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Drame de la route. Et plus, si entente

Publié le 30.09.2019

Avec viande en boîte, du 3 octobre au 15 décembre, le POCHE met le cap sur un relais autoroutier des plus particuliers. La fréquence des accidents qui s’y produisent amène un inspecteur d’assurances a y enquêter. Une tenancière de cafétéria, une étrange habituée et un routier vont solliciter ses capacités d’analyse, ainsi que celles des spectateurs. La fascination des accidentés de l’un rencontrera la fascination des accidents de l’autre. Et le titre de la pièce de Ferdinand Schmalz laisse entendre que tout ne finira pas bien.

Il revient à Jean-Louis Johannides de mettre en scène le mystère, d’agencer le trouble, de distiller les révélations. Et d’évoquer un monde qui ressemble au notre, avec des envies de changement, de chambardement, de révolution.

Reste la grande question: comment faire?

 

Comment abordez-vous le mystère posé d’emblée par viande en boîte? Cet univers flirte-t-il avec le fantastique?

La situation est très concrète. Rolf, enquêteur pour une compagnie d’assurance, s’intéresse à un lieu où se produisent beaucoup d’accidents. Il est habité par son métier, il croit qu’il y a toujours quelque chose de caché qui peut être décrypté, il cherche à déchiffrer le réel. Et il veut découvrir quelque chose dans les interstices du réel.

 

Tout se déroule pour autant dans une ambiance étrange.

L’étrangeté vient des monologues qui s’intercalent entre les scènes. Ils sont des introspection, qui reflètent l’univers mental de celle ou de celui qui s’exprime. Mais ils ou elles le font de manière particulière car ils ne sont jamais énoncés à la première personne, c’est toujours à la troisième personne «on» ou «elle», cela induit un dédoublement des personnages, comme s’il s’observait être. Mais la situation reste limpide: il y a l’enquêteur, les deux personnages féminins, qui ont quelque chose à cacher. Et le deuxième homme, un routier coincé là par un accident.

 

 

L’enquêteur a des méthodes particulières.

Les univers mentaux des personnages sont très particuliers. Par exemple celui de Rolf, dont l’intérêt pour les plaies, les cicatrices et les photos d’accidentés de la route qui va beaucoup plus loin que la pratique professionnelle. Il y développe une obsession. Il cherche à comprendre le monde à travers la plaie. La référence à Crash, le film de Cronenberg est assumée par Ferdinand Schmalz.

 

Difficile d’évoquer les deux personnages féminins sans trop en dire de l’histoire. Mais elles se singularisent par une approche particulière de l’accident.

Chaque personnage a une dimension cachée que nous allons découvrir au fil de la pièce. Mais cela tourne toujours autour de la réalité de l’accident. Qu’est-ce qu’il y a derrière, c’est là que tout se joue. Le personnage de Jayne a survécu à un grave accident et s’en est retrouvée transformée. Elle porte avec elle l’idée que l’accident nous transforme, qu’il va nous permettre de nous révéler à nous-mêmes, ou de nous révéler quelque chose de nous-mêmes. C’est la thématique de la pièce: en quoi l’accident peut-il être fécond.

 

Le personnage de Jayne ne pouvait donc qu’attirer Rolf.

Oui, il y a une rencontre. Mais ils ne sont pas sur le même plan. Lui s’intéresse à la cicatrice de Jayne, car il pense qu’elle va lui permettre de résoudre une énigme, son énigme personnelle. Quant à elle, elle le teste, elle va assez loin dans un jeu de séduction pour voir s’il ne pourrait pas se joindre à elle, dans la mission qu’elle s’est fixée. L’autre personnage féminin, Beate, d’abord présentée comme la tenancière du restoroute, ne croit pas du tout à cette possible alliance.

 

Le quatrième homme apparaît comme plus détaché.

Il reste à l’extérieur de l’histoire, mais il communique des éléments sur ce qui va se passer ensuite. Julie Gilbert, la dramaturge du POCHE /GVE, le compare à une pythie. Nous donnons le signe, par l’utilisation d’un enregistreur que c’est lui qui fait défiler l’histoire. Les sons et la musique sont toujours très important pour moi. Je m’appuie aussi sur les attributs du cinéma avec l’utilisation d’un micro-perche afin de permettre aux acteurs et actrices de travailler un univers intimiste, et de renforcer le côté voyeur du routier qui manipule ce micro-perche. Ils sont comme des archétypes de personnages: la tenancière de restoroute, le routier, l’assureur, l’actrice de télé, mais en ce qui concerne Jayne et Béate c’est un jeu qui leur permet de camoufler leur véritable identité et ce qu’elles sont venu faire dans ce restoroute.

 

L’année passée, le POCHE /GVE a présenté une autre pièce de Ferdinand Schmalz, où la sauvagerie économique était évoquée dans le lieu inattendu d’un centre thermal. On retrouve aujourd’hui un lieu inattendu, un relais autoroutier. Mais pour illustrer quoi, une fable écologique sauvage?

Schmalz se demande comment changer le paradigme d’une société dans laquelle chacun se sent dépassé, écrasé. Il expose avec viande en boîte une manière radicale. Il crée une sorte de laboratoire hors-sol. Je ne sais pas exactement où il se situe par rapport à sa proposition, mais je perçois une jouissance à suivre les personnages dans leur logique de transgression. C’est assez festif. Pour ma part, je m’attache à suivre, à décrire l’objectif de ces deux femmes. Et j’y ajoute un épilogue, plus personnel.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

viande en boîte, de Ferdinand Schmalz, du 3 octobre au 15 décembre 2019
Informations, réservations:
POCHE /GVE

Mise en scènce: Jean-Louis Johannides
Avec Angèle Colas, Vincent Coppey, Guillaume Miramond, Léa Pohlhammer

Le film Crash de David Cronenberg sera projeté aux cinémas du Grütli le 15 novembre à 21h en partenariat avec et aux Cinémas du Grütli (réduction sur présentation du ticket d’entrée de spectacle du POCHE /GVE aux Cinémas du Grütli et inversement)

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