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Des centaures sur la scène d’Am Stram Gram

Publié le 27.10.2017

 

Théâtre et art équestre se fondent dans Centaures, quand nous étions enfants au Théâtre Am Stram Gram du 3 au 5 novembre. A travers le récit et la mise en scène de Fabrice Melquiot, à la tête de l’établissement genevois depuis 2012, une des créatures mythologiques parmi les plus fascinantes se fait le témoin d’une utopie réalisée, le rêve d’enfance de Camille&Manolo, fondateurs du Théâtre du Centaure, compagnie de théâtre équestre établie à Marseille depuis 1995.

Un collectif d’artistes s’est constitué autour de cette première création de la saison en mettant à profit ses compétences pluridisciplinaires: Mariama Sylla assiste Fabrice Melquiot à la mise en scène, les centaures Camille&Gaïa et Manolo&Indra assurent chorégraphie équestre et jeu, Martin Dutasta, la création vidéo et photo, Nicolas Espagnol-Rizzi, l’univers sonore et musical, Jean-Marc Serre, les lumières.

Le Théâtre du Centaure, c’est une communauté d’êtres qui est emportée dans un rêve dont tous sont devenus acteurs, comme l’est un théâtre, une cie ou toute entreprise, qui, pour exister pleinement, a besoin de ne pas être le rêve d’un seul. «Pourquoi l’étymologie de la poésie nous renvoie au faire? Comment faire dans nos vies pour être en permanente expansion vers cette dimension poétique? C’est ce qui donne du sens à toutes nos actions au Théâtre Am Stram Gram comme au Théâtre du Centaure», introduit Fabrice Melquiot qui retrace avec nous l’histoire véritable de Camille&Manolo.

 

Deux chevaux en chair et en os sur la scène d’Am Stram Gram, est-ce du jamais vu?

C’est effectivement la première fois que des chevaux monteront sur scène, mais Am Stram Gram a déjà reçu plusieurs animaux dont des hiboux lors du spectacle Le hibou, le vent et nous (2013), et si on remonte encore dans le temps, des poules et des cochons faisaient partie du théâtre à sa création. C’est une manière de signifier que dans les habitants du théâtre il n’y a pas que des humains et que tout être est le bienvenu.

 

Avez-vous dû créer des aménagements conséquents dans le théâtre pour les accueillir?

Nous avons cette chance à Am Stram Gram d’avoir une coulisse de 23 mètres de large, ce qui nous a permis de créer deux espaces distincts et agréables pour chaque cheval.

Techniquement, nous avons dû étayer toute la surface du plateau, ce qui a demandé la plus grande préparation. Sur le sol de la scène, comme le cheval est un animal extrêmement peureux, sont installées des plaques de tartan, ce matériau synthétique qu’on trouve sur les pistes d'athlétisme par exemple, recouvertes à leur tour de moquette pour amortir totalement les pas des chevaux.

 

Où avez-vous rencontré ces étranges créatures pour la première fois?

Nous avons fait connaissance il y a une quinzaine d’années. Je donnais un cours d’écriture à Marseille auquel Camille&Manolo s’étaient inscrits. Nous nous sommes découverts des affinités et nous avons travaillé ensemble à la création d’Otto Witte (2009), une pièce pour un centaure et un musicien, puis pour Flux, une installation vidéo créée en 2011.

Depuis notre rencontre nous avons beaucoup questionné l’identité de la compagnie dans son ensemble, nous amenant à écrire le manifeste du Théâtre du Centaure notamment, pour mieux cerner les enjeux de la compagnie, de ce qu’elle cherche à transmettre à travers cette figure mythologique qui me passionne d’un point de vue poétique, mais aussi dans une perspective strictement scénique.

 

 

Dans ce manifeste intitulé 1+1=1, Camille&Manolo disent: «Je ne serai entier qu’en étant toi: le centaure est une promesse. […] Nous avons préféré ce corps qui n’existe pas, plutôt qu’un corps qui existe à moitié». Une philosophie de la poésie et de la sensualité de la vie qui ne vous est pas étrangère.

Je crois que dans notre association, notre amitié, il n’y a pas de hasard. Camille&Manolo avaient lu plusieurs de mes pièces avant notre rencontre, où ils avaient reconnu une parenté dans un certain paysage littéraire dramatique. De mon côté, lorsque j’ai vu leur travail, j’ai découvert un état d’esprit, un "être" au monde, un désir de faire ensemble en sachant pourquoi, qui trouvait des échos profonds et sincères dans ce que j’espère à la fois en tant qu’humain, auteur, spectateur et directeur de théâtre.

