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Né de mère française et de père algérien

Publié le 13.02.2017

 

Ahmed Belbachir est issu d’une famille mixte comme il y en a des milliers en Europe. Dans No Body Is God, l’auteur est acteur, aux côtés de son fils, Jean Aloïs Belbachir, pour raconter une simple histoire de famille où tendresse et humour règnent en maîtres. Les comédiens Barbara Baker, Véronique Montel et Karim Bel Kacem complètent la distribution de ce clan qui va traverser cinq décennies de l’histoire de la seconde moitié du 20ème siècle, entre espoirs, défis de l’intégration et montée de l’intégrisme. A voir du 21 février au 11 mars au Théâtre Saint-Gervais à Genève. Interview.

 

 

Est-ce la soixantaine ou le fait d’être devenu récemment grand-père qui vous ont donné envie de raconter l’histoire de votre vie à travers une fiction tendre et plutôt humoristique?

C’est avant tout le contexte interculturel actuel qui m’a poussé à réagir et à parler de mon expérience. Celle d’un être né de l’amour d’un musulman et d’une chrétienne deux personnes issues de deux cultures aujourd’hui encore irréconciliables. C’est en creusant une matière fondamentalement tragique que j’ai trouvé la comédie. Ou plutôt, c’est la comédie qui m’a attrapé sans que je m’y attende. Oui, le rire est salvateur, voilà ce que je retiens de cette expérience. Et puis c’est un trait bien connu de la culture musulmane, qui prend les choses avec humour et légèreté, elle qui a pourtant connu tant de guerres et de colonisations. L’humour est une arme et la tragédie n’en devient que plus forte à travers lui.

 

En quoi le racisme d’aujourd’hui se différencie-t-il de celui de votre enfance?

Le racisme d’aujourd’hui est sournois. Avant il y avait les animaux et les hommes, mais maintenant que la science a démontré que toutes les sociétés humaines faisaient partie de la grande famille de l’homo sapiens, des murs invisibles se sont dressés. La colonisation se poursuit, mais plus de manière frontale. Le monde a changé de visage. Hier, des peuples s’affrontaient, aujourd’hui le monde n’appartient plus qu’à une poignée d’hommes qui ont asservi l’humanité, qui tel un vassal préserve l’acquis de son maître en échange de protection. Une chose aussi folle que ça se passe aujourd’hui. La communication semble définitivement rompue et empêche de créer un monde avec l’autre. C’est pour cette raison que j’ai choisi de parler de la vie d’une famille mixte, où l’amour est seule religion et en qui beaucoup de gens peuvent se reconnaître.

 

«Je suis fils de Dieu» disiez-vous à des flics qui vous arrêtaient dans Le silence de Katie (Prix SSA 2009). Qu’exprimez-vous aujourd’hui à travers le titre de cette pièce No Body Is God?

Ce qui différencie l’islam, le christianisme et le judaïsme, les trois grandes religions monothéistes, concerne la divinité du Christ: les Juifs ne le reconnaissent pas comme messie, les Musulmans disent que c’est un prophète et les Chrétiens le considèrent comme Dieu incarné. A force de conciles et de schismes, les théologiens sont peut-être ceux qui ont fait le plus de mal à l’humanité, parce qu’ils ont séparé et utilisé ce concept de la divinité. C’est ce que sous-entend le jeu de mots entre no body et nobody: aucune personne n’est Dieu et aucun corps ne peut se prendre pour Dieu, comme celui qui se fait exploser en son nom, car à ce moment-là, il n’est qu’un corps. Quelle part de divinité contient un corps?

 

A vos côtés sur scène, votre fils, le comédien Jean Aloïs Belbachir, un choix dès l’écriture?

Bien sûr! J’ai voulu m’inspirer de ma micro-histoire pour atteindre la grande. On s’immisce dans une simple histoire de famille, traversée par le temps. Même si les scènes ne se suivent pas chronologiquement, le fil est celui de la famille, la mienne, qui se poursuit aujourd’hui avec mon fils qui est devenu un très bon comédien et père à son tour, et ma fille aussi, Anna, qui elle étudie la musique et signe celle de la pièce.

 

 

Lorsque vous revêtez le rôle de votre père, et votre fils le vôtre, que se passe-t-il émotionnellement entre vous? Quelle est la phrase la plus émouvante que vous lui dites?

C’est en train de se passer, c’est quelque chose de très fort qui s’exprime de manière très simple. Nous nous aimons profondément et je crois que cette tendresse va se voir sur scène. Une relation entre un père et son fils, comme celle que j’avais avec mon propre père. Dans le texte, il n’y a pas de grande déclaration, car une certaine pudeur perdure également entre père et fils. Disons qu’il y a une transmission, à la vie comme à la scène et celle-ci est en train de fleurir sur les planches de Saint-Gervais. Mon père me disait: «Si tu fais le bien alors que tu n’as rien, Dieu te le rend au centuple.» C’est exactement ce que je transmets à mon fils à travers la pièce, lorsqu’il me demande pourquoi je prête de l’argent alors qu’on n’en a pas. Un adage qu’on retrouve dans les trois religions monothéistes, soit dit en passant. Seul le cœur parle ici et il est souvent plus bavard dans les non-dits.

 

Trente-deux ans après sa dernière création, Philippe Macasdar, le directeur de Saint-Gervais vous rejoint à la mise en scène.

Avec Philippe, nous sommes amis depuis plus de 30 ans et nous nous connaissons bien. Je savais donc qu’il avait envie de renouer avec la mise en scène après tant d’années où il s’est consacré à la direction du Théâtre Saint-Gervais et à son ouverture sur le monde. Et comme j’avais décidé de jouer également dans ma pièce, je cherchais un regard extérieur pour la mise en scène à mes côtés. Nous nous sommes encore entourés d’un regard féminin en celui de ma belle-fille, la comédienne française Ambre Kahan, un vrai tiercé gagnant. Dans cette création, chacun, les comédiens comme la décoratrice-costumière Mireille Dessingy, a amené ses réflexions pour donner vie à une seule voix, celle de la grande famille du théâtre.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

No Body Is God, une pièce de et avec Ahmed Belbachir à découvrir au Théâtre Saint-Gervais à Genève du 21 février au 11 mars.

Renseignements et réservations au +41.22.908.20.00 ou sur le site www.saintgervais.ch

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