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Gilles Jobin: générateur de mouvement

Publié le 14.10.2015

 


En 2011, le chorégraphe suisse Gilles Jobin découvrait le monde de l’atome en étant sélectionné pour le programme novateur de politique artistique du CERN, intitulé Arts@Cern. Durant trois mois, Gilles Jobin s’était initié à la recherche fondamentale in situ. Puis, en s’inspirant de la symétrie du diagramme de Freyman et de l’architecture du lieu digne des films de James Bond, il crée QUANTUM, une pièce algorithmique dans laquelle évoluent les danseurs, présentée en collaboration avec le Théâtre Forum Meyrin lors des journées portes ouvertes du CERN en 2013. «Aux Etats-Unis, on retrouve beaucoup l’influence des sciences dans le mouvement post-moderne. Au-delà du visible, la matière est de l’esthétique de l’imaginaire. Et comprendre ce qu’on ne voit pas demande une énorme capacité d’abstraction», explique le chorégraphe.

 

En quoi la pièce a-t-elle évolué depuis sa première représentation au CERN en 2013?

C’est une version scénique, plus pure, qui sera présentée au Forum Meyrin à la fin du mois. Nous l’avions créée dans un énorme espace industriel sur le site de l’expérience CERN/CMS à Cessy. Les spectateurs étaient assis autour de nous et, au fond, prenait place une toile immense représentant l’accélérateur de particules. Le décor et la lumière proviennent de l’installation lumino-kynétique de Julius von Bismarck et la musique tirée des sons de l’accélérateur à particules de Carla Scaletti, toutes deux fondamentales à l’atmosphère de QUANTUM. Dans cette version, l’espace est plus obscure et les lumières plus puissantes, et de ce fait, le public est plus concentré sur la question de la chorégraphie et de la pièce en soi.

 

Était-ce important pour vous de la rejouer à Genève?

J’essaie toujours de remontrer mes pièces, comme récemment avec ma première chorégraphie A+B=X, mais c’est très difficile. Dans la région, nous présentons souvent nos créations avant de les emmener autour du monde, et les reprises sont rares. Concernant QUANTUM certains éléments ont été réajustés, la pièce est plus affirmée. C’est pour cette raison que j’ai proposé au Théâtre Forum Meyrin, qui a collaboré à sa création, de la reprendre dans leur saison et aussi parce que beaucoup en ont entendu parler, mais n’ont pas forcément pu venir la voir.

 

Qu’ont découvert les physiciens à vos côtés sur votre travail?

Le plus surprenant pour eux a été de constater que nos processus de création étaient complexes, analytiques et théoriques. Certains avaient peut-être une idée un peu plus classique de l’art. La physique n’est pas un domaine qui iclut beacuoup de culture ou de notions d’ésthétiques dans la formation. Les méthodes que les artistes contemporains utilisent pour «générer» des pièces peuvent parfois les surprendre. Tout comme les chemins que nous empruntons pour arriver à notre but ne sont pas forcément en ligne droite!

 

 

Avez-vous trouvé des similitudes entre le danseur et le physicien?

En dehors du fait que nous nous intéressons à des systèmes génératifs remplis d’inconnues et que nous devions défendre la position de la recherche fondamentale vis-à-vis de l’industrie et de la rentabilité à tout prix, je crois que nous sommes des archi-passionnés et des sur-engagés. Comme nous, les physiciens sont délocalisés pour leur métier et ils connaissent bien le monde qui les entoure, tous ceux et celles que j’ai rencontrés étaient très curieux. Et enfin, peut-être savent-ils aussi des choses, comme les artistes, qui leur donnent parfois un petit air de supériorité? (sourires) Comme l’art, la science est «open source» mais pas sans egos!

 

Que vous ont apporté ces trois mois de recherche fondamentale au CERN?

J’ai pu me rendre compte qu’il y avait effectivement d’un côté la recherche fondamentale et de l’autre la production. Car au fond, un spectacle est un produit: le public achète les billets pour venir le voir. Alors bien sûr que la création va se faire à force d’expérimentation – et je pense faire partie de cette frange d’artistes expérimentaux, mais au final, on  passe plus de temps à produire qu’à chercher. Quand j’étais au CERN, il s’agissait de faire des expériences dans un environnement donné, mais sans attente de résultats. A la fin de ma résidence j’avais beaucoup d’idées et une vraie envie de créer une pièce. Dissocier la partie recherche de celle de la création, c’est une démarche qui m’a beaucoup inspiré. Aujourd’hui je me crée des espaces de recherche sans a priori, comme actuellement un projet de résidence dans un observatoire astronomique au Chili où j’espère bientôt partir.

 

 

C’est une démarche que vous esquissez depuis 2007 avec les GVA sessions (une plateforme d’échanges internationaux et de recherche interdisciplinaire).

Tout à fait. Après les représentations à Meyrin, nous organisons une semaine de séminaires et d’ateliers de recherche dans nos murs. Des musiciens, des physiciens, des chorégraphes, des danseurs et des plasticiens sont invités à se rencontrer et à dialoguer sans autre but que de créer de l’émulation autour de sujets choisis. On devrait proposer plus de bourses de recherche aux  jeunes chorégraphes plutôt que des aides à la production qui arrivent souvent trop tôt. Nous sommes dans une dynamique de production à tout prix et c’est dommage, voire angoissant pour les jeunes et les moins jeunes. La recherche fondamentale aide aussi à se désangoisser face à la «feuille vide».

 

Vous développez actuellement un projet novateur de court-métrage en stéréoscopie sur la danse.

La 3D apporte une expérience augmentée à la danse par rapport au film en 2D. Une émotion supplémentaire surgit, on le voit dans Pina, film du réalisateur allemand Wim Wenders, où les scènes dansées sont fascinantes en 3D. Les règles cinématographiques sont différentes aussi, en particulier toute la question du hors-champs. Et je m’aperçois que je suis presque mieux préparé à la stéréoscopie qu’un réalisateur, car un chorégraphe est de fait un expert de la 3D et cela se ressent dans ma manière de procéder. Ce film dont le titre provisoire est Womb sera tourné en décembre 2015. Il fera partie d’un projet plus vaste autour de la 3D, regroupant des sculptures d’impressions en 3D et une chorégraphie pour Réalité Virtuelle, qui, par l’intermédiaire d’un casque, permettra au spectateur de se balader physiquement à l’intérieur d’une chorégraphie…

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

QUANTUM, Théâtre Forum Meyrin les 30 et 31 octobre 2015 à 20h30.

Renseignements et réservations au +41.22.989.34.34 ou sur le site du Théâtre www.forum-meyrin.ch

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