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Jeanne d’Arc, par Tchaïkovski

Publié le 06.04.2017

 

Dmitri Jurowski est, tout comme son père et son frère, un chef d’orchestre reconnu. Le maestro n’en est pas à son coup d’essai en ce qui concerne Tchaïkovski. En effet, La Pucelle d’Orléans (Orleanskaya Deva en russe) est le seul opéra du célèbre compositeur qu’il n’avait pas encore à son palmarès.

Du 6 au 12 avril 2017, le Victoria Hall accueille une version concert d'Orleanskaya Deva, coproduite par le Grand Théâtre de Genève et l’Orchestre de la Suisse Romande. Rencontre avec Dmitri Jurowski qui nous présente cette œuvre rarement jouée qui allie beauté, puissance et tragédie.

 

 

Ce n'est pas la première fois que vous venez à Genève?

J’y suis venu il y a quatre ans pour une production nommée Rusalka, et j’ai donc déjà pu travailler avec l’Orchestre de la Suisse Romande. En vérité, j’ai l’impression que ça fait plus longtemps que je collabore avec cet orchestre, qui est excellent. J’ai beaucoup de plaisir à travailler dans un environnement professionnel de cette qualité. Et je ne suis pas le seul à le dire. Pour tous mes collègues, ainsi que pour les solistes de cet opéra, l’atmosphère est très enthousiasmante.

Je reviens juste de la Sibérie, de Novosibirsk, où la température est de -35 degrés. Je vous laisse imaginer à quel point Genève me semble un paradis à l’heure actuelle!

 

Vous venez d’une famille célèbre pour ses compositeurs et ses chefs d’orchestre. Diriez-vous que la passion pour le métier de chef d’orchestre est dans votre ADN?

Oui, je le pense. Je jouais du violoncelle avant de diriger, et je dirais que la passion pour la musique est certainement dans mes gènes. Nous sommes maintenant trois chefs d’orchestre dans ma famille, et il y en avait également dans les générations précédentes. Il doit donc y avoir quelque chose de plus qu’une simple tradition.

 

Quel est votre principal défi en tant que maestro?

Je dirais que la partie la plus difficile de cette profession est de donner aux personnes avec lesquelles on travaille l’impression d'être la personne responsable. Ce n’est pas une question d’être le « boss », mais plutôt d’être une personne de confiance, de transmettre un sentiment de sécurité sur scène. Tout orchestre et tout musicien, même le meilleur, peut avoir du mal à travailler avec un chef d’orchestre qui manque d’assurance. Il s’agit d’être soi-même en confiance, et d’être responsable du fait que les autres musiciens se sentent en confiance. Lorsqu’on travaille avec des êtres humains, on travaille obligatoirement avec les émotions. C’est probablement la partie la plus exigeante, mais aussi la plus intéressante, de ce métier.

 

Vous avez dirigé d’autres œuvres de Tchaïkovki, comme Eugène Onéguine ou La Dame de Pique, qui sont extrêmement connus…

En vérité, La Pucelle d’Orléans est le seul opéra de Tchaïkovski que je n’avais pas encore dirigé. J’ai vraiment hâte, car cela me permet de réaliser un tour complet des opéras de Tchaïkovski. J’adore évidemment ce compositeur. En ce qui concerne Onéguine ou La Dame de Pique, tout le monde les joue, partout. De mon côté, j’encourage toujours les gens à faire des choses plus inhabituelles. J’ai eu l’opportunité de faire tous les autres opéras, Mazeppa, L’Enchanteresse, Tcherevitchki… Jeanne d’Arc est le dernier qu’il me reste.

Je dirige seulement la musique que je comprends vraiment. Je ne pourrais jamais accepter de faire une œuvre que je ne saurais pas où emmener. Pour La Pucelle d’Orléans, le bon moment est arrivé. Juste maintenant, avant la première représentation, c’est l’instant magique où je suis amoureux de cette œuvre. C’est probablement le moment le plus heureux pour un chef d’orchestre.

 

 

Qu’est-ce qui fait la spécificité de La Pucelle d’Orléans?

Le thème de La Pucelle d’Orléans est français, mais la pièce originale a été écrite par Friedrich von Schiller, et le style de musique y est plus allemand que français. Bien sûr, on entend que c’est du Tchaïkovski – il possède son propre langage. Assez étrangement, cet opéra ne contient pas tellement de citations provenant d’autres de ses œuvres. Ça et là, il y a des petits thèmes d’Onéguine ou de l’une de ses symphonies. Mais cet opéra est unique, car il contient de la musique qui ne se retrouve dans aucune autre œuvre du compositeur.

Au moment où Tchaïkovski travaillait sur cette pièce, il a été engagé comme critique pour le Festival de Bayreuth, et lorsque Jeanne d’Arc a été jouée pour la première fois, c’était juste avant que Wagner ne meure. Le style wagnérien était donc très populaire à cette époque, et était aussi très discuté. Bien que Tchaïkovski n’ait pas du tout été un grand admirateur de Wagner, on remarque pourtant dans cet opéra quelque chose qui rappelle l’atmosphère de Bayreuth, de Lohengrin, de Parsifal, de Meistersinger… Au premier abord, la musique de Tchaïkovski et celle de Wagner sont très différentes, mais dans La Pucelle d’Orléans, on entend par endroit une relation entre les deux styles. Cela rend cet opéra très intéressant pour ceux qui aiment la musique allemande, dont nous entendrons clairement quelques épisodes.

Lorsqu’on commence à regarder de près les partitions, on découvre des choses nouvelles et passionnantes. C’est ce que j’aime à propos de mon métier: d’un côté, analyser la musique, et de l’autre, avoir le luxe d’apporter son analyse sur scène, de la présenter à une audience.

 

Le final de La Pucelle d’Orléans est très intense et tragique…

Oui, il y a d’ailleurs une autre œuvre, très importante pour le monde de l’opéra, Khovanchtchina de Mussorgsky, qui a une fin similaire. À la fin de Khovanchtchina, la femme qui transmet une forme de foi et d’amour est brûlée. Ce qui arrive à Jeanne d’Arc est très ressemblant. C’est une chose incroyable d’entendre le feu dans la musique. La composition est tellement puissante, naturaliste et douloureuse que l’on peut presque sentir la fumée dégagée par le feu…

 

C'est une version concert de cet opéra qui est donnée au Victoria Hall. Quelle est la disposition de la scène?

Ce sera une scène classique, avec l’orchestre, et le chœur derrière lui. Les solistes ne restent pas sur scène tout le temps, mais entrent et sortent comme ils le feraient dans une production standard d’opéra. De cette façon, même sans costumes et décors, on se trouve dans une pièce où le jeu d’acteur a toute son importance.

 

Propos recueillis par Marie Berset

 

La Pucelle d’Orléans (Orleanskaya Deva), un opéra de Piotr Ilitch Tchaïkovski présenté en version concert du 6 au 12 avril 2017 au Victoria Hall à Genève.

Renseignements et réservations au +41.22.322.50.50 ou sur le site www.geneveopera.ch

Direction Dmitri Jurowski
Avec l'Orchestre de la Suisse Romande
Avec Ksenia Dudnikova, Migran Agadzhanyan, Mary Feminear, Roman Burdenko, Boris Pinkhasovich, Marek Kalbus, Boris Stepanov…

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