La création sonore sous toutes ses coutures
Depuis 1992, le festival Archipel organise chaque printemps une série d’événements qui reflètent toutes les formes de la création musicale actuelle. Sous le signe de tout ce qui caractérise la créativité à ses premiers moments, le festival a fait appel au compositeur Matthias Pintscher et à l’Orchestre de la Suisse Romande pour un concert d’ouverture exceptionnel, le 10 mars au Victoria Hall. Le compositeur dirigera en première Suisse son concerto pour violon intitulé Mar’eh (2010-2011), joué par le grand Renaud Capuçon, la 8ème Symphonie d’Antonín Dvořák et Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré.
La libre imagination qui n’est encore contrainte par aucune règle, tel est l’esprit d’Archipel contenu dans son intitulé 2016: Aires de jeux. Dédié à ses débuts à la musique contemporaine, le festival a vu sa teneur évoluer au gré des artistes – plasticiens, cinéastes, dramaturges ou encore danseurs, qui se sont emparés du son dans leurs créations, notamment par le biais des outils informatiques. En abolissant les limites entre les arts, la programmation du festival se fait le reflet de son temps. Cette ouverture aux autres arts se lit dans les collaborations qu’Archipel a établies au fil du temps avec les cinémas du Grütli, les Musées d’Art et d’Histoire ou encore l’Institut National Genevois, qui sont venus rejoindre les principales institutions musicales genevoises partenaires dont la Haute Ecole de Musique, le Grand Théâtre, L’Orchestre de Chambre de Genève, le Conservatoire Populaire de Musique, l’Institut Jaques Dalcroze, et pour la première fois cette année, l’Orchestre de la Suisse Romande.
Le compositeur Matthias Pintscher à l’honneur
Matthias Pintscher est le premier des grands compositeurs-chefs qu’Archipel invitera conjointement avec l’Orchestre de la Suisse Romande jusqu’en 2020. C’est avec son concerto Mar'eh (2010-2011) en première suisse que Matthias Pintscher ouvrira le festival le 10 mars, aux côtés de la 8ème Symphonie (1889) d’Antonín Dvořák et Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré, qui composeront le programme de la soirée.
Mar’eh fait partie d’une série d’œuvres aux titres hébreux que Matthias Pintscher a débutée en 2008 avec She-Cholat Ahavah Ani, dans laquelle on trouve aussi Bereshit(2012). "Mar’eh signifie `vision´. C’est un mot biblique qui désigne non seulement les traits du visage, mais peut aussi évoquer la beauté de ce visage, la beauté d’un regard ou d’un moment, d’un état extraordinaire, surnaturel", confie-t-il au journaliste Jéremie Szpirglas. "L’hébreu est une langue fascinante car saturée de riches polysémies. Un mot n’est jamais univoque, mais a toujours des significations multiples. Les traductions de l’hébreu en allemand, en anglais, et surtout en français, nécessitent souvent près de quatre ou cinq fois plus de mots que dans le texte original! C’est aussi une qualité à laquelle j’aspire au sein de mon écriture." Dans sa version originale, pour violon et orchestre, l’œuvre est écrite pour Julia Fischer, une amie de longue date à qui le compositeur voue une grande admiration, tant en raison de son exigence et de sa rigueur que pour cette beauté sereine, cette lumière intérieure qu’elle dégage lorsqu’elle joue. "Jusque-là, ma musique avait un caractère quelque peu fragmenté, passant d’une situation musicale à la suivante. Avec Mar’eh, je me suis lancé le défi de composer un chant, une ligne. Pour la première fois, j’ai voulu d’un chemin, qui commence en un point A pour aller vers un point B. sans détour frénétique, sans explosion éruptive, sans tremblement, sans rupture: un plain-chant qui se déroule et se déploie, comme la trajectoire du soleil de son lever à son coucher. […] Mendelssohn a été une grande inspiration pour Mar’eh. La musique circule, elle n’est jamais statique. Même lorsque tout semble s’arrêter, on a le sentiment qu’une nouvelle vague de fond est sur le point d’émerger. Le discours se tisse de dizaines de couches sonores sédimentées – comme la croûte terrestre, continuellement en mouvement, même de manière imperceptible. Et l’énergie dégagée est grandiose."
En complément du concert d’ouverture, l’Orchestre de la Suisse Romande marque son engagement dans la création en reprenant Mar’eh, en regard du testament musical de Bernd Alois Zimmermann, Stille und Umkehr(1970), le 11 mars au Victoria Hall dans sa série Répertoire.
Le festival Archipel se fait l’écho de l’art sonore dans tout Genève
A l’instar de Matthias Pintscher qui mène également depuis quelques années ses propres expériences pluridisciplinaires avec La Philharmonie de Paris, le festival Archipel offre un programme varié à travers Genève. A l’Alhambra, Complètement marteau! invitera notamment les spectateurs de tous âges à une folle journée autour du piano où marathon de mini concerts, récitals, installations et pianos de toutes sortes seront à découvrir le dimanche 13 mars dès 10h30. Les cinémas du Grütli projetteront les 17 et 18 mars Koko le clown, un ciné-concert dont la musique est interprétée par les jazzmen Jean Bolcato et Guy Villerd sur des dessins animés des frères Fleischer, les créateurs de Popeye, Betty Boop et Superman. La Boîte à musique, installation collective, musicale et plastique, offrira aux tout petits de découvrir le timbre des instruments à travers l’écoute des élèves en composition d’Arturo Corrales qui illustreront les œuvres de Parmiggiani, Christo, Sarkis, Nannucci, Opalka exposées au MAMCO le 13 mars. Le traditionnel Atelier cosmopolite se déroulera cette année le 12 mars à l’Abri et réunira les étudiants des classes de composition des hautes écoles de Genève et de Bâle qui présenteront les mouvances les plus récentes de la création musicale mixte. La Fonderie Kugler accueillera le 16 mars Regnum Animale de Mauro Lanza et du plasticien sonore Andrea Valle où un trio à cordes côtoie vingt-huit animaux imaginaires construits à partir d’objets ménagers pilotés par ordinateur. Vingt jeunes musiciens de la Confédération des Écoles Genevoises de Musique se joignent au Nouvel Ensemble Contemporain de La Chaux- de-Fonds pour une création collective détournant ces objets électriques du quotidien. Sur la scène du Bâtiment des Forces Motrices (BFM) le 18 mars: Trans, de Karlheinz Stockhausen, entièrement conçu en songe, sera l’irruption de l’inconscient parmi les sons. Enfin, la salle Ansermet recevra le concert des Swiss Chamber Soloists le 11 mars, qui proposera un subtil mélange de créations (Holliger, Dayer, Platz) et de références classiques (Mozart, Haydn) autour de l’énigmatique et cristallin harmonica de verre.
Alexandra Budde
Festival Archipel 2016 - Genève du 10 au 20 mars - www.archipel.org
Concert d'ouverture le 10 mars au Victoria Hall à Genève : Matthias Pintscher dirige l'OSR et le violoniste Renaud Capuçon