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De la cruauté des reines

Publié le 19.04.2016

 


Avec Les Reines (1991), Normand Chaurette est le premier auteur québécois à avoir été produit à la Comédie-Française, en 1997. Cette pièce donne la parole à six femmes de pouvoir, celles du Richard III de Shakespeare, à qui l’auteur redonne vie avec les outils d’aujourd’hui. Ici, les rois sont tenus loin de l’échiquier, et avec eux leurs tristes manigances. Place aux reines qui, blafardes et revêches, hantent les couloirs des châteaux dans le bruissement ténu de leurs royales parures. Le souverain Edouard agonise, Londres est sous la neige et les Reines rêvent de puissance.

Née en 1969, Zoé Reverdin signe un parcours de chorégraphe et de metteure en scène au plus près des textes avec notamment Le Funambule de Genêt (2009), En attendant Godot de Beckett (1998) ou encore Un tramway nommé désir de Tennessee Williams, pièce créée en 2015 au Théâtre de l’Orangerie. Interview.

 

 

Où avez-vous découvert cette pièce de Normand Chaurette?

En 2007, au théâtre de l’Usine de Genève, jouée par les comédiennes de la Compagnie RDH, dont Léa Polhammer retrouve la distribution aujourd’hui. Cette pièce m’avait beaucoup impressionnée par la poésie du texte et par les riches métaphores de cette critique du pouvoir qui en montre tout le ridicule. C’est suite à l’anniversaire des 400 ans de la mort de Shakespeare que cette pièce est revenue au-devant de mes envies de mise en scène. J’ai alors contacté par courriel Normand Chaurette avec qui j’ai eu un échange fort sympathique.

 

Pour ce spectacle, vous avez collaboré avec l’artiste plastique Francesca Reyes-Cortorreal, dont les œuvres seront exposées dans le Foyer du sous-sol pendant la durée du spectacle. Quel rôle a-t-elle eu dans la mise en scène?

Francesca Reyes-Cortorreal est une amie de longue date qui intervient dans tous mes projets. Elle apporte son regard d’artiste plastique, mais surtout un avis extérieur au monde du théâtre. Dans cette même logique, nous avons fait venir plusieurs personnes d’horizons très différents durant la création de cette pièce, afin de recueillir leurs impressions et vérifier la lisibilité de l’histoire. Nous avons veillé à ce que cette pièce, qui par ses références historiques et sa langue poétique en font un objet magnifique, soit accessible au quidam.

 

Et celui de la chorégraphe que vous êtes également?

La musicalité coule dans mes veines depuis 40 ans et compose toutes mes conceptions sans que j’y prenne réellement garde. Si les années nonante ont vu naître des mises en scène à la frontière entre le théâtre et la danse, notamment avec Romeo Castellucci, je dirais que je retrouve la musicalité de la chorégraphie dans l’écriture théâtrale, et qui plus est dans une pièce poétique comme celle-ci, mais on est loin de la chorégraphie à proprement parler. La pièce comporte cependant un passage dansé sur une composition musicale magnifique d’Andrès Garcia qui s’inscrit dans la lignée des compositeurs contemporains comme Goldfrapp: lyrique et actuelle à la fois, la musique d’Andrès Garcia mélange l’orgue et le clavecin au vent qui traverse la tour de Londres en cet hiver 1483.

De la chorégraphe, je pense qu’il subsiste également une dimension de la physicalité, par exemple dans le choix des comédiennes (Léa Polhammer, Pascale Vachoux, Camille Giacobino, Olivia Csiky Trnka, Anna Pieri et Madeleine Piguet Raykov), pour lesquelles je me suis attachée à trouver une réelle densité à travers le rapport du corps et l’esprit du personnage qu’elles allaient incarner.

 

 

Dans quel univers avez-vous choisi de replacer ces six figures historiques féminines de l’Angleterre du 15ème siècle?

Ces femmes sont mères, filles, sœurs ou femmes de rois de l’histoire du Royaume-Uni. Cette facette historique donne du poids aux personnages qui ont traversé les âges pour arriver en 1991 sous la plume de Chaurette. L’auteur, qui traduisait Richard III à ce moment-là, a été fasciné par ces reines à qui il a eu envie de redonner vie en utilisant des outils du XXème siècle comme la psychologie, le surréalisme ou l’évolution de la poésie et de la prose, offrant une parole nouvelle à ces femmes mythiques. Pour les costumes, nous avons choisi de nous référer à ceux de de l’époque élisabéthaine, tout en les traitant de manière décalée et contemporaine, mettant également en évidence la dimension burlesque de ces femmes décadentes qui évoluent dans un milieu abusif de vouloir et de pouvoir.

 

Jusqu’où ces femmes de rois absents sont-elles prêtes à aller dans la course à la couronne?

Assez loin, dans la perfidie! A l’image des femmes de pouvoir d’aujourd’hui, la pièce montre l’influence énorme qu’elles ont sur les hommes et comment elles l’exploitent ou, pour certaines, la subissent. Leurs actes démontrent comment, dans une peur latente, cette attente interminable que le destin se fasse, voit se succéder moments de désespoir et d’emphase dans le cœur de ces six femmes âgées de 12 à 100 ans. Leur histoire trouve également une résonance dans le célibat qu’adoptent les femmes carriéristes d’aujourd’hui, qui choisissent le carcan social plutôt que devenir mère. Pourtant toutes ces femmes vont avoir un funeste destin dans la pièce, la plus chanceuse sera celle qui aura su aller dans l’émotion et habiter la vérité avec lucidité dans cette sombre fin du Moyen-Age où l’Angleterre vit l’apogée de son déclin.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Les Reines, une pièce de Normand Chaurette mise en scène par Zoé Reverdin. Théâtre du Grütli à Genève du 19 avril au 8 mai 2016.

Renseignements et réservations au +41.22.888.44.88 ou sur le site du théâtre www.grutli.ch

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