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Dylan Corlay et le LME: un show sur mesure

Publié le 11.03.2023

Artiste étonnant et détonnant, Dylan Corlay multiplie les talents et les casquettes. Musicien chef, arrangeur, compositeur, chanteur, danseur… Ses concerts dévoilent souvent plusieurs de ses facettes. Il a notamment composé un concerto pour pirate qu’il a joué avec l’Orchestre National des Pays de la Loire, l’Orchestre National de Metz Grand Est, l’Orchestre Philharmonique de Radio France et l’Orchestre National de Lille.

Pour le Lemanic Modern Ensemble, il a conçu une soirée sur mesure à la croisée des arts. Une soirée qui promet de ravir les yeux et les oreilles! A découvrir le 15 mars à l’Auditorium Perrier, Annemasse et le 16 mars au Conservatoire de Genève. Entretien.



Le Lemanic Modern Ensemble vous a donné carte blanche pour ce concert. Quel a été le point de départ pour imaginer la soirée?

Dylan Corlay: Ils m’avaient dit que leur saison était centrée autour de Ravel. Comme j'adore Ravel - à la fois sa musique et la personnalité de l’homme - c’était parfait! Je me suis penché sur ses inspirations, notamment littéraires, ce qui m'a amené à découvrir des poèmes spécifiques comme Un coup de dé jamais n’abolira le hasard de Guillaume Mallarmé, des textes d’Edgar Allan Poe, Jules Renard et évidemment, les poèmes d’Aloysius Bertrand que Ravel a mis en musique dans Gaspard de la nuit, et dont j’ai dont j’ai fait un arrangement du deuxième mouvement.



Avez-vous eu tout de suite l’idée de vous plonger dans l’aspect littéraire?

Ma première démarche a été de lire des écrits sur Ravel. Pas spécialement la littérature liée à son oeuvre, mais celle qui le révèle en général. À chaque fois qu'on me demande de diriger, je lis beaucoup avant de travailler sur une partition. Surtout pour les compositeurs contemporains, mais pas seulement. Dans mes recherches, je suis tombé sur une compilation de ses lettres dans un ouvrage intitulé L’intégrale – Correspondance. Cela m’a permis de rencontrer l'homme qu’était Ravel et c'est là que j'ai décelé toute l'influence que la littérature a eue sur lui.

Mes lectures ont aiguillé la sélection des textes pour le spectacle: Mallarmé était un auteur assez évident à intégrer, mais j’ai pu faire des choix plus étonnants, comme Filippo Tommaso Marinetti, un écrivain italien fondateur du mouvement futuriste. J'ai découvert un petit livre qui s'appelle L’Art des bruits et j'en ai parlé à la metteuse en scène, Bénédicte Lesenne Assam, qui a trouvé l’idée intéressante. On a été captivés par le texte, alors on s’est demandé comment on pouvait le mettre en forme et on a créé un «orchestre de guerre».





Ravel avait un lien avec le courant futuriste?

Au début des années 1910, Luigi Russolo a créé un instrument, l’intonarumori, qui retranscrit des bruits. Ravel a assisté à cette représentation et il en a été amusé. C’est pour cette raison que je m’y suis intéressé.

Pour cette partie du spectacle, j’ai créé une partition un peu différente pour les musiciens qui sont là aussi pour leur voix, en créant des bruits, en prononçant des onomatopées.... On recrée l’illusion d’une répétition, comme si on découvrait la partition sur le moment.

Vous avez également pris le relai en composant vous-même sur un texte de Mallarmé.

Ravel avait mis en musique des textes de Mallarmé. Debussy aussi, mais personne n’avait composé sur Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, qui est un écrit très intéressant ! Dans ce poème, un code secret est supposément caché. J’ai pris énormément de temps à essayer de comprendre et élucider un peu ce fameux code. Je me suis appuyé sur les travaux d’un philosophe – Quentin Meillassoux – qui a beaucoup travaillé sur ce poème, et ça m’a "possédé"!

