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Voyage à L. A. au Grütli

Publié le 17.04.2015

 

Fresque d’anges contemplative

 

Sur la scène du Grütli, le sol est entièrement plastifié, luisant comme du macadam glacé. Ce bitume, c’est un peu celui de Los Angeles que le duo de la compagnie genevoise Avec_Production a arpenté en tous sens à la recherche d’anges à interviewer. Après Highway, présenté au même Grütli en 2012, ce quatrième spectacle nous emmène dans un ailleurs bien réel. A Los Angeles, dès la fin 2013, Alexandre Simon et Cosima Weiter ont rencontré, interrogé et filmé des migrants issues de différentes communautés, souvent d’origines latines, pour saisir ce qui caractérisait leur exil. « Los Angeles attire des migrants du monde entier, séduits par le rêve américain et portés par le sentiment que là-bas tout est possible », affirment-ils pour expliquer leur point de départ.

 

Résultat : Angels, en création en ce moment sur la scène genevoise. Sur le plateau, le comédien Pierre-Isaïe Duc, sonorisé, prête sa voix, dans un long monologue, aux personnes rencontrées par les co-metteurs en scène. Un professeur d’origine mexicaine marié à une afro-américaine, un Sikh qui tient une épicerie de nuit et fréquente des membres de gang tout en écrivant un vaste roman d’anticipation, une jeune femme membre d’un gang latino, un drag queen ou un architecte important… La palette de personnages est large. Mais pas question de voir le comédien Pierre-Isaïe Duc incarner une parole, des attitudes de chacun des personnages que l’on croise sur l’écran en fond de scène. Alexandre Simon et Cosima Weiter affirment leur choix d’une forme plus contemplative de théâtre, quitte à désarçonner le spectateur.

 

Loin de l’univers hollywoodien

Lors de la présentation d’Angels à la presse, on découvre un extrait. L’image vidéo, d’une grande qualité, emmène loin. Cet ailleurs américain, filmé en plans principalement larges, dévoile une « Cité des anges » bien loin des images stéréotypées véhiculées par le monde hollywoodien. Le rythme est lent, les places que l’on découvre sont souvent vides. « Il ne s’agit surtout pas d’une forme de théâtre documentaire », prévient d’emblée Alexandre Simon. « Nous avons filmé des images qui s’apparentent à une réalité documentaire, et nous en avons tiré un film, Angels_L.A. Diary… Mais sur scène, par contre, ces images constituent notre matière première, au même titre que le texte, la lumière, la musique, etc. Tous les éléments portent le sens du spectacle qui ne repose pas sur le texte ou sur le rythme de la parole. » En somme, un spectacle pluridisciplinaire au vrai sens du terme : les outils du théâtre et ceux du cinéma se côtoient pour faire naître cette fresque contemplative, qui semble s’inventer en direct. Le musicien Blaine Reininger joue la bande sonore en live, sur le plateau, empoignant une guitare électrique, un violon, manipulant un ordinateur au rythme des images vidéo…

 

 

L’atmosphère générale de Angels oscille entre mélancolie, violence et calme. « Nous avons voulu guider le comédien vers cette forme de jeu, comme si les voix des huit personnages étaient dans sa tête. Les destins de ces personnes sont en quelque sorte tissés les uns avec les autres », explique Cosima Weiter. Exemple : Simon Rodia, immigré italien, intervient à plusieurs reprises. Après avoir traversé les Etats-Unis d’est en ouest, il s’est installé à Watts, au sud de Los Angeles, et y a construit des tours à partir de matériaux de récupération. Cette création d’architecture naïve, à la fois symbole des espoirs des migrants, mais aussi expression d’une aspiration à un retour aux sources est le grand projet de sa vie. Un cousin de Facteur Cheval, en quelque sorte…

 

Cosima Weiter a écrit des esquisses de textes à partir des témoignages recueillis. Sur scène, les thèmes se rejoignent, les préoccupations reviennent à travers les différents vécus : le rêve, la religion, le travail, le mensonge, l’exil. Les thématiques et les gestuelles inventées par le comédien, vont et viennent au fil du spectacle.

 

« Angels se déroule du crépuscule à l’aube et est composé de trois parties », raconte encore Cosima Weiter. « D’abord les origines : d’où viennent les personnages, jeunes ou moins jeunes, pourquoi se sont-ils exilés. Puis, une deuxième partie pose la question : « qu’est ce que je fais là ? ». Enfin, le troisième volet est axé sur l’avenir : comment les choses vont-elles tourner ? Quelles solutions trouver pour subsister ? » Au sein de ce multiculturalisme, personne n’est issu de la communauté blanche, ce qui témoigne, pour les co-metteurs en scène, des nationalités qui se croisent à Los Angeles. « Il nous est apparu que les racines des personnes sont finalement floues. Il y a une majorité de communautés latines à Los Angeles, ce qui reflète bien la fondation de la ville, au départ, où il y avait un seul Européen ! »

 

La dimension sociologique est évidente dans Angels. Pourtant, le duo de metteurs en scène se refusent de donner des leçons : « Nous souhaitons faire naître des questions, et non donner des réponses. Le théâtre permet de rendre beaux des destins d’anonymes, de construire une esthétique à partir de ces témoignages. »

 

Cécile Gavlak

 

Angels, du 21 avril au 3 mai au Théâtre du Grütli à Genève. Renseignements au +41.22.888.44.88 ou sur le site du théâtre www.grutli.ch

 

Autour du spectacle :
Jeudi 30 avril, après la représentation : Trouver sa voix ; une introduction à la poésie sonore. Rencontre avec Alessia Pannese, neuroscientifique au Centre interfacultaire en Sciences affectives, et Cosima Weiter, metteure en scène.

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