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Deux Bohringer à Plan-les-Ouates

Publié le 15.05.2015

 

« C’est un travail ambitieux et réaliste »

 

Le père et la fille Bohringer sont à découvrir à l’Espace Vélodrome de Plan-les-Ouates ce jeudi 21 mai dans une pièce politique, montée pour la première fois en langue française. Œuvre de l’auteure italienne Angela Dematté, J’avais un beau ballon rouge (Avevo un bel pallone rosso) raconte les liens conflictuels entre un père et une fille, sur fond d’années de plomb dans l’Italie des années 1970. L’auteure revisite la trajectoire fulgurante de la vie de Margherita Cagol, alias Mara, épouse de Renato Curcio, fondateur et idéologue des Brigades Rouges. Dans la réalité, le couple partit à Milan, fonda la lutte armée, effectua les premiers enlèvements, et, le 6 juin 1975, Mara fut tuée au cours d’un affrontement avec les forces de l’ordre. Dans la pièce, l’interlocuteur omniprésent de Margherita est son père. À partir de leurs échanges, deux visions du monde entrent en collision : le bon sens commun, « petit bourgeois » du père, face à la vision idéologique, intransigeante, de Mara. Documentée notamment à partir de lettres de Mara à sa mère, la pièce s’appuie sur des faits réels et scrute l’intimité du rapport père-fille à travers des existences extraordinaires. Michel Didym, metteur en scène et directeur du Centre dramatique national de Nancy Lorraine, a confié ce dialogue exigeant à Richard et Romane Bohringer, réunis pour la première fois au théâtre. Entretien avec Michel Didym.

 

Comment s’est faite la rencontre entre la pièce et les deux interprètes, Richard et Romane Bohringer ?

C’est dans le cadre du Festival Ring de la Manufacture de Nancy, dans un partenariat de Face à face, qui diffusait des écritures contemporaines italiennes en France et des écritures françaises en Italie, que j’ai découvert ce texte d’Angela Dematté. Il émergeait, il m’a frappé par ses qualités dramaturgiques, historiques. Son actualité. J’étais bouleversé par cette pièce, émotionnellement et politiquement, et il fallait que je trouve des acteurs à la dimension de cette dramaturgie. Il m’a un jour semblé évident, pour une lecture spectacle, que Romane et Richard Bohringer pouvaient s’emparer de la pièce. Pour des raisons humaines et artistiques… On a fait un essai, ils ont été exceptionnels ! On a aussitôt décidé d’entamer une procédure de création autour de ce texte.

 

La pièce raconte l’affrontement entre une fille engagée, violente, et un père presque trop sage… C’est l’opposition entre un engagement forcené et un raisonnement raisonnable. Qui l’emporte ?

Le destin et la mort l’emportent. Sur l’un et l’autre. Ce sont toutes les illusions politiques d’une génération qui sont exposées à travers ces deux destins. Le père, malgré toutes ses bonnes intentions, meurt d’un cancer. La fille meurt vraisemblablement exécutée par les carabiniers dans des circonstances tragiques. Elle se rend, mais les brigades rouges étaient devenues évidemment la cible première des carabiniers. Mais, des deux, qui l’emporte ? C’est difficile à dire. Historiquement, on peut penser que la fille se perd, s’égare, parce qu’elle prend la Chine comme un modèle exemplaire de progrès, d’humanité, alors que Mao Tsé-Toung programme sciemment la mort des gens par la faim… Tout cela est difficile à concevoir aujourd’hui. Mais dans les années soixante-dix, le bonheur était dans la révolution. L’empathie était importante autour de l’aile gauche du parti communiste, qui apparaissait en Europe comme un parti embourgeoisé. La prise de pouvoir, pour l’extrême gauche, ne pouvait que passer par les armes et la violence. Il fallait en passer par là. Les actions des brigades rouges ont été de plus en plus politiques, médiatiques, et violentes, c’était des électrochocs terribles. Elle, la fille engagée, va entrer dans l’histoire en mourant exécutée, et le père, lui, perd sa fille.

 

 


Il faut se battre ! / J'avais un beau ballon rouge par WebTV_du_Rond-Point

 

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire entendre ces voix ? En quoi cette dialectique entre le père et la fille s’est-elle imposée à vous ?

C’est le dialogue entre eux, leur opposition, et le drame humain qui sont intéressants. Ce qui se passe entre le père et la fille. Comment naît le sentiment de révolte. C’est la jeunesse qui s’insurge, contre les parents et les schémas établis, comment la jeunesse aspire à la liberté, comment elle veut s’émanciper. Par rapport à la misère aussi, ces drames humains qui opposent les générations, mais aussi le Nord et le Sud en Italie, cette tradition héritée de la résistance qui pousse une nouvelle génération à prendre les armes. Ce sont d’anciens résistants qui fournissent les armes aux jeunes des brigades rouges. Ceux qui ont résisté au fascisme en 1945 donnent les armes à ceux qui s’opposent au capitalisme sauvage. C’est une sorte de relève aussi. La famille dépeinte ici vit assez confortablement, catholique et classique, avec un père humaniste, impliqué dans la vie des autres. Mais elle, la fille, incarne une humanité brûlante… Elle veut obliger ces congénères à se battre, à prendre conscience, grandit et se révolte, elle dénonce les conditions que ses parents acceptent. Elle ne s’occupe plus d’elle même, ni de son couple, ni de sa santé, ni de sa famille. Elle est ailleurs, dans l’internationalisme, la soif de justice, l’idée haute d’un destin meilleur… Comment les grandes aspirations, les hautes idées du bonheur, en Chine, en Russie, ont débouché sur les pires régimes, comment les révolutions conduisent encore à Cuba, en Corée, à des empires qui n’ont plus grand chose à voir avec la démocratie.

 

Comment se déroule le travail avec Richard et Romane Bohringer ?

Tout se passe très sereinement comme lors de toute création. Dès que l’on travaille avec des artistes qui ont des idées, des visions, il y a des discussions, du respect, du dialogue. Ils ont rejoint le projet parce qu’ils ont confiance dans notre texte, ils savent que nous avons un projet très cadré. Ils s’y intègrent, et à l’intérieur d’une partition précise, d’une direction donnée, ils trouvent leurs marques et leur liberté. C’est un travail ambitieux et réaliste. Il y a une part importante d’eux-mêmes qui influence ce travail et le nourrit car l’un comme l’autre engagent toute leur humanité dans cette œuvre. Il y a beaucoup d’émotion, aussi dans le fait qu’ils travaillent ensemble, le père et la fille, pour la première fois dans le cadre d’une création théâtrale.

 

Propos recueillis par Pierre Notte pour le Théâtre du Rond-Point

 

J’avais un beau ballon rouge, jeudi 21 mai à 20h00 à l'Espace Vélodrome de Plan-les-Ouates. Renseignements sur le site www.plan-les-ouates.ch

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