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Racine au cœur de l’émotion

Publié le 06.09.2016

 


Unité de l’action, universalité du propos et vers cristallins, voilà ce que recèle Bérénice. En représentation au Théâtre de l’Orangerie du 13 au 29 septembre, cette œuvre est un pied de nez à ceux pour qui tragédie rime avec sang et mort – pas de shock value chez Racine. Pourtant, l’émotion y est développée et entretenue sans effort apparent. Le metteur en scène Didier Nkebereza, féru de Jean Racine, dévoile son approche de Bérénice.

 

 

Après Iphigénie de Goethe et Horace de Corneille, vous vous tournez vers Bérénice de Racine. Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement chez les auteurs classiques?

Ces auteurs ont écrit des textes très puissants. Leurs œuvres ont, malgré leur âge, encore beaucoup de choses à raconter, et cela dans des formes exquises. Le XVIIème siècle, c’est aussi l’âge d’or du théâtre, l’époque d’un foisonnement d’œuvres capables de décrire l’être humain et les contraintes auxquelles il est confronté. Ces textes possèdent à la fois la beauté de la forme et la beauté du fond.

 

En quoi Bérénice est-elle une pièce particulière pour vous?

Tout simplement parce que mon auteur phare est Racine. J’ai déjà approché Corneille, que Racine connaissait jusqu’au bout des doigts. J’ai également étudié Racine par la postérité, à travers l’Iphigénie de Goethe, qui s’inspire du modèle dramaturgique racinien. Après ces méandres, j’ai pensé qu’il fallait s’attaquer à l’auteur autour duquel ma vie s’est focalisée. Racine me fait frissonner.

À l’heure actuelle, j’ai également le bonheur incroyable d’avoir une troupe. J’aime travailler avec ces gens que j’ai mis quinze ans à rassembler. On n’a plus besoin de s’expliquer nos codes, car on se connaît bien. Nous sommes tous de grands amoureux du théâtre, du texte, du jeu et de Racine, et nous formons une sorte d’équipe de chercheurs. Mon interprète fétiche est Frédéric Landenberg, qui joue Titus. Il est dans toutes mes créations. C’est aussi la troisième fois que je travaille avec Camille Giacobino, qui incarne Bérénice. Le trio des personnages principaux est complété par David Marchetto. Ils sont mes interprètes-piliers et nous sommes en relations dans la très longue durée.

 

Vous avez opté pour une mise en scène sobre, et n’avez pas voulu moderniser le texte original. Pourquoi?

Il s’agit de respect pour le public francophone. À tort ou à raison, il existe depuis le XVIIème siècle une querelle entre les «modernes» et les «anciens», et la francophonie, contrairement à d’autres cultures, a toujours fait le choix des anciens. Faire également ce choix me permet de toucher le plus grand public – ceux qui sont attachés à la langue aussi bien que ceux qui ont envie d’avoir un accès libre à l’œuvre. Je reste d’avis que les réécritures sont une perte, parce qu’elles sont un choix particulier de relecture d’une œuvre. Lorsque les choix se limitent à la mise en scène, on permet tout de même aux spectateurs d’aller dans les directions qui sont les leurs, selon leurs envies, et j’aime bien laisser cette liberté-là. Et les textes de Racine sont tellement beaux tels quels…

 

Comment ajouter son grain de sel à une pièce jouée depuis si longtemps?

Cela fait cinq ans que Bérénice n’a pas été montée à Genève. Les œuvres auxquelles je m’intéresse sont très souvent lues, mais rarement montées. Le terrain est donc assez vierge. Dans le cas de Bérénice, la distribution permet d’avoir assez facilement une influence sur la pièce. En effet, une particularité de l’œuvre est que l’âge des protagonistes n’est pas défini. Certaines mises en scène ont opté pour des Titus et Bérénice très jeunes, d’autres pour des plus âgés, parce que le texte laisse cette latitude. J’ai moi-même fait le choix d’avoir des Titus et Bérénice de l’âge de ma génération – ils ont un peu plus de quarante ans.

 

 

Il y a finalement assez peu d’action et de rebondissements dans Bérénice. Quels challenges cela représente-t-il ?

Le grand challenge avec Racine, c’est d’oublier tout ce qui a été dit et écrit sur Racine. Je peux vous garantir que la pièce recèle un certain nombre de choses! Évidemment, ce mythe de «il ne se passe rien dans Bérénice» a été favorisé par Racine lui-même, qui était très fier de clamer qu’il avait fait quelque chose à partir de rien.

 

La scène V de l’acte IV, dans laquelle Titus et Bérénice se retrouvent face à face et s’expliquent, est très forte émotionnellement. Titus dit notamment: «Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner».

C’est l’une des scènes les plus célèbres de l’histoire du théâtre et elle contient parmi les plus beaux vers. Fondamentalement, c’est une grande scène d’amour entre un homme et une femme qui s’aiment à la folie, et qui arrivent à un stade où leur amour n’est plus compatible avec les autres éléments de leur vie. C’est une scène difficile pour les acteurs. Après de très nombreuses répétitions, ils ont du plaisir à la jouer. Mais ils travaillent pour être les meilleurs possibles et être à la hauteur du bijou que l’auteur leur a donné.

 

Pensez-vous que les notions d’amour, de devoir et de sacrifice, tels que représentés dans Bérénice, parlent au public d’aujourd’hui?

Bien sûr. Quand Titus dit «Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner», je pense que ça parle à beaucoup d’hommes et de femmes qui font des choix de carrière, ou qui renoncent à faire des enfants pour leur travail. À l’époque de son écriture, la pièce a été un hit, et je pense qu’elle tient encore énormément en haleine le public d’aujourd’hui. Tout le monde connaît les déchirements entre ce qu’on aimerait faire et ce qu’on doit faire. Ces dynamiques sont particulièrement fortes dans les couples, et sont même souvent les raisons qui signent leur fin. Le thème de cette pièce est intemporel, et je trouve son propos très actuel.

 

Propos recueillis par Marie Berset

 

Bérénice de Racine, mise en scène Didier Nkebereza - Genève, Théâtre de l’Orangerie du 13 au 29 septembre 2016.

Renseignements et réservations au +41 22 700 93 63 ou sur le site www.theatreorangerie.ch

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