On ne comprend pas forcément le poème à la première lecture, mais au fil du temps, on découvre beaucoup de choses, notamment sur la musique du texte. C’est un aspect que Mallarmé essayait de défendre. Selon lui, mettre un poème en musique gâchait le sens, puisque la musique existait déjà dans la structure du texte.

Pour composer cette pièce, j’ai essayé d’aller dans ce sens en proposant plutôt un accompagnement des mots.





Le spectacle que vous avez conçu est une véritable rencontre des arts.

J’ai cherché à établir une connexion entre la musique et la littérature. Le texte est très présent dans ce spectacle, mais la danse fera également une apparition! Je suis animé par la volonté d’ouvrir le concert «classique» à une autre forme, et pour cela, j’aime pratiquer différentes disciplines dans les spectacles que je crée: je fais des claquettes, je jongle, je fais de la magie...

Dans celui-ci, je suis amené à danser sur deux pièces: le Foxtrot de Ravel et Tahiti Trot arrangé par Chostakovitch. Je travaille avec le chorégraphe Alain Hocine depuis un an pour préparer ces danses.

Vous avez donc passé un temps fou sur la préparation du projet.

Comme je ne suis pas danseur à la base, pour bien faire les choses, je passe beaucoup de temps à répéter, mais c’est vrai que je prépare toujours mes spectacles très en avance. Je travaille sur celui-ci depuis 15 mois quasiment tous les jours pour chorégraphier, arranger, composer, lire, sélectionner les textes...

Et comme on travaille avec une metteuse en scène, il faut savoir dans quelle direction on va, discuter, élaborer la dramaturgie.

Vous êtes un habitué des projets qui sortent des sentiers battus. Préférez-vous cette forme de concert au concert «traditionnel»?

Si on m’appelle demain pour diriger un concert avec une symphonie de Brahms, je vais le faire avec grand bonheur parce que je suis formé pour, mais je trouve que parfois, le concert traditionnel manque un peu de contact avec le public. J’aime casser ce mur qui se trouve entre les spectateurs et les musiciens.

Ce qui m'intéresse, c'est surtout de renouveler la forme du concert, dynamiser un petit peu tout ça. Désormais, il m'arrive rarement de faire un concert où je ne parle pas, par exemple. Les concerts où il n’y a pas d’explications ou d’échanges avec le public me dérangent un peu. C'est important de communiquer, de ne pas se réfugier dans un art soi-disant élitiste. Il faut amener le public à apprécier la soirée d’une autre manière, qu’il ne soit pas mis hors-jeu.

Le but est que les personnes qui viennent au concert ressortent avec plein d’images et de tableaux différents dans la tête.

Propos recueillis par Sébastien Cayet


À la manière d’un fantaisiste

Mercredi 15 mars, 20h, Auditorium du Perrier, Annemasse
Jeudi 16 mars, 20h, Salle Franz Liszt, Conservatoire de Musique de Genève

Dylan Corlay, direction - Marion Tassou, soprano - Bénédicte Lesenne Assam, mise en scène - Fouad Souaker, création lumières

Lemanic Modern Ensemble 


Programme:
Maurice Ravel
L’Enfant et les Sortilèges (extraits) [1925]

Chansons madécasses - Il est doux... [1926]

Le Tombeau de Couperin - Toccata [1919-2022]

Sonate en sol majeur pour violon et piano - Blues [1927-2022]

L’Enfant et les Sortilèges - Five’o clock Fox Trot [1925-2022]

Gaspard de la nuit - Le Gibet [1908-2022]
Les grands vents venus d’outre-mer [1907]

Dmitri Chostakovitch

Tahiti Trot, Op. 16 (Arrangement sur Tea for Two) [1927]

Dylan Corlay

La Chenille

Un Coup de dés


Informations - réservations (en bas de page)
https://lemanic-modern-ensemble.net/a-la-maniere-dun-fantaisiste/