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Une saison de marionnettes

Publié le 19.06.2017

 

Sur le graphisme de Silvia Francia qui accompagnera la saison, on retrouve un fil, celui qui relie le manipulateur à la marionnette, mais il est aussi le symbole du lien intergénérationnel qu’Isabelle Matter souhaite mettre en évidence à travers sa programmation. «Le graphisme que nous avons choisi vise à donner une lecture aussi satisfaisante aux adultes qu’aux enfants, car les propositions pour le jeune public sont des spectacles que j’ai eu beaucoup de plaisir à voir en tant qu’adulte, et il est fondamental que l’accompagnant d’un enfant puisse lui transmettre ses ressentis, son plaisir, pour qu’il puisse recevoir le spectacle d’une manière encore plus riche». S’il est important que toutes les générations puissent profiter du spectacle, Isabelle Matter a sélectionné cinq spectacles destinés au public adolescent-adulte, car la marionnette contemporaine n’est pas l’apanage exclusif des enfants comme on pourrait le croire. Interview.

 

 

Cinq des douze spectacles programmés sont destinés au public adolescent et adulte. Un choix que vous avez fait dès votre arrivée au TMG en 2015.

Mon prédécesseur Guy Jutard mettait déjà l’accent sur la création adulte, ce qu’on appelle aujourd’hui la marionnette contemporaine, et c’est une cause qu’il me tient à cœur de poursuivre en la mettant en avant dans la programmation du TMG. D’une part parce que je constate que même dans mon entourage certaines personnes croient encore que la marionnette est réservée aux enfants, et que par ailleurs, ce changement de mentalité ne peut s’opérer que par la reconnaissance professionnelle officielle de l’art de la marionnette, ce qui n’est pas le cas en Suisse. Mais les choses changent, comme en France où l’École nationale supérieure des arts de la marionnette (ESNAM) à Charleville-Mézières délivre depuis 2016 un diplôme national supérieur de comédien, spécialité acteur-marionnettiste, permettant d'obtenir une licence universitaire en Arts du spectacle, option Arts de la marionnette.

 

La saison débute d’ailleurs avec l’une d’elles, White Dog, une adaptation du roman de Romain Gary de 1970 qui porte sur la question de l’éducation et du racisme.

C’est un auteur brillant, lucide et fondamentalement humaniste que je me suis empressée de relire après avoir vu un spectacle de la compagnie française Les Anges au Plafond, qui présentera en octobre cette création où se croisent marionnettes, théâtre d’ombres, pop-up, sculpture et musique en direct. La cie reprendra l’histoire de ce chien dressé à ne s’en prendre qu’aux noirs dans l’Amérique de la fin des années 60, époque dans laquelle a vécu l’auteur. Si ce dernier croit en la valeur de chaque individu et à sa capacité à se réorienter, cette création posera plusieurs questions: l’humain peut-il dépasser la haine quelle qu’elle soit? Est-il possible de désamorcer cette dernière complétement?

 

 

A ce titre, la compagnie franco-norvégienne Plexus Polaire montrera que les tréfonds de l’âme humaine peuvent être disséqués sans paroles dans Cendres, créé d’après le thriller psychologique Avant que je me consume de Gaute Heivoll.

Ce spectacle n’est pas complétement sans paroles, puisque le texte sera projeté, mais il reste uniquement à l’écrit. Il s’agit ici des mots du narrateur, de sa quête d’identité par le biais d’une enquête intérieure, en commençant par l’année de sa naissance où un pyromane fait rage dans son village. D’entre les marionnettes à taille humaine, les ambiances musicales et les effets visuels saisissants, se dégage une atmosphère sombre et inquiétante où on peut apercevoir notre propre folie. C’est un spectacle marquant, primé de nombreuses fois, notamment par le Drac d'or pour le meilleur spectacle décerné en 2016 par le Jury des Festivals Internationaux à Fira de Titelles de Lleida en Espagne.

