Publié le 19.09.2024
Forte de 25 spectacles, la nouvelle saison de la Maison Saint-Gervais (Genève) s’annonce comme un véritable terrain d’expérimentations artistiques, où la scène devient un espace de liberté débridée ou sage et d’interrogations profondes.
Imaginé par Marielle Pinsard, Mais qui a donc tué Bill Murray plusieurs fois? (du 28 septembre au 6 octobre) est une enquête théâtrale loufoque, où des sosies de célébrités se mêlent à une intrigue policière délirante.
D’autres créations audacieuses, comme Hautes Zerbes du projet ParMobile de la Cie L’Alakran (du 3 au 13 octobre) promettent de mettre en mouvement les imaginaires avec une énergie contagieuse.
Les propositions artistiques continuent d’explorer des terrains où le ludique côtoie le réflexif. Les comédiennes et comédiens de renommée européenne sont aussi à l’affiche
Succès populaire au dernier Festival d’Avignon sous forme d’un récit en inventive errance, Quichotte de Gwenaël Morin avec notamment Jeanne Balibar (du 20 au 23 novembre) côtoie ainsi la nouvelle création signée Émilie Charriot, L’Amante anglaise de Marguerite Duras, servie par Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond (du 30 janvier au 2 février).
Le collectif Foulles s’aventure dans le cerveau humain avec Le Cerveau Mou de l'existence (du 17 au 20 octobre), un spectacle dansant qui questionne la résilience et l’apprentissage à travers le prisme du mouvement. Quant à eux, Nos Adieux (remake) de Louise Belmas et Joël Maillard (du 27 novembre au 1er décembre), l’opus nostalgique et drolatiques du collectif BPM, La Collection - La soirée diapo et le roman photo - (du 3 au 15 décembre) prolongent cette saison éclectique qui se dédie en grande partie à la création.
Saint-Gervais invite ainsi son public à un voyage singulier, entre humour, réflexion et fantaisies scéniques. Coups de projecteur sur quelques spectacles avec la directrice des lieux, Sandrine Kuster.
Quel est l’esprit de votre programmation?
Sandrine Kuster: Si les saisons ne sont habituellement pas organisées par thématiques, se basant sur les propositions des artistes, sont abordées toutefois notamment les questions du (non-) genre et du queer qui traversent nos sociétés.
Ce que je recherche dans les collaborations? Une prise de risque artistique. En témoignent les artistes et compagnies profitant de leur passage à Saint-Gervais pour sortir des sentiers battus. Et se remettre en question dans leur pratique.
J’aime les spectacles singuliers, qui peuvent être très forts. Au plan du traitement et du contenu. C’est aussi une saison riche de neuf créations de Saint-Gervais et onze coproductions avec des lieux partenaires sur Vaud, Le Théâtre de Vidy et l’Arsenic.
À cet égard, cette nouvelle saison est l’occasion d’une collaboration inédite avec le photographe Matthieu Croizier*. Ce dernier a réalisé des portraits des artistes, comédien.nes ou metteur.es en scène. Au cœur de ces compositions, les artistes se mettent en scène selon leur envie, en fonction de leur identité artistique et esthétique.
En témoigne Joël Maillard en tandem avec Louise Belmas pour Nos Adieux (remake). Il apparait sur les images avec son personnage grimé de la pièce. Au final, une image incertaine, vertigineuse, provoquante si ce n’est possiblement malaisante autour de la prise de parole, voire du cri.
Loin d’être consensuel, c’est un artiste qui est toujours dans un certain regard critique porté sur la société actuelle. Il reste dubitatif, négatif même, sur lui-même. Et sur sa capacité à se projeter vers l’avenir. Ce que sa photo reflète en partie.
L’idée du fond blanc en contraste des portraits rejoint le désir de faire ressortir le corps, l’expression, le costume, l’interprète. Mettre donc le corps des interprètes au centre de la ligne graphique. Et les combiner à la fois dans une image et une programmation.
À ces images, sont ajoutées des animations visibles sur le site de Maison Saint-Gervais. Ce dispositif animé est une forme de clin d’œil au spectacle même. Que ce soit l’assassinat de Bill Murray ou l’emprisonnement dans le cadre de la création d’Adrien Barazzone autour de la justice.
