Publié le 27.09.2024
Dans Denise, seule-en-scène conçu et interprété par Camille Mermet, co-écrit avec Sébastien Grosset, et présenté aux Scènes du Grütli à Genève, du 1er au 5 octobre, le public plonge comme au fil d’une investigation, tour à tour cash, enfantine et déroutante autour d’un thème encore trop méconnu et qui ne sera dévoilé que quelques minutes avant la fin du spectacle.
Sur un plateau épuré, la comédienne explore l’espace, le vide et le plein, les mystères du corps féminin, devenu objet d’inconnu et d’invisible
Chaque geste et silence révèlent des indices subtils, invitant le spectateur à reconsidérer ses propres perceptions.
Cette immersion soulève également le poids des silences qui entourent le corps des femmes et la maternité. Non sans humour et burlesque, la pièce aborde la lutte pour la vérité, faisant écho à des mouvements sociaux tels que Nuit Debout *.
Le corps devient un champ de bataille contre les injonctions et le silence oppressif
En résonance avec les Assemblées de Nuit Debout et leur code gestuel de prise de parole publique, la comédienne occupe la scène pour donner voix aux luttes souvent invisibilisées des femmes.
Entre le visible, le dénié et une pertinente approche par couches successives, la pièce interroge la place du corps dans le monde. Ceci à travers des scènes comme celle où la vérité d’un coït étrangement vécu bouscule par sa force. Pour déstigmatiser le corps féminin, "Camille" invite à faire évoluer nos perceptions. Entretien avec Camille Mermet autour de ce spectacle créé au Théâtre Populaire Romand en octobre 2023.
Quel est le cœur de votre travail de création avec un portrait topographique de ce qu’est un lieu scénique que vous faites notamment au début de Denise?
Camille Mermet: J’ai l’impression que mon travail artistique cherche à émerger de la matière ou de l’absence. La matière d’une salle, d’un corps, d’une relation au public. Interroger cette matière, c’est chercher de se définir en soit et en rapport aux autres. D’où l’envie d’évoluer dans un espace nu, sans décors, sans artifices, pour Denise. Et d’observer ce que cette réalité organique génère.
À l’origine, dans chacun de mes projets, l’essentiel est de toujours trouver la forme qui permettra de passer par une expérience à la fois intime et universelle du sujet abordé.
Je décris d’abord un lieu, une situation de présence de corps, un studio, un musicien, un regard sur soi... Si nommer une chose, c’est la faire exister comme on l’entend dans Denise, je suis seule avec les mots. Je construis ou défini alors une idée par le mot, le faisant exister par des choses simples et essentielles.
Il me semble être beaucoup dans une approche inductive. D’où le besoin d’être pleinement immergée dans une matière faite d’explorations et de sensations. Denise est ainsi vraiment née de sensations traduites en espaces et en explorations scéniques. Le spectacle s’est ainsi conçu par couches successives.
Pour les chansons, c’est la même chose. Je plonge d’abord dans un état ou un rendez-vous avec moi-même, une émotion, une pulsion. L’écriture est une façon de laisser sortir quelque chose de soi.
Absolument. C’est essentiel à mes yeux depuis notamment mon travail de mémoire à la Manufacture, Haute École des Arts de la scène (Lausanne). Celui-ci définit clairement des lignes forces essentielles de mon travail.
En fait, fille de parents musiciens, je suis née de la musique. Chez moi, la sensibilité, le rapport au monde et la créativité se sont développés en lien étroit avec la musique et le silence, l’une n’allant pas sans l’autre.
Tout part de l’espace du possible, du rien. Qui fait ensuite naître le tout, le son donc.
Si j’ai d’abord étudié le violon et obtenu mon certificat à 20 ans, c’est le théâtre qui m’a fait comprendre que le langage et les mots peuvent être musique. Avec "La Troisième Vérité", j’ai écrit des ballades sonores immersives pour le public.
Ce que j’aime avec le son? Il ouvre un nombre extraordinaire de possibles en faisant travailler la créativité chez chacun.e. Du coup, il favorise et active une perception bien plus riche et affinée que ce que la seule image permet.
Dans le spectacle, Le changement avec une voix déformée au micro pour le personnage de Denise est là pour marquer qu’il s’agit bien dès lors de son histoire, ses origines sociales simplement passées dans le clair-obscur. Le son ouvre sur nombre d’apparitions et une notion comme les Invisibles évoquée dans le spectacle. Ou comment éprouver des choses que l’on oublie de voir si ce n’est de ressentir.
Magnifique. C’est exactement ce que cherche à réaliser avec les mots. Ces lignes de l’auteure italienne sont essentielles. De même, les chansons que j’écris permettent de plonger dans des sensations telles que dépeintes par Goliarda Sapienza.
Pour le spectacle Denise, il n’existe toutefois pas de dramaturgie totalisante. Mais des points, où je peux faire sortir des éléments sensibles. En témoignent ces histoires de mots et de langue que l’on pourrait nettoyer. Ou revêtir de sens nouveaux, de connaissances et d’expérience inédites.
C’est un point de vue intéressant. Mais il est parfois extrêmement gênant d’avoir honte tant ce ressenti s’accompagne du sentiment de ne pouvoir être soi-même. Et donc de s’assumer entièrement dans tout ce que l’on est.
Votre vision de la maternité?Elle est devenue une forme de complexe. Sans que je pense initialement en étant mère qu’elle puisse le devenir. Maternité est un mot qui assigne à un rôle, si ce n’est une identité dictée, subie contraignante et stéréotypée.
Or Denise parle tout autant des personnes qui font le choix de ne pas enfanter.
Ayant eu nombre d’échanges dans la préparation de ce spectacle avec des femmes aux points de vue contrastés sur cette réalité, je crois que le mot maternité isole aussi les personnes ne souhaitant pas avoir d’enfants. Que ce soit d’abord au plan intime.
Comme j’ai pu le mentionner dans le podcast de création de Denise: «Il y a toujours un conflit en moi sur la nécessité d’être mère ou non. Je n’ai pas réussi à faire la part entre ce qui est construit et instinctif… J’ai toujours eu l’impression d’avoir le choix». ***
Avant de l’être, le fait d’assumer mon genre ne m’embrassait guère. Je me sentais libre d’opérer des choix. La maternité, je l’ai vécue comme une condamnation à me retrouver ramenée à une catégorie.
Il a fallu se confronter à l’idée que du moment où elle fait des enfants, la femme peut en revenir à une un forme de corps archaïque. Celui-ci ne s’accorde pas nécessairement avec la possibilité de se révéler comme un être humain libre, émancipé et capable de faire des choix. J’ai eu alors le sentiment avec la maternité d’avoir fait un immense saut en arrière.