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Bois Impériaux: road-movie au POCHE /GVE

Publié le 19.02.2018

 

Qu’est-ce qui a décidé une femme à prendre le volant au milieu de la nuit, son frère assis à côté d’elle? Et comment se terminera ce road-movie en mode thriller présenté au POCHE /GVE jusqu’au 11 mars? Tout porte en effet à l’énigmatique dans Bois Impériaux; des raisons de ce voyage à la relation entre Irina et son frère Johannes, jusqu’à la mystérieuse rencontre avec Serge dans une station-service. Le texte de Pauline Peyrade pousse au questionnement grâce à son écriture de l’invisible et du non-dit. Une matière toute trouvée pour le collectif Das Plateau dont le travail porte, depuis dix ans, sur le dialogue entre les éléments du théâtre avec une attention particulière portée sur les dispositifs techniques. Mettant en place un véritable ballet faisant se rencontrer projections, effets optiques, composition musicale et travail d’acteur, le collectif entrainera les spectateurs dans une aventure immersive de haut vol.

Membre fondatrice du collectif, Céleste Germe met en scène le concept élaboré par Das Plateau afin de faire vivre le texte de Pauline Peyrade. Rencontre.

 

Das Plateau fête ses dix ans cette année, quelle est la démarche théâtrale du collectif?

Nous avons commencé l’aventure avec l’idée de travailler sur un théâtre que j’appelais hors du texte, c’est-à-dire dont le texte n’était pas nécessairement l’élément premier. Cela alors que la tradition théâtrale française était très liée à la littérature et au texte. Les membres du collectif viennent de domaines aussi variés que l’architecture, la danse, la musique et même la philosophie. Nos espaces de déploiement de pensée étaient donc larges. Ce qui nous a caractérisé a été l’envie de faire un théâtre mettant en relation l’image, l’espace et la musique en tant qu’éléments pouvant être aussi importants que l’écriture. Quand le texte est arrivé – aujourd’hui nous travaillons toujours sur des textes –, nous nous en sommes saisis comme d’une matière hétérogène qui se superposait aux autres. Le texte est là pour ses qualités littéraires et sensibles sans que nous n’ayons la volonté de monter ce texte. Ainsi, il garde son autonomie au même titre que la lumière ou les autres matériaux mis en jeu. Nous visons une écriture autonome de chaque discipline dans laquelle tous les éléments conservent leur capacité de choc pour les spectateurs.

 

Que peut-on dire de la matière textuelle qu’offre le texte de Pauline Peyrade?

Le texte de Pauline m’a beaucoup touchée par sa forme. Il s’agit de séquences très courtes qui nous plongent tout à la fois dans un thriller, dans un conte d’aujourd’hui et dans un drame social. C’est la forme qui détient la vérité du texte et, en l’occurrence, celle-ci est étroitement liée à la question du suspens. Pauline écrit des scènes extrêmement cinématographiques et très tendues, c’est une écriture de la rupture. Au-delà de savoir fabriquer cette forme sur scène, nous nous demandons ce qu’elle raconte. Ce texte parle du passé, on attrape Irina au lendemain matin d’une longue nuit passée en voiture avec son frère et tout devient un flashback des dernières heures. Si la forme est hachée et interrompue, c’est qu’elle évoque la mémoire et le souvenir, un rapport au réel qui est transformé et fragmentaire. Nous avons mis en œuvre un dispositif plastique qui nous permet de parler de ces mécanismes. L’écriture de Pauline est très belle, elle dit ce qui ne peut pas se dire, des choses quotidiennes, très banales, mais cette banalité pointe vers un ailleurs. C’est aussi une écriture du silence; elle ponctue son texte de données – vitesse, température, heure, niveau d’essence de la voiture – qui permettent à la profondeur de nous apparaitre sans être nommée. La vitesse varie en fonction de l’état de la conductrice, la température monte, descend… tout cela apparaitra sur scène grâce à un système d’affichage.

 

Pouvez-vous développer le rapport de la pièce au temps?

Le texte couvre une nuit entre 23h et 6h du matin. On commence avec un plan séquence dans la voiture, Irina et son frère avancent sur la route. Mais ce plan est totalement fragmenté durant toute la pièce. Parfois, on a des ellipses et cette continuité est interrompue par les scènes de Serge – une seule scène en réalité découpée en morceaux. C’est là que le rapport au passé est intéressant: on a l’impression d’être dans le présent alors qu’une scène qui se passe plus tard vient interrompre le présent, c’est ce que l’on appelle un flashforward. Cette réflexion sur la temporalité a mené à l’ensemble du dispositif. La pièce de Pauline Peyrade peut être travaillée de manière plurielle: road-movie, thriller… elle devient ici une réflexion sur la mémoire, sur les fantômes qui nous habitent.

 

 

En assistant à cette pièce aux effets techniques très présents, le public, aura-t-il l’impression d’être au théâtre ou au cinéma?

Il y a quelque chose qui a évolué par rapport à cette question ces dernières années. Au départ, il arrivait qu’on entende des réflexions du type «on n’est pas au théâtre» mais je crois qu’aujourd’hui les gens sont habitués à ces dispositifs technologiques qui ont leur place au théâtre. Ce qui m’intéresse est de travailler une circulation dans les sensations. Un moment nous plongeons dans une projection et sommes dans un rapport à l’image et cela peut être bousculé tout d’un coup par un travail sur une lumière ou une musique. Pour moi, le théâtre est le lieu de la réunion des arts et l’espace de la scène permet d’accueillir ce dialogue entre des questions d’espace, de dispositif plastique, de corps et de littérature. Le théâtre est du temps partagé et implique de se demander comment modifier le rapport du spectateur au temps. Tout ce que l’on met en œuvre dans cette pièce est en rapport avec cela. Le temps peut être dilaté ou contracté et ce travail nous permet d’ouvrir des espaces dans lesquels les perceptions se complexifient. Dans une exposition muséale, le visiteur est maître de son temps. Ici, j’en reste maitresse!

 

En quoi le système optique complexe mis en place sur scène vous aide-t-il?

Il démultiplie l’espace et nous permet de circuler d’un lieu à l’autre. Le dispositif est composé de trois filtres superposés: un écran puis un miroir sans tain et un troisième filtre. Ils nous permettent d’entrer profondément dans l’image et dans l’espace, de représenter les sensations d’Irina et les torsions de sa perception. Les personnages circulent en fonction des scènes mais plus Irina est à l’arrière-scène, plus elle plonge profondément dans sa tête, comme dans une sorte d’arrière champ de la psyché. Et, en même temps, on s’enfonce aussi dans la forêt qui devient une sorte de métaphore de notre monde et de sa violence. Dans le même sens, la composition musicale permettra de créer des effets d’apparition et de disparition autour d’Irina dans un processus semblable à celui de la remémoration. Le rapport entre les questions de fiction et de narration est aussi très important pour nous. Notre narration essaie sans arrêt d’associer la fiction à un domaine beaucoup plus abstrait qui convoque des sensations à d’autres endroits. Nous nous demandons comment être à la fois dans l’histoire – car Pauline raconte vraiment une histoire – et dans ce que le théâtre peut raconter autrement que par les mots.

 

Propos recueillis par Jessica Mondego

 

Bois Impériaux est à voir au POCHE /GVE du 19 février au 11 mars 2018. Une proposition du collectif Das Plateau mise en scène par Céleste Germe d’après un texte de Pauline Peyrade.

Renseignements et réservations au +41(0)22.310.37.59 ou sur www.poche---gve.ch

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