Kaléidoscope chorégraphique

Publié le 02.02.2024

Etendu.es en épis rayonnant sur le pourtour d’un cylindre, enfants et adultes contemplent les reflets mouvants et en réinvention continue des huit interprètes qui animent Mirkids, création de Jasmine Morand à destination du jeune public. A découvrir du 9 au 18 février au Théâtre Am Stram Gram, Genève, en collaboration avec Antigel

Pour le public, la pièce offre deux points de vue portés sur elle. L’un est la contemplation enjouée et hypnotique de la fresque céleste de ces corps habillés de sidérantes combinaisons. Il se tuilent, se tissent, s’agencent géométriquement au fil d’un morphing de postures de la plus belle fluidité. L’autre regard possible se déploie à travers les fentes du puits à images et formes scéniques de Mirkids pour entre-apercevoir des fragments d’anatomies et de chorégraphie. Sur un rythme sobrement architecturé, le jeune public peut ainsi se plonger dans la vision céleste du spectacle refléter dans de grands miroirs surplombants.

Les enfants sont donc allongés autour de la structure cylindrique évoquant un zootrope géant, jouet optique du 19e siècle. Au ciel, les formes se dessinent et se résorbent sous leurs yeux. La musique rythmée et des séquences burlesques de l’opus insufflent une atmosphère joueuse et à l’ensemble. Les rires fusent à l’apparition éphémère d’un être collectif agrégeant les interprètes qui se balancent, progressant comme en douce.

De Mirkids à Mire, il y a davantage qu’une adaptation. Plutôt une recréation. La pièce passe de la nudité graphique et abstraite de Mire à l’atmosphère camp de ludisme qui baigne souvent Mirkids. Pour mémoire, Mire fut créée à l’occasion du Festival Images Vevey. N’est-il pas question ici d’iris, de regards croisés sur une œuvre et de visions en miroirs évoquant l’antique bain révélateur de l’image argentique en voie d’apparition.

Pas de deux avec la chorégraphe veveysane Jasmine Morand.



Quel est le voyage entrepris de Mire à Mirkids, de douze interprètes à huit, d’un kaléidoscope corporel à l’autre?

Jasmine Morand: Il s’agit d’une nouvelle création enrichie du même dispositif scénographique et visuel, mais amélioré techniquement. D’une pièce à l’autre, j’ai tenu à préserver notre expérience de l’écriture des corps dans un espace dodécagonal (à douze pans). Il est restreint et pourvu d’un tapis de sol réfléchissant au mieux la partition lumière, comme dans Mire. Nous nous sommes affinées dans l’interprétation chorégraphique de l’expérimentation forte d’une tournée d’une cinquantaine de dates pour Mire dans le rapport tissé avec le public.

Si l’on peut reconnaitre des mouvements et configurations de Mire à Mirkids, l’atmosphère, la musique, les constellations de corps, le rythme et l’adresse au jeune public ont profondément fait évoluer la pièce initiale. Garder la dimension hypnotique de Mire, certainement. Mais si la lenteur est toujours privilégiée, elle est complètement repensée au plan des rythmes et ruptures de ton. Et ponctuée par des mouvements-surprises et de nouvelles fresques d’images spécialement destinés au jeune public.

D’autres éléments ont changé...

Absolument, la lumière créée par Reiner Ludwig. On passe d’une luminosité blanche tour à tour froide et chaude dans Mire à une partition luminescente qui traverse une large palette de teintes pour Mirkids que complètent des costumes de scène finement colorés signés de Toni Teixera. De plus, le sol est peint avec de la peinture UV transparente. Cela accentue la sensation de désorientation et plonge le public dans un espace souhaité infini.

Toutefois les deux pièces se rejoignent notamment par ces propos que j’affectionne de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince: «Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. Mais peu d’entre elles s’en souviennent.» Mais aussi par le fait que ce dispositif chorégraphique se cristallise sur un mouvement d’ensemble cyclique qui est agencé de façon organique et synchronisée

L’atmosphère ludique se développe en compagnie d’interprètes vêtu.es.et plus souvent en position debout que dans Mire.

Absolument. Mirkids peut toujours suggérer comme Mire un univers successivement végétal, céleste, océanique, organique, un mandala, une rosace, un iris ou la pupille de l’œil. Ecrire un spectacle jeune public, c’est oser le burlesque, le côté joueur et décalé du règne du vivant non humain. De l’insecte singulièrement. Prenez au fil de Mirkids l’épisode dit des chenilles avec des corps debout et pliés en deux ainsi que chaînés l’un à l’autre. Il marque l’affirmation d’une image alors que souvent dans Mire, les images étaient évanescentes, laissées à la libre suggestion de chacun.e ceci bien que dans Mirkids, le public peut aussi imaginer ce qu’il désire à partir des images qui surgissent, s’installent. Avant de disparaître.

