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Au TMG, l’acte de raconter et d’inventer

Publié le 29.10.2015

 


En serpentant par les mythes fondateurs d’ici et d’ailleurs, de l’Egypte et la Grèce anciennes en passant par la Genèse biblique, Donne-moi sept jours, à découvrir au Théâtre de Marionnettes de Genève jusqu’au 15 novembre, aborde de façon inédite et ludique les grandes questions de l’humanité. Comment se raconte-t-on le monde? Par quelle voie la parole s’affirme-t-elle au cœur des civilisations et cultures? Acteurs masqués, marionnettes de table loufoques, théâtre d’ombres palpitantes et narrateur facétieux s’allient pour raconter les mystères et étrangetés de la création. Donne-moi sept jours est un hommage ludique à ces facultés qui font de l’être humain une espèce si singulière: l’imaginaire et la créativité. Cette pièce propose ainsi une nouvelle fable mythologique qui raconte la naissance de l’humanité, en s’inspirant librement d’éléments de différents mythes, principalement de mythes grecs. Rencontre avec Domenico Carli, co-auteur de la pièce.

 

 

Que voulez-vous explorer avec Donne-moi sept jours?

Cette aventure débute avec le vœu et l’envie d’Isabelle Matter, qui coécrit et met en scène ce spectacle, de raconter la mythologie aux enfants par le biais de la marionnette. Cette expérience d’écriture a débuté avec Un Os à la noce librement inspiré de l’Antigone de Sophocle et présenté au TMG en 2008. Donne-moi sept jours est aussi une invitation faite aux petits et grands à célébrer notre faculté commune à s’inventer des histoires.

 

Pouvez-vous détailler quelques sources du spectacle?

On relève, parmi nos nombreuses sources, le passage biblique sur Babel, voyant les humains bâtir une tour, dont le projet est interrompu par Dieu. Il brouille leur langue, sème la discorde parmi les hommes en introduisant des langages différents, afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la Terre.

Et il y a aussi, venues de l’Egypte antique, des puissances surnaturelles représentées par des divinités qui s’incarnent sur le plateau entre l’humain et l’animal. Donne-moi sept jours les représente ainsi sous la forme d’un couple de dieux archaïques qui est confronté au monde qu’il a créé et qui l’ennuie par sa perfection même. Les comédiens endossent costume et masque, donnant ainsi voix et présence à ces dieux à figure d’animaux.

 

Donne-moi sept jours s’articule autour d’une intrigue emplie de suspense à la manière d’un thriller…

L’histoire imaginée est une sorte de compte à rebours où les Dieux créateurs de l’univers auraient, par mégarde, inventé une créature à quatre bras et autant de jambes. Ne sachant que faire d’elle, ils sont prêts à la jeter. Prométhée, incarné ici sous les traits de leur mystérieux valet, Prom, demande alors sept jours pour leur prouver que cette créature vaut la peine d’être préservée et qu’elle va les surprendre.

En une semaine, l’androgyne va se scinder en deux, donnant corps à l’homme et à la femme, qui répondent ici à des prénoms populaires, André et Gynette évoquant l’idée de l’androgyne. Ces personnages sont représentés sous la forme de marionnettes de table manipulées à l’aide de «contrôles» placés sur différentes parties de leur corps, ce qui amplifie leur caractère fragile et maladroit. Le spectacle travaille donc sur plusieurs registres, le langage, le visuel, le jeu des comédiens et des marionnettes…

 

Comment se présente l’épisode du «babil» ou bisbille entre les langues?

Côté décor, nous avons inscrit ces deux mondes mythiques, le divin et le terrestre, dans une image connue: la table… Il y a donc la «Table divine» (le Paradis), où tout débute, et le dessous de cette même Table (la vie terrestre), là où débarquent et évoluent les créatures qui dérangent. Parmi elles, des personnages marionnettiques qui peuvent être, par leur esthétique, des chandelles, des statues primitives ou des prototypes d’humains encore inachevés.

Elles révèlent en fait des gens venus d’un autre que le monde de Gynette et André. Si au début de la scène ces gens semblent parler la même langue, l’épisode de la Tour de Babel va les diviser. Chaque personnage aura désormais son langage propre. En créant une scène polyglotte (italien, portugais, russe, allemand…), nous avons essayé d’impliquer plus le public enfantin qui est loin d’être seulement de culture et d’origine francophone. Sa réaction (comme: «C’est ma langue!») est souvent vive, intéressée, participative. C’est donc un Babel et un babil de langues qui s’installent à ce moment sur la scène. Le but est de montrer, avec nos modestes moyens, que toutes ces différences réunies peuvent fonctionner ensemble. Mais que chacun doit faire un effort pour que cette société-là puisse exister, avancer.

Bibliquement et mythologiquement, Babel a été réalisée pour défier les Dieux. Le spectacle transpose cette idée avec des êtres confinés au-dessous de la Table (l’existence terrestre) qui veulent aller voir ce qui se passe sur le dessus, domaine réservé des Dieux. Si la Tour construite à cet effet s’effondre, il reste la volonté de faire entendre la multiplicité des langages. Et du coup, la diversité des envies et désirs de chacun. La naissance de toute civilisation ne s’accompagne-t-elle pas aussi de la manifestation de puissantes curiosités et désirs?

 

 

Vous avez choisi de mettre en abyme l’art même de raconter à travers des histoires multiples. Cette manière de jouer du récit dans le récit se traduit notamment dans l’apparition de la parole.

On passe une sorte de pacte dramaturgique avec le spectateur afin de rappeler l’apprentissage humain de la langue. Ce pacte rappelle que si nous connaissons tous la parole, les créatures humaines qui viennent d’être créées sur scène sont des marionnettes qui n’ont au début de leur existence que des onomatopées, des bruits pour s’exprimer. Par effet de miroir, les enfants peuvent se reconnaître, car eux-aussi, à leurs débuts, balbutiaient, se trompaient, abrégeaient les mots. Il y a ainsi des jeux de mots qui sont drôles pour eux.

 

Et le personnage de Jean?

C’est lors de cet épisode marquant la cacophonie régnant entre les langues qu’apparaît un caractère attachant et poignant, celui de Jean Squelette. C’est au cinquième jour décrit dans la pièce, le défilé des gens. En jouant sur les mots, ils se nomment: Jean Darme, Jean Til. Jean Saisrien, Jean Bondecampagne ou Jean Sais-Rien. Jean Squelette, lui, va vers sa mort, nous amenant vers d’autres dimensions de la mythologie.

Il représente la fragilité de la vie, celui qui reste à la fin et dont on ne tient pas compte, faisant les frais de cette aventure. Il est une sorte de quidam, une figure possible de l’enfance ou de l’artiste, et recueille un peu de l’humble condition humaine, celle des oubliés.

 

Donne-moi sept jours, Théâtre des Marionnettes de Genève jusqu'au 15 novembre 2015
Dès 6 ans
Renseignenents et réservations au +41.22.807.31.07 ou sur le site du Théâtre www.marionnettes.ch

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