 

 

De votre côté vous remonterez en 1938 avec Un fils de notre temps d’après Ödön von Horváth.

Ce n’est pas si étonnant de retourner chercher la substance qui a permis à ces grands auteurs de traverser le temps jusqu’à nous. Leurs œuvres sont souvent plutôt universelles et ouvertes, nous permettant de nous y projeter à n’importe quelle époque et peut-être encore plus avec Horváth lorsqu’il parle de cette jeunesse désillusionnée en proie aux idéologies violentes et radicales. A l’heure où on pensait les valeurs humanistes ancrées, je crois que nous sommes tous abasourdis par ces actions individuelles aussi extrêmes et dévastatrices, visant la destruction avant tout, entreprises aujourd’hui par de jeunes européens. Horváth, qui a vécu la montée du nazisme et la transformation idéologique qui l’a accompagnée, retranscrit parfaitement dans cette pièce le profit qu’on peut faire du désarroi et de la perte de repères d’une jeune génération.

 

Les plus petits auront aussi de quoi aiguiser leur sens avec notamment la deuxième création maison de la saison Les petits cochons 3, le retour, de Claude-Inga Barbey qui a créé de nombreux spectacles au TMG dont l’épique Madame Karembarre d’après le conte Hänsel et Gretel, qu’elle avait présenté au TMG en 2012.

Claude-Inga a un grand amour pour la marionnette. Elle a fait beaucoup pour elle et depuis longtemps. Aujourd’hui grand-mère, elle partage sa petite-fille avec l’autre grand-mère, sa grande amie comédienne Doris Ittig. L’histoire des trois petits cochons est la préférée de leur petite, parce qu’elle fait très peur, une peur totalement constitutrice dans ce conte de l’apprentissage de défenses pour la vie, ce qui a amené les deux femmes à cette création pour les enfants dès quatre ans. Un spectacle qui s’annonce plutôt épique et pétaradant puisque les cochons en ballons de baudruche seront aux côtés d’alliés hérissons!

Les tous petits dès deux ans auront aussi de quoi se réjouir avec Après l’hiver, une coproduction du TMG avec la Genevoise Fatna Djahra et son Théâtre l’Articule qui mêle théâtre d’objet, marionnettes de table, théâtre d’ombres et dessin en direct, et Não Não de la Cie française Le Vent des Forges, qui elle ne se sert que de l’argile manipulée pour créer ce spectacle très poétique.

 

Le TMG, c’est aussi un lieu de rencontres que vous étoffez cette saison avec le Cabaret en chantier.

Le Cabaret en chantier est une nouvelle proposition par laquelle nous inviterons huit artistes concepteurs confirmés à travailler pendant plusieurs semaines sur leurs projets personnels entourés de l’auteur et directeur du Théâtre Am Stram Gram Fabrice Melquiot pour la dramaturgie et de la metteure en scène Emilie Flacher pour la mise en forme marionnettique. Le fruit de leurs rencontres sera présenté sous la forme d’un cabaret en fin d’année pour clôturer la saison sur une note festive et colorée.

Les marionnettistes amateurs pourront aussi mettre la main à la pâte avec la formule du Grand et des Petits chantiers, des ateliers qui permettent à tous de se sensibiliser aux arts de la marionnette pendant les vacances scolaires ou lors de week-ends avec des représentations publiques à la clé pour certains.

Le public est également invité à se rencontrer autour des précieux témoignages de l’histoire et de la vie du Théâtre réunis dans l’exposition Le fil d’une passion qui se tient à l’espace Quartier libre des SIG jusqu’au 15 octobre 2017, visibles également sur Internet où réside notre musée virtuel Expo 2.0.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Découvrez la saison 2017/2018 du Théâtre des Marionnettes de Genève en détail sur leprogramme.ch ou sur le site du théâtre www.marionnettes.ch

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