J’ai d’abord découvert cette artiste à Saint-Gervais dans le cadre de La Bâtie-Festival de Genève au détour de Comme des couteaux en 2001 avec Julie Cloux notamment. Ce fut un véritable coup de cœur pour son écriture revenant toujours sur des problématiques de société.
Ceci notamment par le prisme de l’engagement personnel ou non dans des causes environnementales ou autres. Elle le réalise aussi à travers la relecture de grands classiques. Que l’on songe à Pyrrhus Hilton (2007) refigurant au cœur d’un univers marqué par l’ennui, le personnage de Pyrrhus issu de la tragédie Andromaque signée Racine.
Son théâtre est drôle, décalé et sincère au plan du contenu.
La création du projet, fou, fantasque et singulier, Mais qui a donc tué Bill Murray plusieurs fois? se réalise avec essentiellement des jeunes étudiant.es issu.es de l’Ecole supérieure de théâtre des Teintureries qui a fermé ses portes l’année dernière à Lausanne. Elle a travaillé autour de la figure du sosie (Céline Dion, Amy Winehouse...).
Que ce soit à Hollywood ou chez les stars de la chanson. Marielle Pinsard met ainsi en scène une sorte de laboratoire, où circule le personnage Columbo, l’inspecteur menant l’enquête afin de découvrir l’assassin de Bill Murray**.
Toute intention de nuire est emblématique du parcours d’Adrien Barazzone. Il œuvre beaucoup comme comédien aux côtés notamment de Jonathan Capdevielle et Tiago Rodriguez, tout en développant parallèlement un travail d’écriture et de mise en scène.
Sa présence à l’affiche de Saint-Gervais participe de la volonté de s’engager sur le long terme aux côtés d’artistes apprécié.es.
Etonnant et parfait pour le théâtre relativement classique mettant en valeur interprètes et personnages, son projet suit le procès d’une écrivaine attaquée en justice, Pauline Jobert, pour son roman Marcher sans craindre le ravin car écrivant un récit trop proche de la réalité.
Il s’agit d’un territoire particulièrement fertile pour l’écriture théâtrale tout en étant un jugement en tensions fort proche de public. Il me semble que cette pièce tombe à pic alors que nombreux faits divers sont repris dans le cadre d’œuvres littéraires, spectacles ou films.
Excellente comédienne, à la fois éminemment technique et dotée d’une grande force d’interprétation, Sarah Calcine s’est lancée dans la mise en scène après un Master à La Manufacture. Falta Lady se saisit de figures iconiques - Monroe, Bardot... - qui se sont heurtées à des tourments existentiels derrière leur aura fantasmatique sous le regard désirant des hommes et des femmes.
Et cette question: Comment aujourd’hui ses stars et le corps féminin peuvent ou non être abordées et traitées?
Falta Lady part ainsi d’icônes participant d’une époque révolue pour explorer le statut de personnalités et du corps féminin au sein du showbiz actuel. Derrière ce spectacle, se dessine un geste à la fois historique, sociologique et résolument féministe.
* Artiste et photographe free-lance basé à Lausanne, Matthieu Croizier a notamment réalisé un portrait tout en reflets et transparences de l’écrivain genevois de best-seller Joël Dicker pour la couverture du Monde Magazine. De son travail personnel, Gem Fletcher, directeur de la photographie du magazine destiné à un lectorat féminin Riposte écrit: «Ce qui est désarmant dans les photographies de Croizier, c'est la façon dont elles déstabilisent le sens de la perception. Elles s'orientent vers la physicalité du corps, où il crée souvent des tensions et des ambiguïtés, pour refléter l'expérience complexe et sensorielle de l'être humain.» (Cité sur le site de Matthieu Croizier). Ses compositions pour Saint-Gervais sont l’exacte prolongement de ces propos, ndr.
** Icône de la culture populaire et symbole d’une coolitude mélancolique, Bill Murray, 73 ans, s’est rendu célèbre pas ses rôles dans Un Jour sans fin, S.O.S Fantômes et Lost in Translation. Il est devenu l’acteur fétiche du cinéaste américain Wes Anderson.