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Pamela : une brouteuse à Saint-Gervais

Publié le 26.10.2016

 

«Chauffer le rognon», «chak-chak», «dallasser»… Ces termes qui interpellent les oreilles et crépitent sous la langue sont issus de différents pays d'Afrique mais s'utilisent tous dans le même contexte: la drague et la séduction. Cette langue particulière a fasciné la metteure en scène Marielle Pinsard qui reprend son spectacle On va tout dallasser Pamela ! au Théâtre Saint-Gervais à Genève du 2 au 12 novembre. Fruit d’une méticuleuse récolte de matériaux (textes, témoignages, photos…) et d’un travail de plateau avec la troupe de comédiens dont chacun des membres apporte son vécu et son parlé, le projet a été présenté pour la première fois en mars 2016 au Théâtre de Vidy.

 

Découpé en suite de saynètes portées par une mise en scène colorée et joyeuse et une musique entraînante, la pièce cerne les rapports hommes-femmes mais également ceux qui réunissent l’Afrique et l'Europe. Le personnage du brouteur ou de la brouteuse prend ainsi une place centrale: ces Africains qui draguent par Internet et inventent des combines pour recevoir des soutiens financiers sont un vrai phénomène de société, notamment en Côte d'Ivoire où le contexte est particulièrement difficile. Pour la metteure en scène lausannoise, les techniques de drague renvoient à des codes bien définis qui, s'ils ne sont pas exempts d'un certain cliché, interrogent nos propres comportements vis-à-vis de la séduction mais également notre rapport à nous-mêmes et à la société. Marielle Pinsard nous en dit plus.

 

 

Depuis la version créée au Théâtre de Vidy, la distribution de votre pièce a changé, comment cela influence-t-il votre travail?

Il y a eu trois changements sur huit personnes. Cela nécessite une nouvelle écriture en fonction du vécu du comédien ou de la comédienne, selon son quartier ou ses expressions. En Afrique, chaque quartier a sa propre façon de draguer. J'ai fait ce travail en amont, par mail ou en rencontrant les personnes, mais l'écriture s'affine toujours sur le plateau. Même si le style d'écriture est homogène, je me suis attelée à garder exactement le parler des témoignages que j'ai reçus, tellement leur français est particulier et fleuri.

 

Vous avez arpenté différentes régions d'Afrique, qu'est-ce qui vous a le plus étonné dans ces différentes techniques de drague?

L'esprit autour de la drague me fascine en Afrique. C'est tellement cliché ou bateau qu'on ne pourrait jamais penser que cela fonctionne. Mais dans les faits, ça marche. C'est un mystère très intéressant pour moi. Il y a aussi l'imagination qu'ils ont pour organiser des arnaques. On le raconte dans le spectacle, il y a un mec qui a quand même réussi à vendre la forêt d’Abidjan à un Saoudien… et cela se situe au-delà de la crédulité. C'est un art. Art dangereux, graveleux, que l'on peut trouver immoral, mais c'est vraiment un art.

 

Il y aussi une dimension de jeu…

C’est un jeu-spectacle. Ce qu'il faut souligner, c'est que les gens ne font pas cela seulement parce qu'ils ont besoin d'argent mais parce qu'ils aiment jouer, ce n'est pas uniquement un jeu de nécessité. En Afrique, les gens râlent souvent mais ne se plaignent pas beaucoup de leurs conditions, ils sont dans autre chose car sinon ce serait encore pire que ce qui se passe maintenant. Cela m'a frappée et ce qui est d'autant plus drôle, c'est que toutes les couches sociales sont dans ce jeu du brouteur, c'est à celui ou celle qui aura la meilleure astuce. C'est le mouvement d'une époque.

 

 

Quel est justement le statut du brouteur dans la drague?

Ce qu'il faut relever, c'est que toute l'Afrique de l'Ouest ne pratique pas le broutage, ce sont surtout les pays qui ont été touchés par la guerre de 2002. Les gens font des arnaques, pas forcément énormes mais pour un salaire africain cela fait vite beaucoup d'argent qu'ils font flamber dans les soirées. On montre ainsi l'argent qu'on a réussi à gagner, la «dette coloniale» comme ils disent, et cela attire les gens, on se dit que ces personnes sont géniales. Il y a partout dans le monde une fascination et une célébration autour de l'argent. En Suisse, on admire le trader et le fromager, à Abidjan c'est le brouteur ou la brouteuse.

 

Vous avez travaillé avec DJ Petit Piment (DJ Fessé dans le spectacle) qui a composé les musiques de la pièce et qui depuis cartonne en Afrique. Comment avez-vous vécu cette aventure?

Grégory Duret est d'abord un excellent musicien. Il connaissait déjà bien l’Afrique avant de faire ce spectacle et c'est un excellent danseur, il a un effet Kiss Cool. Il rigole au début, les Africains sont un peu attirés par son côté électro coupé-décalé mais dès qu'il bouge c'est de la folie. Il a fait un premier concert en Côte d’Ivoire devant sept ou huit mille personnes. Abidjan, c'est le New-York de la belle époque, dès qu'il y a une nouveauté les gens adorent et se jettent dessus. La musique a toujours beaucoup d'importance dans mes pièces, elle n'est pas là seulement en soutien mais c'est une part totalement intégrée au théâtre, un personnage en soi. Grégory va faire de nouvelles musiques car les nouveaux comédiens vont forcément changer le rapport du groupe. C'est donc un nouveau spectacle.

 

Propos recueillis par Marie-Sophie Péclard

 

On va tout dallasser Pamela ! de Marielle Pinsard, du 2 au 12 novembre au Théâtre Saint-Gervais à Genève.

Renseignements et réservations: +41.22.908.20.00, billetterie@saintgervais.ch ou sur le site du théâtre www.saintgervais.ch

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