! Ne pas le voir aujourd’hui est criminel. Il ne s’agit donc pas de prétendre retourner à un monde enchanté, à une période pré-shakespearienne. Il ne s’agit pas davantage de réinjecter des doses de réenchantement dans un monde qui ne le serait pas. Il nous faut sortir de l’économisme actuel ou notre relation au monde est monnayable et chiffrée. Il nous faut construire un monde où l’altérité, l’égalité, la liberté réelle des individus, l’imaginaire auront leur place. Il ne s’agit pas réenchanter quoi que ce soit mais de considérer le monde qui nous entoure comme un enchantement. Dire oui à la vie.

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Epître aux jeunes acteurs, du 19 janvier au 7 février à la Comédie de Genève

Rencontre avec Olivier Py le 2 février à 20h15, à l’issue de la représentation.

Réservations et renseignements au +41 (0)22.320.50.01 ou sur le site du théâtre www.comedie.ch

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