Publié le 15.10.2024
Alors que le Concours de Genève anime la cité de Calvin cette semaine avec la demi-finale et la finale du concours de chant – sous la présidence de Patricia Petibon – l’édition 2024 se terminera par la finale de composition ce dimanche 20 octobre.
Les trois finalistes retenus avant l’été - Léo Albisetti, Caio de Azevedo et Sang-Min Ryu - présenteront, avec l’Orchestre de Chambre de Genève, la création de l’œuvre pour alto et orchestre qu’ils ont écrite pour la compétition.
À cette occasion, nous avons pu nous entretenir avec Pascal Dusapin, président du jury de composition.
Pascal Dusapin a suivi de 1974 à 1978 les cours de Iannis Xenakis, qui élargit son horizon aux mathématiques et à l’architecture. En 1986, il aentrepris la composition de son premier opéra, en collaboration avec l’écrivain Olivier Cadiot : Roméo & Juliette, donné en 1989 à l’Opéra de Montpellier et au Festival d’Avignon.
Pascal Dusapin s'est illustré dans la composition d'opéras, il a écrit également sept quatuors à cordes, plusieurs œuvres vocales, des pièces pour piano solo (notamment sept études) et un concerto pour piano, A Quia, ainsi que, de 1991 à 2009, une série de solos pour orchestre : Go, Extenso, Apex, Clam, Exeo, Reverso et Uncut.
L’édition 2021 du festival de création musicale Présences de Radio France lui a été consacrée.
Après le processus de sélection, le jury a dû sélectionner trois finalistes. Combien de partition avez-vous reçues au départ ?
Pascal Dusapin: Beaucoup...peut-être 80 ou 90, je ne saurais plus dire.
Nous avons d’abord procédé à une première sélection avec une quinzaine ou une vingtaine de candidats et candidates.
Ce qui était assez frappant dans le cadre de ce jury - et très agréable - c’est que, lorsque nous avons confronté nos sélections personnelles, nous nous sommes rendu compte que nos choix étaient relativement similaires, à quelques cas près. Je dirais que les deux tiers des choix étaient communs au jury.
Mais seules trois partitions devaient rester pour la finale, donc nous avons débattu et progressivement enlevé des œuvres pour resserrer la sélection.
Nous ne recevons que les partitions et nous les lisons chacun de notre côté, très silencieusement en prenant le temps qu’il faut. Mais après tout, c’est notre métier de lire la musique. Je compose depuis 50 ans, j’entends la musique dans ma tête.
La superposition de toutes les voix de l’orchestre ne rend pas la tâche plus compliquée?J’imagine que c’est une habitude, mais c’est également de cette manière que nous composons.
C’est drôle, car ce sont des questions que l’on ne posait pas aux compositeurs il y a dix ou quinze ans. C’est comme s’il y avait eu une perte de connaissances sur cette pratique.
Je suis un compositeur qui travaille à la table et il m’arrive - c’est d’ailleurs arrivé très récemment - de recevoir un jeune compositeur surpris de ne pas voir de piano chez moi. Cela ne se faisait pas encore quelques années en arrière, et personne ne s’en étonnait.
Aujourd’hui, ils travaillent avec un ordinateur, ils font des simulations orchestrales. Ils ont en partie perdu l’écoute intérieure, cette capacité à écrire la musique directement sur le papier.
Évidemment, le passage de la partition au réel peut recéler des surprises, mais disons que les membres du jury sont supposés être là pour les éviter - au moins les mauvaises.
Il est vrai que, malgré notre habitude, certaines partitions sont plus ou moins claires et permettent une compréhension moins claire.
Si des partitions ne sont pas bien pensées, la musique sonnera confuse et l’écoute intérieure sera moins précise. Sans parler des symboles utilisés qui peuvent parfois être illisibles et incompréhensibles.
Ce sont souvent de très jeunes compositeurs; ils manquent un peu de métier pour exprimer leurs idées, mais c’est une problématique qui a toujours existé et qui n’est pas spécifique à la nouvelle génération.
Oui, mais en fin de compte, la manière de noter un Do# sur une portée reste la même, c’est commun à tout le monde.
Chaque compositeur peut avoir son propre langage, sa propre sensibilité musicale, comme dans n’importe quel art, la perception est subjective, mais en faisant abstraction de nos sensibilités personnelles, nous pouvons tout de même voir si les compositeurs contrôlent harmoniquement ce qu’ils écrivent. Il existe des paramètres objectifs.
Je ne suis pas un professionnel de concours. À vrai dire, je n’aime pas du tout faire cela ; je refusais d’ailleurs de le faire depuis plus de dix ans. J’ai accepté celui-ci car le Concours de Genève m’a gentiment proposé et j’avais la possibilité de faire des propositions pour la constitution du jury.
Par exemple, j’ai demandé - cela avait beaucoup amusé Didier Schnorhk - d’avoir des compositeurs qui ne soient pas des professeurs, pour ne pas avoir des professionnels de l’enseignement, habitués à tourner les pages avec un air entendu.
Je voulais des compositeurs qui n’enseignaient pas, pour avoir une vision la plus fraîche possible, sans sous-entendu professoral.
Exactement. Pas de risque d’avoir un étudiant planqué de façon anonyme comme c’est souvent le cas.
Ce serait plus problématique pour la finale, car pour la première sélection, les partitions sont anonymes. Elles sont simplement numérotées ; aucun moyen de savoir qui a écrit telle ou telle partition.
C’est à la fin, lorsque la sélection est faite, que nous avons les informations des candidats.
Je ne me suis jamais retrouvé dans cette situation, mais j’imagine que c’est une possibilité, effectivement. Cela dit, je pense que c’est une bonne idée d’organiser ce concert, pour ne pas être confronté qu’à une seule œuvre d’un compositeur et avoir une pensée plus large. C’est intéressant.
Officiellement, nous devons récompenser les œuvres de la finale, à savoir celles pour alto et orchestre, mais si ce concert conforte notre choix et permet de récompenser un travail plus global, tant mieux.
Les concertos sont relativement rares dans le répertoire classique, mais aujourd’hui, de grands altistes commandent des œuvres et il existe un nombre croissant de concertos pour alto - mais toujours pas autant que de concertos pour violon, certes.
Vous n’avez-vous-même pas composé de concerto pour cet instrument.Ce n’est pas par manque d’intérêt : j’adore l’alto. Mais par manque de temps, je ne m’y suis pas encore attelé. On m’a proposé plusieurs fois d’écrire un concerto pour alto et orchestre, mais il faut savoir pour quelle raison on le fait.
Pour le moment, ce n’est pas arrivé, mais c’est un instrument merveilleux, c’est un projet qui ne me quitte pas.