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Cabaret, les carnets des camps

Publié le 17.09.2019

 

La Haute Ecole de Musique (HEM) propose de redécouvrir la comédie musicale Cabaret, du 17 au 29 septembre au Théâtre du Galpon, à Genève. Pour beaucoup ce titre évoque l’inoubliable interprétation de Liza Minelli dans le film de Bob Fosse, en 1972. Ou le spectacle monté à Broadway en 1966. Pour cette nouvelle création, le metteur en scène Daniel Esteve est remonté plus loin, jusqu’au livre Adieu à Berlin, de Christopher Isherwood pour retrouver les années folles et la montée du nazisme, toile de fond de l’histoire. Très sensible aux différentes histoires d’amour de l’original, à la sexualité incertaine de plusieurs protagonistes, son Cabaret se nourrit aussi de recherches sur l’univers des camps d’internement – que leurs successeurs, les camps de concentration, ont parfois fait oublier.

Dans nos souvenirs, les personnages sont sans doute promis au camp. Pour Daniel Esteve, il est important qu’ils y soient! Curieusement, ce choix radical nourrira moins un rappel des débuts du nazisme qu’elle proposera un regard sur l’émergence des droites populistes dans le monde d’aujourd’hui. Peut-être.

 

 

Cabaret est, entre autres, un film de Bob Fosse, réalisé après la comédie musicale du même nom, qui avait été écrite à partir d’une pièce de théâtre, basée sur un livre… Quelles bases privilégiez-vous pour votre adaptation?

Je suis un très grand admirateur de Bob Fosse. Donc, comme lui, je suis reparti du livre originel! Soit, le recueil de nouvelles, Berlin Stories, de Christopher Isherwood. Et je me suis plongé dans la situation historique et politique qui sous-tend l’action et qui me passionne.

 

Qu’est-ce qui vous passionne?

La montée du nazisme. Mais aussi les folles années berlinoises et les lieux tels que le cabaret. En France, ce cabaret vient du café-concert, et ce sont des personnages plutôt interlopes qui vont les animer. Ce sont des lieux haut en couleur, des lieux où l’on mange, où l’on boit, où l’on se prostitue. La musique et le jazz y font leur apparition. Dans les années vingt, Berlin devient la ville la plus libérée d’Europe. Beaucoup d’artistes s’y installent et vont vivre dans ce monde… Interlope est vraiment le mot qui convient: entre deux mondes, où se côtoient les bourgeois, les travestis, les prostituées…

 

 

Comment vous démarquez-vous des adaptations que les spectateurs auraient pu voir?

Dans l’histoire, le fait que les protagonistes vont sans doute partir dans des camps est évoqué. J’ai voulu aller plus loin en créant une double temporalité. Ce spectacle est donc un double huis clos. L’un dans la pension où logent les personnages de Cliff et de Sally, et où l’action débute le 31 décembre 1929. L’autre dans un camp d’internement en 1933. Historiquement y étaient internés des communistes, des opposants politiques ou des droits communs – et donc des prostituées. Les conditions étaient sans comparaison avec celles des camps de concentration qui leur ont succédé. Les prisonniers organisaient notamment des spectacles, ce qui me permet d’y placer le cabaret. Dans notre spectacle, EMCEE du cabaret y est aussi kapo et responsables des prostituées. Je m’étais déjà plongé dans cet univers, dans le cadre d’un spectacle que je préparais pour le Mémorial (du camp) de Compiègne, j’ai eu la chance d’accéder à des masses d’archives, qui m’ont beaucoup servi et inspiré pour la création de Cabaret.

 

Nous ne sommes pas dans un acte 1 qui se passerait à Berlin et un acte 2 dans le camp.

Pas du tout. Les deux actions sont simultanées et se répondent. Le défi était que cela reste totalement lisible, et m’a obligé à être très pointilleux quand j’ai réalisé l’adaptation des textes parlés en Français. Il est très important que le spectateur comprenne où on l’emmène…

 

Les chansons et le texte se prêtent à cet exercice de double-entendre?

La comédie musicale de Kander use d’un langage très ordinaire, ce sont des scènes très courtes qui disent beaucoup de choses qui ne sont pas écrites. Il y a un sous-texte impressionnant déjà dans le livret originel. En travaillant le texte, il m’est arrivé de réaliser que ce que je voulais ajouter y était déjà.

 

Comment caractériseriez-vous votre travail sur le texte?

J’ai essayé de conserver en français ce langage très quotidien, j’ai supprimé des références au nazisme et à des éléments historiques trop précis. Je ne voulais pas que le spectateur soit plongé dans un spectacle historique, mais qu’il puisse au contraire se confronter à l’histoire. La question qui se pose est toujours là même: et si j’étais à la place du personnage, quelle serait ma réaction? Même le EMCEE, devenu kapo, se la pose dans une chanson: faut-il continuer d’obéir aux ordres?
 

 

 

La question est posée par une trentaine d’artistes sur scène, dont un orchestre de treize musicien-ne-s, pour la plupart des étudiant-e-s. Etes-vous, pour ce spectacle, leur professeur?

Même s’ils sont encore en formation, beaucoup ont déjà eu des expériences professionnelles. Et en tant que metteur en scène, je leur demande exactement la même chose qu’à des professionnels, l’exigence est la même. La seule différence est que nous sélectionnons des élèves de chant lyriques, peu rompu à la danse et à la comédie. Il faut donc relever le curseur dans certaines disciplines sans les mettre en difficulté et profiter pleinement de leur très haut niveau musical.

 

Après Kiss Me Kate il y a deux ans, c’est la deuxième comédie musicale que vous montez avec la HEM. Y a-t-il un rapport entre les deux spectacles?

C’est une initiative de la HEM, qui amène ainsi ses étudiant-e-s, notamment lyriques, à travailler le théâtre. Avec Cabaret, on touche à une comédie musicale dans laquelle les interprètes sont souvent davantage des comédiens que des chanteurs. Ce sont des rôles qui exigent d’être comédien, de se livrer à un travail d’intériorité pour incarner le personnage.
 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

Cabaret, jusqu’au 29 septembre au Théâte du Galpon

Informations, réservations :
+41 (0)22 321 21 76
www.galpon.ch
reservation@galpon.ch

Marcin Habela, direction artistique
Christophe Fossemalle, direction musicale
Daniel Esteve, mise en scène, scénographie et chorégraphie

Instrumentistes de la Haute École de Musique de Genève - Chanteurs des Hautes écoles de musique de Genève, Lausanne, Lugano, Berne et de l’Accademia Teatro Dimitri

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