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Rêve et réalité se mélangent au TMG

Publié le 05.04.2016

 


Isabelle Matter crée Si je rêve aux Théâtre des marionnettes de Genève du 5 au 24 avril, une adaptation de La vie est un songe de Pedro Calderón de la Barca que la directrice de l’établissement a recomposée avec Domenico Carli.

Sigismond est élevé à l’écart du monde dès son plus jeune âge, parce que son père a cru aux mauvais présages annonçant que son fils deviendra un futur despote et son ennemi intime. Pris de regret, le roi, devenu dans cette adaptation un scientifique tyrannique, se résout à mettre son fils à l’épreuve en le plaçant dans la position de l’héritier privilégié, tout en lui faisant croire qu’il peut s’agir d’un rêve. Isabelle Matter, à l’origine de cette création nous entretient de cette fable sur le pouvoir.

 

 

Qu’est-ce qui a motivé votre choix dans la volonté d’adapter ce roman philosophique pour le théâtre de marionnettes?

Pièce de l’âge d’or espagnol, elle m’a séduite il y a longtemps par son côté très chatoyant dans les mots et les expressions que Calderón utilise. J’aime cette langue imagée dont l’auteur joue avec brio. Mais c’est surtout la fable que l’histoire contient qui m’a donné envie de la monter: ce père qui enferme son fils, Sigismond, en vue d’une éventuelle agression de ce dernier envers lui, créant lui-même cette violence potentielle en l’isolant physiquement et affectivement dans une tour de son château. Loin des règles sociales, il y reçoit de la nourriture et une éducation, mais rien de ce qui fait de nous des êtres humains.

 

Pour l’écriture, vous vous êtes entourée de l’auteur Domenico Carli avec qui vous aviez déjà collaboré pour l’adaptation d’Antigone de Sophocle en 2010 (Un Os à la Noce). Lorsque vous avez envisagé Calderón, avez-vous d’abord pensé au texte ou à la forme des marionnettes?

En me projetant dans cette adaptation, j’ai tout de suite eu cette image de Sigismond enchaîné, que je me suis figurée par une marionnette à chaînes manipulée par le haut. La poésie du texte de Calderón se prête également très bien à la marionnette. Nous avons d’ailleurs choisi d’insérer quelques extraits en vers du texte original qui seront véritablement scandés en marge du jeu. L’enjeu du texte a surtout été d’en gérer la longueur sans en perdre l’essence, car la marionnette supporte moins bien la parole qu’un acteur au théâtre et il faut trouver comment on la lui donne. Nous avons fait le choix de suivre la structure de base de l’histoire en la simplifiant pour qu’il ne reste vraiment que du jeu et des images fortes dans les situations de l’intrigue. Maintenant que je mets la pièce en scène, nous appliquons encore chaque jour des retouches pour gagner en lisibilité, et Domenico vient apporter sporadiquement un regard extérieur qu’on perd lorsqu’on est plongé dans la mise en scène.

 

Si je rêve est conseillé dès 10 ans, à quel moment choisissez-vous la tranche d’âge à laquelle va s’adresser le spectacle?

Dès le début, nous avons vu une corrélation dans cette thématique de la découverte du pouvoir entre la vie de Sigismond et celle des préadolescents qui, au sortir du monde confiné de l’enfance, doivent également apprendre à gérer leurs pulsions et leur tempérament, une chose qu’ils ne peuvent faire qu’en compagnie des autres. Je porte aussi beaucoup d’attention à ce que mes spectacles soient un moment de partage familial, qui sorte du quotidien où chacun "zappe" dans son coin sur divers supports médiatiques. Il me tient à cœur que cette sortie en famille soit autant un plaisir pour les enfants que pour les adultes, durant le spectacle, comme après, lors d’échanges sur celui-ci.

 

Sur scène, marionnettes à tringles, à fils et à chaînes se mélangent à des personnages grandeur nature incarnés par les trois comédiens-manipulateurs masqués. A quels défis scéniques avez-vous été confrontée?

Dans la mise en scène, le monde des enfants est symbolisé par les marionnettes à tringles, à fils et à chaînes et celui des adultes par les comédiens-manipulateurs dont un masque dépeint le personnage. En mélangeant les échelles des marionnettes, nous avons dû veiller à ce que la lumière guide le regard des spectateurs sur l’action principale, car les trois comédiens-manipulateurs, Liviu Berehoï, David Gobet et Hélène Hudovernik, interprètent les huit personnages de l’histoire à eux seuls. Créer une scène où presque tous les personnages étaient présents a relevé notre plus grand défi de mise en scène.

 

 

Replacer cette œuvre baroque espagnole au début du 20ème siècle vous semblait-il aussi essentiel que de trouver une fin heureuse aux deux héros?

Oui, car il y a une ambiguïté dans la fin de La vie est un songe. Calderón est censeur du roi à l’époque où il écrit cette pièce et il veut lui plaire en dénonçant la lâcheté et l’abus qui peuvent exister dans l’occupation du pouvoir. A la fin, Rosaure, le double féminin de Sigismond, venue récupérer son honneur, tombe amoureuse de Sigismond, mais chez Calderón Sigismond refuse cet amour pour le bien de l’honneur justement, qui est la valeur fondamentale de l’époque. Pour clore cette fable, nous avons choisi de plaire au public de notre époque, dont les valeurs permettent aux âmes sœurs de se retrouver, après tant de tribulations, pour profiter de la vie.

 

«Le monde n’est qu’apparence, le théâtre n’est qu’illusion» écrit Calderón, que nous révèle cette histoire sur notre humanité?

Calderón a aussi écrit Le grand théâtre du monde, où il raconte ce qui se joue sur la scène du genre humain. Nous avons profité de cette métaphore pour en jouer: «Qu’importe si c’est un rêve», dit Sigismond. Car sait-on seulement quand on rêve? Qu’importe où se trouve la réalité finalement, du moment qu’on sait qui on est et qu’on s’investit dans ce qu’on croit et dans ce qu’on aime.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Si je rêve - Théâtre des Marionnettes de Genève du 5 au 24 avril 2016

Renseignements et réservations au +41.22.807.31.07 ou sur le site www.marionnettes.ch

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