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Virtuosité à l’épreuve

Publié le 09.03.2017

 

La Haute école de musique Genève – Neuchâtel organise régulièrement des manifestations publiques, seule ou en collaboration avec ses partenaires, de manière à habituer ses étudiants à l’expérience de la scène. Aussi, l’obtention du master en interprétation musicale filière soliste consiste essentiellement en une série de trois récitals publics (deux récitals de soliste et une épreuve avec orchestre), permettant de constater la maîtrise d’un noyau de répertoire. Ces productions artistiques sont également étayées par une réflexion écrite prenant la forme d’un mémoire. Sous la direction du chef invité Pierre Bleuse, l’orchestre de la HEM sera au côté des cinq candidats au master de soliste les 15 et 18 mars prochain au Studio Ernest Ansermet et dans la Grande salle du Conservatoire de Genève. Le point sur une filière qui a tout juste sept ans avec Philippe Dinkel, directeur de l’institution genevoise et Responsable du domaine Musique et Arts de la scène de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO).

 

 

Directeur du Conservatoire de musique de Genève depuis 1992, vous avez assisté au grand remaniement institutionnel qu’a connu le monde des hautes écoles dans les années 2000.

Le Conservatoire de Genève s’est targué dès l’origine d’avoir à la fois une mission de proximité pour le grand public et un enseignement de grande qualité pour de futurs professionnels. J’aime raconter que ce n’est certainement pas un hasard si le premier professeur de piano du Conservatoire en 1835 a été Franz Liszt, dénotant d’un certain standing, d’un souci d’excellence jamais démenti jusqu’à aujourd’hui.

C’est en 2009 que les filières professionnelles du Conservatoire, comme la filière rythmique de l’Institut Jaques-Dalcroze, ont été réunies sous la bannière de la Haute école de musique de Genève, une des six hautes écoles de Genève. Créée en 1998, la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) regroupe aujourd’hui plus de 20 000 étudiants parmi les 28 hautes écoles répartis en Romandie, structurant l’enseignement tant selon des axes cantonaux que sous forme de facultés, comme par exemple le domaine intitulé Musique et arts de la scène regroupe les hautes écoles de musique de Genève - Neuchâtel et Lausanne, ainsi que la Manufacture (Haute école des arts de la scène réunissant le théâtre et la danse).

Mais dès 1970, mon prédécesseur à la tête du Conservatoire de Genève, Claude Viala, et ses homologues à l’Université, avaient signé un protocole de collaboration qui permettait aux étudiants des deux institutions de bénéficier des services de l’autre. Notamment des enseignements, mais aussi des infrastructures comme les bibliothèques, dont j’ai pu bénéficier en primeur dans ma jeunesse. Ce climat de confiance établi nous a permis de traverser cette double mutation des années 2000, l’entrée des arts dans les hautes écoles et les réformes de Bologne (bachelor, master et doctorat) en trouvant une logique de complémentarité dans nos offres; permettant, comme j’avais déjà pu le faire durant mes études, de cumuler une licence de musicologie à l’Université et une virtuosité de piano au Conservatoire. Le bachelor en musique et musicologie que nous avons créé permet à nos étudiants de continuer tant vers un master à la HEM qu’à l’Université de Genève. Plus récemment, la naissance d’un master en ethnomusicologie, en partenariat avec l’Université de Genève et celle de Neuchâtel, a montré l’importance de la transdisciplinarité qui se développe aujourd’hui à la demande des étudiants, comme leur besoin de pratique.

 

Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui les HES n’offrent toujours pas de troisième cycle doctoral ou postgrade en leur sein?

Qui dit statut universitaire dit effectivement recherche et formation continue. Cette dernière a commencé à se développer à travers plusieurs projets, dont le plus emblématique est ce Certificat d’études avancées en gestion culturelle, qui est donné sur notre site de Neuchâtel. Mais le système suisse a ses limites dans le domaine des HES. Conçues comme des écoles pratiques orientées vers la profession, les HES n’ont pas le droit de décerner des doctorats, puisque le troisième cycle n’est pas inscrit dans la loi fédérale. Un choix tout à fait défendable, sauf que dans le domaine artistique – que ce soit la musique ou les arts plastiques – toute la concurrence européenne, du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris à l’Université des arts de la scène de Vienne, possède un troisième cycle. Des démarches et des négociations sont actuellement en cours concernant cette problématique cruciale, spécifique aux écoles d’art en Suisse.

 

 

Que recherchent les étudiants venus du monde entier à la HEM de Genève?

