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Zoom sur le format Sloop à POCHE /GVE

Publié le 11.12.2015

 


Grrrrls monologues s’intitule le deuxième Sloop de POCHE /GVE, en clin d’œil au Riot grrrl (ou riot grrl), un mouvement musical punk rock aux idées féministes, né aux Etats-Unis au début des années 1990. Une belle référence pour les quatre plumes féminines actuelles présentées en première à POCHE /GVE jusqu’à mi-février. Elles seront également quatre metteures en scène à diriger chaque fois les quatre actrices retenues pour ce Sloop: Rebecca Balestra, Océane Court, Jeanne de Mont et Michèle Gurtner. Des textes retenus par le comité de lecture du Poche, Anne Bisang a choisi Guérillères ordinaires, de la Française Magali Mougel, Paysage intérieur brut de Marie Dilasser sera mis en scène par Barbara Schlitter, Louise Augustine de la Genevoise Nadège Réveillon par Isis Fahmy et Au bord de Claudine Galea par Michèle Pralong. Immersion dans l’univers du Sloop avec Mathieu Bertholet, le nouveau directeur du théâtre de la Vielle-Ville.

 

 

Vous vous êtes formé à l’Université des Arts de Berlin, pouvez-vous nous en dire plus sur la forme d’un «Sloop»?

Appelé théâtre d’ensemble ou théâtre de répertoire dans toute l’Europe de l’Est où il est beaucoup pratiqué, on l’associe à une troupe de comédiens fixes liée à un théâtre de manière à pouvoir rejouer chaque création entre une à dix saisons, ce qui n’est pas le cas la plupart du temps. C’est comme ça que j’ai pu voir, dix ans après la mort de Heiner Müller, sa mise en scène de La Résistible Ascension d'Arturo Ui de Bertolt Brecht à Berlin. Il y a aussi le fait de voir les mêmes acteurs jouer différents rôles sur un laps de temps étendu: un lien se crée avec le spectateur, ce qui permet à celui-ci de prendre de la distance avec le personnage incarné. Ça rompt la barrière du réalisme et favorise la réflexion. C’est ce qu’a mis en évidence Brecht à travers le principe de distanciation en travaillant avec des acteurs d’ensemble. La Comédie-Française tente également de permettre à une pièce de durer, mais rarement au-delà d’une saison. Je rêverais d’un collectif de six comédiens fixes au Poche à l’année, afin d’avoir une ou deux créations par mois et de les jouer toute la saison. Mais pour l’instant nous prolongeons l’engagement des comédiens de deux mois à un peu plus de quatre mois par le biais des sloops. Elles seront à l’affiche pendant trois mois et le spectateur profitera de diverses formules pour découvrir ces quatre pièces d’environ une heure chacune.

 

Les répétitions se déroulent sur deux semaines et trois jours au lieu de 5 à 7 semaines généralement, à quoi doivent veiller les metteurs en scène?

Ils doivent être extrêmement clairs et précis sur l’option de jeu des acteurs. On ne peut pas être hésitant, il faut être plus directif, même radical. L’angle choisi est approfondi pendant deux semaines. Par exemple, dans Guerrières ordinaires, les actrices ont été choisies presqu’à contre-emploi du rôle qu’elles incarnent sur scène. Océane Court y joue une femme de 45 ans alors qu’elle n’a pas la trentaine et Rebecca Balestra est censée faire du 42 alors qu’elle a la taille mannequin. Elles font donc ainsi apparaître la création du personnage devant le spectateur comme devant les autres actrices qui la regardent. Comme dit Anne Bisang, c’est une sorte de commando artistique où chacune prend la parole à son tour pour défendre un personnage: sans l’incarner véritablement elles le font vivre intensément à travers leurs propos. De plus, elles n’ont rien d’autre sur quoi elles peuvent s’appuyer pour jouer, puisqu’il n’y a aucun accessoire et le décor n’est absolument pas réaliste. L’illusion théâtrale en est d’autant plus forte.

 

Quel rôle joue la scénographie de Sylvie Kleiber, commune aux quatre pièces ?

Elle a pour objet de créer un lieu abstrait d’imagination pour permettre au spectateur de renforcer encore sa concentration sur le texte. La membrane ajourée faite d’élastiques couleur chair qui entoure la scène et une partie des spectateurs forme une sorte d’écran de projection sur lequel chacun peut imaginer ce qu’il veut. On ressent aussi cette distanciation entre intérieur et extérieur, sans savoir finalement qui est à l’intérieur et qui à l’extérieur.

