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Archipel 2018: tradition versus informatique

Publié le 12.02.2018

 

Depuis 1992, le Festival Archipel organise chaque printemps une série d’événements qui reflètent toutes les formes de la création musicale actuelle dans divers lieux culturels de Genève. Intitulé Ecce Robo, la thématique du festival surfe cette année sur la vague de la robotisation galopante, faisant la part belle aux installations sonores et plastiques, reflets de soixante ans de recherche artistique qui touche à l’intelligence artificielle.

Dédié à ses débuts à la musique contemporaine, le festival a vu sa teneur évoluer au gré des artistes – plasticiens, cinéastes, dramaturges ou encore danseurs, qui se sont emparés du son dans leurs créations, notamment par le biais des outils informatiques. En abolissant les limites entre les arts, la programmation du festival se fait le reflet de son temps à travers 29 créations. Au programme: concerts, installations, spectacles musicaux, ciné-concerts et conférences. Rencontre avec Marc Texier, directeur général du festival depuis 2006.

 

Baptisé Ecce Robo, le festival colle à une actualité brûlante, celle du premier robot humanoïde, Sophia, qui a obtenu la citoyenneté saoudienne en novembre dernier.

Nous voyons partout apparaître des robots de toutes sortes, y compris des intelligences artificielles artistes. Mais si la technologie informatique semble très moderne à nombre d’entre nous, elle est la poursuite d’un lien entre mathématiques et musique qui remonte à l’Antiquité. C’est Pythagore qui remarqua le rapport mathématique de nombres entiers entre la hauteur d’un son et la longueur de la corde qui l’émet, marquant les débuts de la pensée mathématique occidentale. Au Moyen-Age, la musique était enseignée dans le cadre du quadrivium qui était l’équivalent des études scientifiques aujourd’hui. La musique n’a donc pas toujours été perçue comme un art, mais plutôt comme la traduction sonore de l’harmonie mathématique du cosmos.

Au 20ème siècle, l’informatique a été utilisée pour concevoir des formes et des évolutions sonores, comme l’ont fait presque simultanément Iannis Xenakis en France et Lejaren Hiller aux Etats-Unis. Ces premières œuvres nées de l’informatique des années 1950, très rarement jouées, seront à redécouvrir en regard d’une création d’Alberto Posadas, musicien espagnol qui, poursuivant l’approche mathématique de Xenakis, compose à l’aide de fractales.

 

Comment élaborez-vous la thématique du festival, qui prend cette année une forme d’historique?

C’est une sorte d’équilibre qui se dégage, toujours un peu mystérieusement pour moi aussi. Souvent, de gros projets émergent quatre à cinq ans auparavant, qui attirent mon attention, mais je suis également l’actualité de nombreux compositeurs, et tout cela fini par cristalliser autour d’une thématique en lien avec une actualité plus générale, comme cette année les robots et l’intelligence artificielle.

Concernant la répartition des genres, il faut être le plus éclectique possible et montrer la diversité de la musique contemporaine, qui souffre d’une image totalement fausse d’art difficile et exclusif. Or il n’y a pas d’art qui offre une telle diversité esthétique, allant de la musique techno qui flirte plus avec le monde de la danse et la vie nocturne, jusqu’au quatuor à cordes qui est finalement la poursuite d’une tradition vieille de plus de deux siècles. Ce sont cette diversité et cette liberté que nous souhaitons refléter à travers la programmation de cette année. La musique contemporaine est un domaine qui s’est totalement internationalisé. Avant quand on parlait du caractère international de la musique, on parlait surtout de l’Europe – réduite à la France, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie – du Japon, des États-Unis et du Canada. Maintenant les compositeurs viennent de Malaisie, de Colombie, du Honduras, du Viêtnam ou encore d’Asie Centrale, apportant à travers leurs propres cultures des aspects nouveaux à l’histoire de la musique occidentale. Cet aspect cosmopolite de la musique montre que ce n’est plus un art limité à l’écriture traditionnelle, mais un art multiple qui touche tant au monde de la danse, du cinéma et de la vidéo, qu’aux installations plastiques et sonores.

 

 

Volet traditionnel d’Archipel, que nous réservent ces installations particulièrement mises en valeur cette année?