Traditionnellement, les étudiants viennent à la rencontre d’un enseignant de grande réputation qu’ils admirent et avec lequel ils ont envie d’approfondir leur formation. Les enseignants de la HEM sont des personnes qui ont tous une très grande activité de concertiste, comme Nelson Goerner qui a très peu d’étudiants et qui poursuit une superbe carrière de pianiste, ou encore Alexei Ogrintchouk qui se trouve être le hautboïste solo du Concertgebouw d’Amsterdam. D’autres encore ont une activité dans un grand orchestre comme celui de la Suisse Romande avec qui nous entretenons des liens très étroits.

J’ai aussi perçu aux dires des étudiants qu’à Genève, on trouvait une forme de communauté artistique internationale opposée à toute forme de pensée unique, et c’est ce "vivre ensemble", le temps d’un bachelor ou d’un master, qui leur permet de découvrir toutes les vertus sociétales de mise en commun de la musique, des valeurs qui me sont personnellement très chères.

En allant plus loin dans cette réflexion, le fait d’avoir ouvert un master en ethnomusicologie permet aussi à une minorité de se retrouver dans cette curiosité interculturelle, comme pour ceux qui ont développé ces dernières années des projets à connotation plus sociale avec le Conservatoire National de Musique Edward Saïd à Jérusalem, la Fundación del Estado para el Sistema de las Orquestas Juveniles e Infantiles de Venezuela, le Núcleos Estaduais de Orquestras Juvenis e Infantis da Bahia (NEOJIBA) au Brésil, le Kunitachi College of Music au Japon ou le Conservatoire de Shanghai. Cette dimension sociale a pris beaucoup d’importance ces dernières années à la demande des étudiants qui souhaitaient approfondir ce sujet, et j’en suis très heureux car il fait partie intégrante de l’esprit de Genève et de ses préoccupations politiques.

 

Quelles sont les modalités d’entrée à cette filière soliste de la HEM et celles pour l’obtention du master?

Cette filière n’accueille que six ou sept étudiants par an d’après des critères de sélection très exigeants, car nous ne souhaitons pas raconter des histoires à des étudiants entamant une carrière qui est de toute façon difficile et implique un entraînement pointu pour y faire face. Raison pour laquelle nous évaluons si le musicien est en mesure de se présenter à un concours international, et surtout, qu’il témoigne d’une proximité remarquable avec la scène, d’une personnalité singulière qui retient l’attention du public.

Pour nous assurer d’un niveau transversal à l’intérieur de l’école et du domaine, nous partageons avec nos collègues lausannois un dispositif commun d’entrée. L’étudiant désireux d’entrer dans une de nos écoles doit avoir en premier lieu le soutien de son professeur et présenter des lettres de recommandation et un préavis positif soit de la commission d’admission, soit du jury de leur dernier examen. Puis nous les réunissons, tous instruments confondus, pour jouer face à un jury qui est lui aussi transversal, comptant des cadres de l’école, une personnalité externe invitée et mon homologue de Lausanne lorsque je fais l’examen à Genève, et vice et versa.

 

Ces concerts seront également retransmis en direct par streaming sur www.hemge.ch et sur la page facebook de la HEM www.facebook.com/hemgeneve.

C’est la troisième fois que nous faisons cette opération, car les nouvelles technologies sont pour nous quelque chose de très important. C’est le bon côté de la mondialisation. Sur notre page Facebook nous relatons toute une série de succès de nos anciens étudiants qui ont amené certains jusqu’au Japon.

Pour les familles des candidats qui ne peuvent se rendre au concert, c’est aussi une occasion de pouvoir le partager tout de même en temps réel. Cette retransmission est aussi un facteur de stress pour les candidats, une contrainte qui fait également partie de la vie d’un musicien professionnel, à savoir la gestion du trac. Accessoirement, c’est aussi un beau souvenir pour les candidats d’un moment important de leurs études, soigné tant au niveau de l’image que de la prise de son, une belle carte de visite pour nos solistes de demain.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Au programme

Le mercredi 15 mars au Studio Ernest Ansermet, la harpiste Clémence Boinot interprétera le Concertino pour harpe de Ferenc Farkas dans la version de 1956. Au piano, Jansen Ryser s’emparera du Concerto pour piano n° 1 Op. 23 de Piotr Ilitch Tchaïkovski, tandis que Nathalia Milstein s’appropriera le Concerto pour piano en ré mineur n° 3 Op. 30 de Sergueï Rachmaninov.

Le samedi 18 mars dans la Grande salle du Conservatoire de Genève, place aux vents avec le clarinettiste Andrea Fallico, qui se saisira du Concerto n° 3 pour clarinette et orchestre de Louis Spohr, et du hautboïste Luis Mendoza pour un Concerto pour hautbois et petit orchestre en ré majeur de Richard Strauss mené.

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