 

 

Dans le Sloop 2 vous avez choisi quatre monologues, quelle est l’importance de la musicalité des mots dans l’expression de la tension qui s’en dégage?

Dans Louise Augustine de Nadège Reveillon (dès le 11 janvier), la mise en scène d’Isis Fahmy s’inspire clairement de la musique puisque la forme générale du jeu a été créée sur la base d’une fugue musicale. Dans Guerrières ordinaires, la musique est plutôt celle du ressassement, induit par la répétition notamment. Cette musique nous permet de comprendre que nous sommes en prise directe avec la pensée intérieure de ces différentes femmes.

 

On pourrait presqu’avancer que les femmes ont plus de facilité que les hommes à parler de leurs sentiments intérieurs, mais cela n’est-il pas le seul fait des inégalités sociales qu’elles subissent encore aujourd’hui?

Je ne sais pas, mais dans tous les cas ce sont des femmes qui se positionnent, qui se saisissent de leur destin, même si pour certaines c’est à la manière d’un Ponce Pilate. Dans Paysage Intérieur Brut (dès le 14 décembre), on reste dans l’intimité des pensées d’une femme, enfermée au propre comme au figuré, qui n’a que son imaginaire comme échappatoire. Après avoir perdu son travail à l’approche de la retraite, une femme s’isole petit à petit dans son propre foyer avec sa mère et sa sœur à charge.

Au bord (dès le 18 janvier) est un texte de théâtre très proche du roman autofictionnel. On entend clairement la voix d’une auteure qui aimerait écrire une pièce de théâtre autour de la photographie de cette soldate américaine, un prisonnier en laisse, dans la prison irakienne d'Abou Ghraib. Mais ce qu’on nous promet n’apparaît jamais. Des propos forts, sidérants, troublants aussi, comme ce désir qu’elle a pour la soldate qui lui rappelle un ancien amour en opposition avec la violence de cette image. Et cette phrase qu’elle a lu quelque part: «enlever la capacité de torturer à un être humain, c’est aussi lui enlever une part de son humanité». Là encore on assiste à tout ce qui traverse son esprit, à toutes les envolées lyriques que peut prendre la pensée d’un auteur lors de l’écriture. La forme du texte est également celle du roman. Il n’y a aucun des signes que comporte normalement l’écriture théâtrale – ni didascalies ni locuteurs ou lieux. Pourtant l’auteur la présente comme du théâtre, et il y a effectivement quelque chose qui s’y prête tout à fait.

 

A votre arrivée à la direction du Poche, vous avez ajouté à l’équipe en place l’auteur et dramaturge Guillaume Poix, quel rôle joue-t-il exactement?

Son travail consiste à créer un lien entre les pièces et le public. Guillaume produit un livret très fourni sur chaque sloop (à la disposition du spectateur), le point phare des coulisses que nous souhaitons partager avec lui. C’est un condensé du travail de dramaturge, qu’il a fait en amont de chaque pièce du sloop pour les metteurs en scène. C’est aussi comme cela qu’on peut réduire le temps du travail en plateau. Dans cet ouvrage carré de 144 pages, il nous livre ses réflexions, ses clefs de lecture et de compréhension, ses interviews d’auteurs présentés dans le sloop, mais aussi d’auteurs extérieurs et des extraits de textes inédits. Il intervient auprès du comité de spectateurs invités aux générales, à qui il demande leurs avis en retour. Le 30 janvier, nous clôturons ce Sloop 2 avec une sorte de forum de discussion et de réflexion autour de la question de la place de la femme dans le milieu du théâtre, qu’elle soit actrice, directrice ou encore comment les textes les représentent aujourd’hui. Nous avons l’ambition d’être un réel vecteur pour ces textes contemporains car c’est à nous de préparer au mieux le spectateur sur ce qu’il va voir, en espérant que ce travail sera un jour relayé dans les écoles comme on le fait pour les auteurs d’antan.

 

Propos reccueillis par Alexandra Budde

 

Sloop 2 - 4 pièces à découvrir à POCHE /GVE du 07 décembre 2015 au 07 février 2016

- Guérillères ordinaires de Magali Mougel et mise en scène par Anne Bisang, dès le 07 décembre
- Paysage intérieur brut de Marie Dilasser et mise en scène par Barbara Schlittler, dès le 14 décembre
- Louise Augustine de Nadège Réveillon et mise en scène par Isis Fahmy, dès le 11 janvier
- Au bord de Claudine Galea et mise en scène par Michèle Pralong, dès le 18 janvier

Renseignements et réservations au +41.22.310.37.59 ou sur le site du théâtre www.poche---gve.ch

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