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Ascenseur vers le pouvoir

Publié le 03.07.2017

 

De retour d’une bataille victorieuse, le chevalier Macbeth, chef des armées du roi Duncan d’Écosse, et son ami Banquo, rencontrent trois sorcières qui désignent Macbeth successivement duc de Glamis, titre qu’il détient déjà, duc de Cawdor et roi. Dès leur arrivée au château, Duncan récompense Macbeth de son courage et son dévouement, en le faisant duc de Cawdor. Macbeth va alors faire part de son étrange rencontre à son épouse, laquelle le poussera à assassiner le roi pour prendre sa place.

Ecrite en 1606, Macbeth est l’une des plus célèbres pièces de Shakespeare. Œuvre de maturité, ciselée, accessible et immédiate, elle met en exergue la psychologie humaine à travers la mécanique infernale du pouvoir. A l’affiche du Théâtre de l’Orangerie de Genève jusqu’au 16 juillet, le metteur en scène Valentin Rossier, également dans le rôle-titre, nous révèle une version contemporaine aux accents cinématographiques de l’illustre Macbeth. Interview.

 

 

Un mot sur cette coproduction suisso-belge?

C’est un partenariat avec le Théâtre Le Public à Bruxelles, un théâtre créé en 1994 dans les anciennes brasseries Aerts à Saint Josse par Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen. Je les ai rencontrés en 2013 à l’occasion de leur passage au Poche, alors dirigé par Françoise Courvoisier, avec Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce, mis en scène par Michel. Séduit par leur travail, je les ai invités à reprendre cette pièce au Théâtre de l’Orangerie à l’été 2014. Lorsque, lors de nos échanges Michel a appris que j’avais le projet de monter Macbeth un jour, cette idée l’a charmé et nous avons décidé de coproduire ce spectacle avec des acteurs suisses et belges.

 

Vous signez cette adaptation contemporaine de Macbeth, dans quel univers avez-vous plongé ces héroïnes du 17ème siècle?

Pièce précurseur du huis-clos, j’ai choisi de la situer dans la suite d’un hôtel de luxe, dont les chambres ne sont accessibles que par un seul ascenseur qui s’ouvre directement sur la pièce, avec une touche années soixante pour les costumes et les éléments de décors. Les caractères épiques sont atténués au profit d’un culte de la personnalité exacerbée, alimenté par de nombreuses références cinématographiques telles David Lynch ou les frères Cohen, d’un psychologisme maladif comme on en voit toujours plus à la tête de notre monde. Ceux-là même qui s’enferment dans des Trump Tower ou autres suites pour y accueillir, dans de petits salons privés, d’autres puissants, toujours plus avides de tout. Jusqu’à la chute, où cette tour d’ivoire devient un lieu de retranchement propice à la paranoïa.

Macbeth et Lady Macbeth me font penser aux époux Nicolae et Elena Ceausescu, dont l’un est le double de l’autre. Si Macbeth fait germer l’idée du meurtre, Lady Macbeth la concrétise, lui donnant le courage de cet acte.

 

Comment traitez-vous l’occulte qui apparait sous la forme de trois sorcières dans l’œuvre originale?

Par l’intermédiaire d’un Revox, un vieux lecteur de bande magnétique, et par l’ascenseur qui délivrent soit des sortes d’annonces, soit des créatures nocturnes offrant une sorte de projection aux paroles intérieures des personnages. Ceux-ci se créent eux-mêmes leurs propres démons, car l’occulte ne dit finalement que peu de choses, si ce n’est qu’il sera roi un jour, provoquant chez lui le désir, et instantanément, l’idée du meurtre.

 

 

Comment la culpabilité meurtrière gagne-t-elle Macbeth par la suite?

Faire ou ne pas faire est une conjecture pour Macbeth, «seul est ce qui n’est pas encore fait» dit-il. Il a ce besoin d’être roi et il le veut immédiatement. La culpabilité vient après, sur la logique du péché originel, mais elle est plus de l’ordre d’un psychotique qui verse dans une folie meurtrière, soit une paranoïa totale de sa part. Celui qui était aimé et reconnu se retrouve seul avec ses hallucinations, son envie insatiable fait naitre la jalousie, rien qu’à l’idée qu’un jour un autre roi prendra sa place. Il est obnubilé par la postérité et la peur le taraude toujours en la personne de son ami Banquo, qui, d’après les prophéties, ne sera pas roi, mais engendrera des rois, la lignée des Tudor. La descente aux enfers commence lorsqu’il se rend compte que les prophéties ne sont que des jeux de mots. Il en perd le sommeil. Macbeth dit qu’après avoir tué le roi, il entend des voix lui disant qu’il ne faut plus dormir, «Glamis a tué le sommeil, c’est pourquoi Cawdor ne dormira plus», même dans un hôtel de luxe où on paie pour dormir.

 

Macbeth est une pièce exemplaire sur la mécanique pessimiste de l’histoire, comme le souligne le dramaturge Jan Kott.

Quoi qu’il arrive, ce mécanisme se remet en marche, comme dans Richard III. Guerres intestines, invisibles ou économiques, on peut transposer ce phénomène implacable de mécanique dans tous les domaines de la société, comme si on allait toujours vers le chaos de quelque chose. Cela est extrêmement bien explicité dans Macbeth qui se déploie comme un conte avec ces puissances métaphysiques. Macbeth est la tragédie la plus courte de Shakespeare et si on est emporté par un déferlement d’événements, on sent aussi dans cette efficacité une œuvre de maturité de Shakespeare, écrite à l’époque de Jacques Ier et non plus sous Elisabeth. Cette fulgurance se cache derrière des mots qui, lorsqu’on croit en avoir saisi l’essence, percent une nouvelle ouverture sur un autre possible. Un travail très compliqué pour les acteurs et qui pourrait se poursuivre très longtemps. Entre le clair et le noir, on est constamment dans cette ambivalence de la pensée, tout et son contraire, ce sur quoi il joue beaucoup, comme par exemple quand il dit: «les peurs que l’on ressent ne sont rien auprès des terreurs que l’on imagine».

 

Comment qualifieriez-vous l’humour dont fait preuve Shakespeare?

C’est ce que nous appelons l’humour anglais et il touche tant à la sexualité qu’à la cruauté. Sans cesse ambivalent, il joue beaucoup sur les codes. Parfois subtil, parfois potache, le comique est souvent induit par la situation, par l’incompréhension que les uns ont des autres. De toute façon, tout est de conséquence punitive chez Shakespeare, donc on rigole beaucoup de l’absurdité. Comme Banquo qui ne comprend pas pourquoi on lui en veut. Mêmes les bonnes gens se font évincer ou massacrer pour le bien-être d’autres, même si les tyrans sont punis à la fin. Le pire c’est que cette mécanique ne fonctionne plus, aujourd’hui on ne voit plus du tout où se situe le mal exactement, lui permettant de perdurer, et en cela notre époque est peut-être la plus violente.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Macbeth de William Shakespeare dans une mise en scène de Valentin Rossier, à découvrir au Théâtre de l'Orangerie à Genève jusqu'au 16 juillet 2017.

Renseignements et réservations au +41.22.700.93.63 ou sur le site du théâtre www.theatreorangerie.ch

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