Une posture revient à plusieurs reprises.

Oui, la position fœtale, primitive et originelle. Si c’est une manière de suggérer que l’on peut encore être dans le ventre maternel, elle se retrouve aussi beaucoup au gré de nos nuits au lit. Cette position est éminemment parlante tant à l’enfant qu’à l’adulte. Bien qu’intensément intime, elle n’est plus au final la position d’un.e interprète devenant un élément démultiplié sous forme d’une couronne de corps et postures.

Prenez aussi cette séquence voyant se résorber l’ensemble des interprètes. Sauf un.e interprète qui demeure au centre précisément en configuration de fœtus. Si l’on fait retour à cette état initial, c’est qu’il a l’avantage de permettre au corps et à l’être de se redéployer comme enveloppé et en sécurité. Elle rejoint l’omniprésence géométrique me servant de canevas pour la chorégraphie.

Parlez-nous de la musique.

La performance chorégraphique est amplifiée par sa bande sonore. Une composition originale a été créée pour correspondre aux émotions des jeunes spectateurs.trices, sans leur imposer une histoire musicale, préservant ainsi leur liberté d'interprétation.

Par ailleurs, une attention particulière a été portée aux aspects rythmiques pour ajouter des éléments auditifs amusants et envoûtants prompt à nourrir l'imagination individuelle.

Comment s’est déroulé le processus de création musicale?

Pour composer la musique de Mirkids, une approche axée sur les enfants a été privilégiée. Des ateliers sonores ont été organisés autour d'images telles que mosaïques, s mandalas et vitraux. Les enfants y ont partagé leurs réflexions et leurs dessins inspirés par ces images kaléidoscopiques. Ces contributions ont servi à créer des fragments de partitions.

Le compositeur de la pièce, Dragos Tara, a ensuite travaillé avec la classe de clarinette dirigée par Antoine Joly au Conservatoire de Vevey, profitant de la diversité d'âges et de talents au sein du groupe. Cette expérience créative a été enregistrée pour servir de base à la bande sonore. Lors de ces temps d’échange avec les enfants, le rôle du compositeur était de guider le processus pour créer une cohérence sonore en accord avec les désirs et l'énergie enfantines.

Votre souhait?

Que le jeune public puisse partir dans son monde onirique, de contemplation et d’oisiveté enjouée. Il s’agissait d’éviter une pièce narrative linéaire tout en souhaitant contourner cette injonction souvent faite à l’enfant, dès son plus jeune âge, de toujours comprendre.

Ce qui domine? La belle idée de laisser aller son imaginaire par de libres associations. On peut alors imaginer le public étendu sur un radeau se laissant guider au fil d’un fleuve tout en étant bercé par le voyage. D’où cette liberté de contempler des images qui apparaissent avant de se métamorphoser pour mieux se résorber.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet
Interview réalisé et mis en ligne une première fois ven amont de la création du spectacle, en septembre 2023 au Reflet, Vevey


Mirkids
Dès 5 ans.
De Jasmine Morand
Avec Fabio Bergamaschi, Éléonore Heiniger, Jeanne Gumy, Krassen Krastev, Ismael Oiartzabal, Valentine Paley, Amaury Reot, Nicolas Turicchia

Du 9 au 18 février 2024 au Théâtre Am Stram Gram, Genève.
accueil en collaboration avec le festival Antigel

Infos, réservations:
https://www.amstramgram.ch/fr/programme/mirkids

Représentations passées:

Du 22 novembre au 3 décembre au Vidy-Théâtre, Lausanne.
Infos, réservations:
https://vidy.ch/fr/evenement/mirkids/

Du 9 au 18 février 2024 au Théâtre Am Stram Gram, Genève.
Infos, réservations: https://www.amstramgram.ch/fr/programme/mirkids

Du 30 septembre au 1er octobre au Reflet, Vevey. Infos, réservations:
https://www.lereflet.ch/programme/saison-actuelle/detail/mirkids

Le 4 octobre A l'Usine à Gaz, Nyon. Infos, réservations:
https://usineagaz.ch/event/mirkids/

Le 7 octobre au Théâtre Benno Besson, Yverdon-les-Bains. Infos, réservations:
https://www.theatrebennobesson.ch/programme23-24/mirkids