1+1=1 est de l’utopie, un rêve d’enfant que Manolo formulait en ces termes: «J’aimerais être un lieu. Un lieu à part. Comme métier je voudrais faire "Château avec artistes et chevaux"». Un rêve devenu réalité aujourd’hui avec le Théâtre du Centaure. C’est pour cette raison que je leur ai proposé de partir de leur biographie, car ce spectacle ne s’inspire pas de leur vie, mais en témoigne. Qui étaient ce petit garçon et cette petite fille, puis ces jeunes adolescents, comment se sont-ils rencontrés à l’université, transportant chacun ses rêveries et les confrontant à celles de l’autre pour aboutir à la construction d’un rêve commun, une hétérotopie, soit la localisation d’une utopie en un lieu physique, comme le décrit le philosophe français Michel Foucault.

Le théâtre pour moi est un art, mais aussi un lieu à habiter au même titre qu’une maison. Tout comme ce rêve d’enfant devenu aujourd’hui une entreprise collective au service de la poésie qui accueille des chevaux et repose sur leur présence. Pour moi c’est un endroit d’écriture extrêmement intéressant à soumettre aux jeunes spectateurs. Comment leur transmettre qu’on ne peut pas exister pleinement dans toutes les dimensions de l’existence, comme croire, aimer, œuvrer, sans restaurer à l’intérieur de soi cet espace d’attente pour la poésie. Et leur montrer comment, à un moment donné, le rêve d’enfant, pour qu’il puisse se réaliser, demande du travail quotidien, de la rigueur et beaucoup d’efforts. Qu’est-ce que la vie permanente à proximité, en empathie et en complicité, avec une autre espèce animale, dont on sent qu’elle est complémentaire de la nôtre? Car dans cette aventure, au-delà de la poésie du spectacle, il y a tout un aspect humain, à commencer par l’inscription d’une telle compagnie dans un environnement social comme celui où il est situé à Marseille, planté entre des barres d’immeubles, une prison et des calanques, qui trouve des échos rejaillir dans la vie de ses habitants et plus loin encore à travers leurs tournées internationales.

 

 

Ni sciure ni chapiteau donc dans ce spectacle d’un nouveau genre.

Notre objectif n’est pas de faire une démonstration d’art équestre, même si l’entraînement reste la base du travail de ces athlètes. Tout l’enjeu de ce spectacle consiste en sa modernité: cette vision contemporaine de la manière dont on perçoit la relation avec l’animal. Comme le dit le philosophe Gilles Deleuze, de se mettre en surplomb, non pas dans le désir d’être le maître de l’animal, mais d’être à la fois son ami et son compagnon privilégié. Camille&Manolo ont eu plusieurs relations choisies de longue durée avec des chevaux, dont j’ai pu être témoin et constater à quel point chaque cheval a son identité. Par exemple Manolo n’a pas du tout la même relation avec Indra qu’il a eu avec Eudistira il y a quelques années et leur jeu s’en ressent.

Les deux étalons qui seront sur scène, Indra (pure race espagnole) et Gaïa (frison), sont entrés dans un théâtre pour la première fois il y a quelques jours. C’est leur premier spectacle ensemble. Même si cela fait plusieurs années qu’ils font partie du Théâtre du Centaure, ils restent de jeunes chevaux et de jeunes interprètes. C’était très beau de voir comment ils évoluaient, à la fois de manière strictement équestre, mais aussi dans la relation d’écoute et de confiance dans leur moitié même.

Sans selle, bride ou autres outils entre l’homme et l’animal, apparaît cette notion d’équilibre présente dans leur travail, comme dans la manière dont ils sont au monde. Un équilibre fragile entre cette part humaine et la reconnaissance d’une part animale dans laquelle on cherche à se fondre.

 

Comment s’articule la scénographie autour du ballet de ces duos?

Les murs seront habillés par des projections vidéo des photographies de Martin Dutasta, qui a accompagné la création dès le début, et par des photographies d’archives et des extraits de films super huit personnels de Camille&Manolo qui appuieront les voix d‘Elsa Scholler, Timeo Bonnano, Lua Gaggini, Laurent Schefer, Christiane Suter et Claude Thébert. Car l’essentiel de l’histoire est raconté par des voix off, qui sont les voix de Camille&Manolo aux différents âges de leur vie puisque c’est l’histoire que nous avons choisi de raconter. Soit quatre voix chacun: une voix enfantine, une voix adolescente, leur propre voix adulte où ils interviennent en direct et une voix qui correspond à une voix plus âgée, comme si on donnait déjà à entendre la voix que chacun aura à septante ans.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Centaures, quand nous entions enfants, un spectacle écrit et mis en scène par Fabrice Melquiot à voir au Théâtre Am Stram Gram à Genève du 3 au 5 novembre 2017.

Avec Camille&Manolo, Indra (pure race espagnole) & Gaïa (frison), Théâtre du Centaure.

Renseignements et réservations au +41.22.735.79.24 ou sur le site du théâtre www.amstramgram.ch

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