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Marivaux, lobbies et Jean-Louis Hourdin

Publié le 21.10.2015

 


«Quand Israël ou les Etats-Unis montent des murs sur leurs frontières, on a juste envie de pleurer. Parce qu’on sait que ces murs tomberont un jour, pourquoi perdre du temps plutôt que d’inventer une communauté rassemblée? Il faut anticiper la réconciliation et essayer de remettre l’humain au centre». Le chef de troupe de la Cie Jean-Louis Hourdin poursuit son travail d’éveilleur de conscience avec Vous reprendrez bien un peu de liberté… ou Comment ne pas pleurer?, une création poétique et politique sur l’oppression de l’homme par l’homme, à voir du 27 octobre au 7 novembre à Saint-Gervais Genève Le Théâtre.

 

L’état du monde, Jean-Louis Hourdin, cofondateur en 1976 du Groupe régional d'action théâtrale et culturel (GRAT), s’y est intéressé dès son plus jeune âge. «A la sortie de l’Ecole supérieure d'Art Dramatique de Strasbourg en 1969 on avait monté La triste histoire des drôles, un genre de cabaret politique dans la tradition foraine qui racontait l’histoire économique du monde occidental, du Moyen-Age au capitalisme monopoliste d’état». De ce côté, le monde devenant toujours plus inhumain, ses dernières créations se consacrent à ce thème: Veillons et armons-nous en pensée (2005), créé avec François Chattot d’après le Messager Hessois de Georg Büchner, du Manifeste de Bertolt Brecht, du Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et des textes de L'Accord général sur le commerce des services (AGCS) au Théâtre Vidy-Lausanne, Coups de foudre (1991), de Michel Deutsch à Saint-Gervais Genève Le Théâtre, ou encore Et si on s’y mettait tous? (2012), un montage de textes déclamé sur les places des villages de France et de Navarre, prix du public au Festival international de théâtre de Lisbonne. Sincère, populaire et savant à la fois, son théâtre humaniste fait mouche et se partage avec le plus grand nombre.

Dans cette création Jean-Louis Hourdin associe L’île des esclaves (1725) de Pierre de Marivaux et le livre de la journaliste Naomi Klein La stratégie du choc. La montée du capitalisme du désastre (2008). Il s’inspire également du travail de David Harvey dans sa Brève Histoire du néolibéralisme (2005/2014), ou encore Du temps acheté. La Crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique (2014) de Wolfgang Streeck.

 

Marivaudage en prologue

Federico Garcia Lorca, dans sa pièce intitulée Sans titre, (puisqu’il a été assassiné en 1935 par les fascistes avant de la terminer), se pose la question du rôle du comédien. Dans cette histoire, une troupe répète le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, quand l’interprète s’interrompt pour parler de la situation terrible que l’Espagne était en train de vivre. «Le devoir du théâtre est d’ouvrir les portes au monde, à la violence du monde, que la souffrance de ce dernier prenne place sur le plateau. C’est pour cette raison que j’ai beaucoup travaillé cette pièce de Lorca dans les écoles et à travers des stages professionnels ou amateurs». Et c’est dans cet esprit qu’il a choisi de partir de la pièce de Marivaux pour glisser sur les propos de la journaliste Naomi Klein. «Marivaux offre un prologue amusant avec cette histoire où esclaves et maîtres inversent leurs rôles pour mettre en perspective historique la folie de notre monde actuel, des démocraties volées, développée par Naomi Klein».

 

De l’évidence de la manipulation

«Naomi Klein est une vraie journaliste qui retranscrit ce qu’elle a entendu et observé», un récit terrifiant et une véritable analyse qui pousse l’homme de théâtre à mettre en scène les propos de l’auteure. «Au Sri Lanka après le tsunami, les pêcheurs n’ont plus pu revenir sur les plages occupées par des promoteurs d’hôtels 5 étoiles, sans parler de l’Irak vendu aux sociétés privées. Partout les démocraties sont abîmées et du libéralisme communautaire, on est passé à un ultra-libéralisme ravageur». Il se réfère encore à Solidarność en Pologne, où Lech Wałęsa a cette phrase: «Hélas nous avons gagné», car il est contraint de faire le contraire de ce pourquoi il avait été élu. Tout comme l’icône internationale, prix Nobel de la paix, Nelson Mandela: «après 27 ans de prison il pensait pouvoir tout changer, mais le FMI ne s’est pas fait prier pour lui rappeler la dette de l’apartheid et de son plan de remboursement: privatisation, baisse des charges sociales, etc. Mandela a même été comparé à Margaret Thatcher dans The Wall Street Journal!».

 

 

Un théâtre porte-parole

«Le théâtre est une fraternité possible le temps d’une représentation. Il réveille en chacun de nous cette fraternité rassemblée – puisqu’elle tient d’une même main les fraternités oubliées et celles à venir. Une chaîne qui ne doit pas céder». Une petite résistance qui fait pour cet homme de théâtre tout l’intérêt de son métier. Il souligne l’importance de l’oralité dans ce monde où règne la télévisuelle poubelle pour se passer les vraies histoires en se référant à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, où il n’y a plus de livres et seul le théâtre peut continuer de nommer l’injustice, et transmettre de génération en génération ces histoires fondamentales à notre fraternité d’êtres humains.

 

Comment ne pas pleurer sur la marchandisation du monde?

Jean-Louis Hourdin et sa troupe ont choisi de dire la révolte nécessaire et la responsabilité de chacun pour un avenir meilleur en dansant sur le malheur: «il ne faut pas pleurer dans la résignation et la fatalité, mais pleurer dans la révolte. On peut pleurer et rire après, on peut chanter ensemble et valser et réfléchir surtout. Sommes-nous des acteurs? Des citoyens? Des citoyens-acteurs?». Pour lui, nul doute, l’acteur est un citoyen qui a envie de parler de cette violence du monde, de pleurer et de se battre. Et pour l’espoir, il recommande de lire Les sentiers de l'utopie d’Isabelle Fremeaux et John Jordan (2012), où de nouvelles communautés s’inventent et d’autres perdurent déjà.

 

Alexandra Budde

 

Vous reprendrez bien un peu de liberté… ou Comment ne pas pleurer?, du 27 octobre au 7 novembre à Saint-Gervais Genève Le Théâtre.
Renseignements et réservations au +41.22.908.20.00 ou sur le site du Théâtre www.saintgervais.ch

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