L’ouverture du festival se déroulera dans le cadre extraordinaire des très fréquentés afterworks du Musée d’Art et d’Histoire de Genève, le jeudi 15 mars. Deux installations du plasticien français Arno Fabre, qui a toujours travaillé près des musiciens, notamment à L’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) de Paris, seront à découvrir: une machine-orchestre de trente jambes articulées et chaussées jouant une partition numérique faite de piétinements, frottements de semelles et de claquements de talons, offrira une chorégraphie sonore fascinante par son mimétisme physiologique, tandis que six de ses robots-parleurs à roulettes circuleront parmi les spectateurs.

A l’Alhambra, les traditionnels Salons de musique, qui offrent une nouvelle manière de consommer la musique, accueilleront la venue exceptionnelle des installations du plasticien anglais Martin Riches qui vit à Berlin depuis les années soixante. Durant tout un après-midi, ses étranges sculptures parlantes, chantantes et pensantes seront à découvrir dans un enchaînement libre et déambulatoire invitant au partage. On pourra notamment voir un larynx mécanique chantant qui sera la prima donna d'un Lied de Masahiro Miwa, telle une Olympia moderne.

 

 

Le jeune public n’est pas oublié dans cette programmation, que ce soit à travers le spectacle musical Entre chou et loup qui se tiendra à Am Stram Gram, ou par le biais des actions de médiation que vous menez à travers le festival.

Comme tout festival, nous cherchons à nous adresser à tous les publics. Cette année nous avons mené une grande action de médiation avec le Conservatoire populaire de musique de Genève et la Confédération des écoles genevoises de musique, portant sur un travail autour d’une œuvre du compositeur allemand Karlheinz Stockhausen (1928-2007) intitulée Tierkreis: douze mélodies symbolisant les signes du zodiaque, dans une réalisation pour instruments et danseurs, qui se donnera à la Fonderie Kugler le 20 mars.

Deux ciné-concerts proposent aussi aux plus jeunes de découvrir à l’Alhambra des œuvres qui ont été composées en regard de films muets. D’abord Métropolis (1927) de Fritz Lang sera diffusé en version longue, accompagné par le laptopiste français Xavier Garcia qui interprétera un remix mêlant futurisme d’hier et techno d’aujourd’hui avec des samples de Xenakis et du DJ Richie Hawtin, figure éminente de la musique électronique. Le second, Maudite soit la guerre, réalisé par Alfred Machin à la veille de la première guerre mondiale – premier conflit où la mécanisation des armes eut raison des hommes – sera illustré par une création de la grande compositrice autrichienne Olga Neuwirth, interprétée par l’ensemble 2e2m.

Enfin, tout le monde est invité à se saisir de son smartphone pour s’en servir comme d’un instrument de musique au Concert du dimanche de la Ville de Genève qui se tiendra au Victoria Hall le 25 mars. A travers Geek bagatelles (2016), le compositeur français Bernard Cavanna mêle hardiment et avec humour culture populaire et savante en s’emparant de ce qu’il y a de plus «sacré» au mélomane, l’Hymne à la Joie de la IXe Symphonie de Beethoven, en la faisant jouer par un chœur de smartphones. Les personnes intéressées pourront télécharger une application qui transforme et produit des sons selon les mouvements qu’on fait faire à son téléphone pour se préparer soigneusement avant le concert que ce chœur "smartphonien" donnera aux côtés de L’Orchestre de Chambre de Genève.

 

Quel est votre coup de cœur parmi toutes les créations que présente le festival?

C’est toujours difficile à dire car la plupart sont des commandes que je fais auprès de compositeurs que, pour certains, je suis depuis de nombreuses années. C’est le cas pour Stefano Gervasoni comme David Hudry qui nous projetteront dans un monde où cohabitent timbres et bruits, hommes et robots ouvriers, avec Capriccio ostico pour le premier et Machina Humana pour le second, lequel offrira une plongée au cœur de la vallée de l’Arve et de l'industrie du décolletage, fusionnant les sons de l'orchestre et ceux de l'usine. Citons encore Hèctor Parra, Alberto Posadas ou Núria Giménez-Comas. Née en 1980, elle est la plus jeune des compositeurs à qui nous avons passé commande. Son œuvre intitulée Back into Nothingness, spectacle pour récitante, chœur et électronique, contera l’histoire de Kaspar Hauser, enfant sauvage ayant perdu le langage, dont le destin tragique a ému l’Europe romantique.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Ecce Robo, 27ème édition du Festival Archipel, Genève du 15 au 25 mars 2018.

Renseignements et réservations au +41.(0)22.320.20.26 ou sur le site www.archipel.org

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