Social Tw. Fb.
Article

L’Orangerie, été théâtral et jazzy

Publié le 11.06.2016

 


On l’avait laissé il y a quelques mois seulement dans une mise en scène de textes de Nathalie Sarraute avec ses personnages «s’effaçant devant le verbe qui les traverse». Valentin Rossier y jouait avec truculence un personnage en quête de vérité dans Le Mensonge, suivi du Silence. Aujourd’hui, le directeur du Théâtre de l’Orangerie à Genève s’apprête à entamer sa nouvelle saison sur les hauteurs du Parc La Grange. Un lieu théâtral et musical qui ne vit que l’été mais avec une belle intensité. Sept pièces y sont à l’affiche, de juin à octobre. Des concerts de jazz avec les musiciens de l’AMR y ont lieu en terrasse tous les soirs de première et tous les vendredis soir après les représentations.

 

Dürrenmatt, entre Hopper et Lynch

C’est avec Dürrenmatt que Valentin Rossier ouvrira sa cinquième saison le 21 juin. On plongera avec La Panne «dans un univers à la Edward Hopper et l’ambiance singulière de Lynch». Un univers inquiétant pour cette pièce dans laquelle la culpabilité de Traps, représentant de commerce, est mise à l’épreuve d’un procureur, d’un juge et d’un avocat à la retraite. «Un jugement dernier symbolique», que met en scène Valentin Rossier, après en avoir adapté le roman paru en 1956, proche de la nouvelle, plus dense et plus développé que la première version radiophonique de 1955. Une vingtaine d’années plus tard, le dramaturge suisse en écrivit également une pièce de théâtre. On mettra ensuite le cap en juillet vers la scène belge et la pièce de l’auteur Philippe Blasband. Tuyauterie est une comédie psychologique, interprétée par «deux comédiens fantastiques» découverts à Bruxelles par Valentin Rossier. Un sympathique plombier y répond à toutes les attentes de sa cliente en tenue affriolante, prétexte pour évoquer le partage de leur désillusion et de leur solitude.

 

Les joujoux de l’enfance

Puis viendra le temps d’une incursion dans le monde de l’enfance. Car, comme chaque année, l’Orangerie est aussi le rendez-vous des petits. Destiné aux enfants dès 4 ans, La Boîte à joujoux est un conte musical concu et interprété par le comédien Vincent Aubert, accompagné de deux pianistes. Son origine, singulière, remonte au début du siècle passé. En 1913, à l’aube de la Première Guerre mondiale, André Hellé, illustrateur et créateur de jouets en bois avant-gardistes, propose à Debussy de mettre en musique l’un de ses albums pour enfants. Le compositeur s’exécute et dédie l’œuvre à sa fille «Chouchou», dont il s’inspire de l’univers. Puis, nous franchirons quelques siècles et reviendrons à des monuments de l’écriture théâtrale, qui ont forgé l’histoire du théâtre et méritent de tous temps d’être vus et entendus, non seulement pour la beauté du propos, mais aussi pour celle de leur langue. Si le directeur du théâtre a choisi de présenter cet été deux œuvres du répertoire classique, écrites en vers, Le Misanthrope et Bérénice, ce n’est pas tout à fait dû au hasard. Ces choix se sont aussi faits pour «faire front à des idées préconçues sur les textes et une façon de cloisonner les œuvres».

 

Le Misanthrope par José Lillo

Après Platon, Dostoïevski et son poignant Rapport Bergier confrontant la Suisse à sa compromission avec le régime nazi, José Lillo s’attelle aujourd’hui à cette comédie dramatique et provocatrice, «qui correspond à une forme de révolte et pourrait être totalement contemporaine, allant à contre-courant de la société», commente Valentin Rossier. La célèbre pièce de Molière n’avait pas vraiment été boudée à l’époque, lorsqu’elle fut jouée pour la première fois en 1666. Mais elle avait recueilli malgré tout assez peu de succès auprès de son public. Le comédien et metteur en scène genevois José Lillo s’y glisse dans la peau d’Alceste, éperdument amoureux de Célimène, jouée par Lola Riccaboni. Un débat à la Maison de Rousseau et de la littérature prolongera la réflexion autour de l’œuvre. La rencontre «Jean-Jacques Rousseau, misanthrope?» aura lieu le jeudi 21 juillet, entre José Lillo et Mathieu Menghini, historien, spécialiste de Rousseau et praticien de l’action culturelle.

 

Eustache revisité par Dorian Rossel

Une autre figure du théâtre romand prendra ensuite le relai sur la petite scène estivale genevoise. Dorian Rossel, qui reprenait son Oblomov dans ces mêmes murs l’an dernier, revient cet été avec une pièce qui touche et séduit partout où elle passe. Sans doute parce que le metteur en scène franco-suisse restitue avec finesse le désabusement du trio amoureux au cœur de La Maman et la putain de Jean Eustache autant qu’il le met en scène avec une fraîcheur et une apparente simplicité qui désarçonnent. David Gobet, Anne Steffens et Dominique Gubser interprètent avec brio Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir, adaptation scènique du célèbre film sorti en 1973.

La triangulation amoureuse laissera place à la confrontation entre deux couples, diaboliquement conçue par Yasmina Reza, à la manière d’un Pinter. Ce Dieu du carnage est mis en scène par Georges Guerreiro. On y retrouvera Valentin Rossier aux côtés de Marie Druc, couple hors pair à la scène, qui s’illustrait l’an passé dans Un Tramway nommé désir après Qui a peur de Virginia Woolf? quelques années plus tôt. Ils se disputeront cette fois-ci autour de la bastonnade de leur jeune garçon dans une cruelle joute verbale face à un autre couple, formé par Carine Barbey et Vincent Bonillo. Et c’est avec Bérénice de Racine, mis en scène par Didier Nkebereza, après Iphigénie en Tauride et Horace de Corneille, que s’achèvera la saison théâtrale de l’Orangerie. Son grand bal du 1er octobre sonnera définitivement le glas de l’automne. Mais sur une note festive. Car le théâtre est aussi un lieu de fête.

 

Cécile Dalla Torre

 

Découvrez toute la saison 2016 du Théâtre de l’Orangerie à Genève sur leprogramme.ch ou sur le site du théâtre www.theatreorangerie.ch

Filtres