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Vertical Influences: un autre patinage

Publié le 16.12.2016

 

Avec Vertical Influences, le Théâtre Forum Meyrin en partenariat avec la patinoire des Vergers réunit le monde culturel et sportif le temps d’un spectacle. Conçu par le collectif montréalais Le Patin Libre, pionnier d’un patinage contemporain et inspiré, cette création inédite emmènera son public loin des stéréotypes et des paillettes du 20 au 22 décembre. Alexandre Hamel, un des membres fondateurs de la compagnie, s’est fait le porte-parole de ces athlètes de haut niveau qui n’ont pas trouvé leur compte dans les spectacles de fantaisie proposés dans les patinoires du monde entier.

 

Dans Vertical influences, il est autant question de survie de l’individu au sein d’un groupe que d’un art au sein d’une discipline.

Tous les membres de notre collectif étaient des marginaux dans le milieu du patinage dit artistique, celui des jeux olympiques et des divertissements sur glace bien connus, car ils souhaitaient sortir de leurs conventions ultraconservatrices laissant peu de place à l’innovation. C'est ce que nous montrons dans une première partie du spectacle, l’influence que nous avons connue dans le monde sportif, celle de l’incitation, du leadership et de la compétition, et celle que nous avons eue les uns sur les autres à travers notre recherche d’émancipation de la création dans le patinage.

Dans la deuxième partie, notre groupe a trouvé son équilibre et fête cette harmonie avec le public, face à lui, réuni sur des sièges spécialement installés sur la glace, à la position habituelle du gardien de but. En quittant le modèle de l’arène, nous nous rapprochons des spectateurs et inversement. On y joue avec la glisse, la vitesse et la perspective de la patinoire, ce qu’une scène offre très rarement. Nous apportons notamment le son de nos lames et le souffle de nos corps en mouvement au plus près du public. Cette expérience sensorielle très spéciale est amplifiée par la musique originale de Jasmin Boivin, un des patineurs du collectif également violoncelliste. Ces mélodies ont été écrites durant le processus de création, de la même manière que la chorégraphie, comme un écrin aux sons naturels du patinage.

 

Comment qualifiez-vous la forme d’expression artistique que vous avez développé?

Nous l’appelons du patinage contemporain, en référence à la danse contemporaine, et plus précisément à la danse urbaine – symbole le plus vivant et le plus diversifié de la libération du mouvement au 21ème siècle – dans cette envie de débarrasser à son tour le patinage dit artistique de ses codes et de son show-business. Car dans les grands spectacles sur glace, le patinage est au service d’une histoire, un outil pour créer un divertissement à grand déploiement, effets spectaculaires et mascottes à l’appui. A l’inverse, notre scénographie est très modeste, car c’est la valeur intrinsèque du patin qui nous intéresse, l’essence du geste, la glisse, ce phénomène magique qui permet à un corps immobile de se déplacer sans bouger, la seule raison d’être de nos recherches. Il faut savoir que dans les représentations du patinage dit artistique, les chorégraphies sont faites en deux ou trois jours seulement. Vertical Influences a mis deux ans et demi à trouver sa forme définitive.

 

 

Vous proposez de réelles œuvres d’auteurs, créées à l’image de l’écriture de plateau au théâtre, pensez-vous que le patinage n’a pas eu d’envolée artistique par manque de "mise en scène"? 

Il y a eu plusieurs impulsions artistiques dans le domaine du patinage traditionnel. Je pense notamment à Christopher Dean, ce patineur britannique né en 1958 qui, avec sa partenaire Jayne Torvill, a été mondialement connu pour leur interprétation en danse sur glace du Boléro de Maurice Ravel en 1984. Leur compréhension de la glisse, leur bon goût et leur modestie offraient à leurs prestations une tonalité nouvelle dans le monde du patinage olympique. Christopher a ensuite signé les chorégraphies des franco-canadiens Duchesnay, Isabelle et son frère Paul, champions du monde en 1991 à Munich et vice-champions olympiques aux jeux d'Albertville en 1992. Leur modernité avait été récompensée, mais seuls, il leur était difficile d’aller au-delà de ces prémices d’œuvre performative contemporaine et de se présenter devant des publics qui seraient là pour voir de l’art et non une compétition athlétique. Une autre étoile parmi ces marginaux que nous adorons, le Canadien Gary Beacom, qui, à la soixantaine, offre un patinage exceptionnel et recherché, salué par la critique.

 

Le Patin Libre est d’abord né d’occupations artistiques militantes, car au Canada, danser (comme de se tenir par la main, lever les jambes, patiner à reculons, sauter ou pirouetter) est strictement interdit. Comment expliquez-vous ces règles drastiques dans un pays où le patin est une tradition?

La tradition, c’est celle du gymnase sportif, très conservateur, pas de la patinoire publique que vous connaissez en Europe. Au Canada, les infrastructures appartiennent toujours à des clubs. Alors vous pensez bien que notre travail leur semble totalement hors de propos, surtout dans le milieu du hockey. C’est pour cette raison que nous avons occupé les étangs où les gens peuvent aller patiner, sans surveillance la plupart du temps, puisque ces étangs sont gérés par les services de loisirs municipaux. C’est là que nous avons trouvé nos premiers encouragements.

 

 

Votre statut a-t-il changé depuis 2005?

Le patinage contemporain n’était pas reconnu comme une forme artistique par le Conseil des Arts du Canada, mais en 2010, après nos nombreuses actions de sensibilisation depuis 2005 et un manifeste (2007), notre projet de patinage a été le premier à être officiellement reconnu en tant qu’initiative artistique professionnelle. Cela a permis aux membres de notre collectif de pouvoir s’investir à long terme grâce aux subventions obtenues qui nous ont permis de louer les patinoires et de pouvoir nous exercer librement. Il faut comprendre que vous ne pouvez pas patiner sur un étang en extérieur plus de quarante minutes lorsqu’il fait moins vingt degrés. En plus vous devez porter de chauds vêtements qui ne vous permettent pas de bouger fluidement.

Ce qui a été décisif, c’est également le soutien que nous avons obtenu de la part des arts contemporains, nous invitant à participer à plusieurs festivals dans le monde en commençant en 2014 par le festival de danse contemporaine de Londres. Cela nous a permis de rencontrer le public culturel pour la première fois et celui-ci semble conquis puisque nous avons été primés en chorégraphie au festival d’Edimbourg en Ecosse et nominés au prix de la critique au Royaume-Uni en 2015.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Vertical Influences, un spectacle du collectif Le Patin Libre à découvrir à la patinoire des Vergers à Meyrin du 20 au 22 décembre 2016.

Un spectacle proposé par le Théâtre Forum Meyrin. Renseignements et réservations au +41.22.989.34.34 ou sur le site www.forum-meyrin.ch

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