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Aux sources de la musique iranienne

Publié le 08.03.2017

 

Du 15 au 18 mars, les Ateliers d'Ethnomusicologie de Genève nous invitent à la découverte de la musique traditionnelle iranienne. Le festival Notes Persanes, musiques d'Iran témoigne de la vitalité et de la diversité de cette musique grâce à des artistes célébrant et réinventant le répertoire classique. Entre l'Alhambra et le Musée d'Ethnographie de Genève, les concerts promettent un riche éventail instrumental et vocal. Le festival programme également du cinéma avec No Land's song (Ayat Najapi) qui traite de la censure que subissent les femmes chanteuses en Iran. Les enfants – et leurs parents - seront quant à eux séduits par le spectacle Il était une autre fois, un voyage au pays du conte iranien guidé par l'Ensemble Tchakavak et Hamid Javdan. La fin du festival célébrera le Nouvel An iranien, Norouz, avec des festivités autour du concert de l'Ensemble Motebassem.

Le festival s'ouvrira avec une conférence intitulée Musique persane, d’hier à demain présentée par le spécialiste des musiques d'Iran et d'Asie intérieure Jean During. Ce passionné, lui-même musicien, nous donne quelques pistes pour comprendre cette musique et nous explique comment le rapport à la tradition classique se traduit chez les artistes du festival.

 

 

Qu'est-ce que le radif?

Le radif est la base de l'apprentissage de la musique persane. C'est une référence qui consiste en un corpus de petites mélodies classées par affinités modales. C'est un répertoire à la fois précis et flexible, que l'élève doit mémoriser en quelques années et par lequel il va intégrer la technique d'exécution et les différents modes. Le travail du jeu instrumental et vocal est un art en soi. Le radif ouvre aussi un peu le potentiel d'improvisation, que l'élève peut avoir ou non. À côté de ce répertoire canonique, il y a une infinité de compositions, d'auteurs connus ou inconnus, qui font aussi partie de la base de la musique persane. À partir de ce corpus, on reconnaît plusieurs orientations qui vont être actualisées par les artistes du festival.

 

Quelle est la place de l'improvisation dans la musique persane?

C'est une dimension importante par rapport à d'autres musiques d'Orient ou d'Asie centrale. L'improvisation n'a jamais fait partie de la formation des musiciens en Iran. Mais on peut dire qu'il y a une tendance chez les artistes iraniens à vouloir être des créateurs, et pas uniquement des exécutants. Il faut toujours montrer que l'on est capable d'inventer, de faire autre chose que ce qu'on a appris, même si ces parties improvisées peuvent être méticuleusement préparées. Par exemple, il y a des musiciens qui connaissent bien le répertoire classique mais qui sont toujours poussés à inventer, innover, bricoler, expérimenter. L'une des ces têtes de file est Hossein Alizadeh qui jouera le 16 mars. En dépit de sa grande connaissance, il est dans une fuite en avant perpétuelle, comme s'il cherchait à s'échapper de la tradition et trouver d'autres chemins. Concernant l'improvisation, il faut ajouter que cela concerne avant tout les instrumentistes. Le chant est le répertoire le plus stable dans la musique iranienne, si on en juge par les enregistrements datant de plus d'un siècle. Les chanteurs son tenus à une sorte de classicisme du fait qu'ils chantent de la poésie classique. Cette dernière a des règles que l’on ne peut transgresser, elle repose sur un rythme implicite, elle véhicule un sens, qui induit un certain éthos. Si l'on commence à mettre des chœurs, des polyphonies ou des vers modernes, on est en totale rupture avec la tradition. On ne peut pas faire n'importe quoi avec le chant. Salar Aghili (17 mars) devrait donner une belle démonstration de chant classique, c'est pour cela qu'il a été reconnu, ainsi que pour sa belle voix.

 

 

Quelles sont les principales évolutions de la musique persane aujourd'hui?

Elle a beaucoup évolué sous l'influence de l'Occident. Il faut dire que la musique persane est par nature limitée à des cercles, à la cour. Elle se jouait à deux ou trois instruments, avec un chanteur. Maintenant, pour rivaliser avec d'autres traditions, on aligne jusqu'à une vingtaine de musiciens sur scène. C'est un phénomène moderne, que l'on retrouve aussi en Asie centrale. Le seul domaine qui était ouvert au public était le chant. Il y a toujours eu en Iran des opéras religieux qui s'adressaient au plus grand nombre. Interpréter un rôle dans ces opéras – que l'on appelle Ta'zie – était considéré comme un acte pieux pour les chanteurs dont certains avaient une très grande renommée. Ce chant-là est un des piliers de la musique traditionnelle iranienne. Un des problèmes que l'on a actuellement avec l'étiquette "musique traditionnelle iranienne" est qu'elle regroupe de nombreux courants. Pour les musiques anciennes, il faudrait dire musique persane, et pour le reste musique iranienne actuelle. On aura probablement lors du festival des concerts avec des tonalités variées, en fonction des influences des musiciens. Aujourd'hui, les artistes sont en train de chercher des arrangements qui peuvent tenir un public en haleine. On est passé d'un style de performance intimiste à la performance publique, du salon à la scène. C'est dans cette perspective que s’inscrivent les musiciennes de l'Ensemble Chakam (15 mars). Elles sont aussi la particularité d'intégrer la cithare qanun qui est réapparue dans la musique persane sous sa forme arabe il y a une décennie, puis qui a été persianisé. C'est le cas de plusieurs instruments orientaux qui faisaient partie de la musique iranienne à certaines époques et qui sont petit à petit réintégrés.

 

 

Qu'est-ce que le contact avec l'Occident a principalement changé?

L'Occident a poussé une tendance à la virtuosité et aux contrastes. Depuis une soixantaine d'années, le niveau technique s'est vraiment élevé. C'est une virtuosité qui prend de la place, qui se montre, alors que, dans le style classique la technique est plus finement intégrée. On a élargi aussi la palette sonore et les effets. En comparaison, le style classique paraît plus homogène. Mais dans toutes ces recherches de nouveautés et d'inventions, une chose très importante est restée, ce sont les intervalles musicaux et les modes. Malgré les mélanges et les synthèses, l'Iran a gardé ses intonations millénaires. Les théoriciens du passé avaient parfaitement défini ces intervalles qui été gardés par tradition orale et aurale. Dans certaines musiques d'Orient, ces nuances très fines été perdues, mais heureusement conservées chez les Iraniens, les Turcs et les Arabes. Cela contribue beaucoup au charme, au mystère et à l'originalité de cette musique traditionnelle.

 

En tant que musicien, qu'est-ce qui vous séduit dans cette musique?

À l'origine, c'était la recherche d'une musique qui vous laisse le champ libre. On apprend et on mémorise beaucoup, mais on se sent libre, même si les règles vous rattrapent toujours. Je crois que c'est lié à l'esprit des Iraniens. Ils ont fait la première révolution du monde musulman, ils voulaient la liberté.

 

Propos recueillis par Marie-Sophie Péclard

 

Le festival Notes persanes, musiques d'Iran se tiendra à Genève du 15 au 18 mars 2017 à l'Alhambra et au Musée d'Ethnographie.

Programme complet et réservations sur le site www.adem.ch

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