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La Misanthrope de Rebekka Kricheldorf

Publié le 03.12.2019

Jusqu’au 15 décembre, Le Poche ouvre sur la saison des fêtes avec «UNE» savouveuse misanthrope. Le texte de Rebekka Kricheldorf féminise le personnage créé par Molière, et déplace l’action dans un monde contemporain des arts, pas moins riche en petits marquis que, naguère, l’entourage du Roi de France. Cette Fraülein Agnès critique d’art, critique des artistes, critique de toutes et de tous, permet à l’auteur de faire étalage d’une verve réjouissante, et de se livrer à une critique sociale avec une férocité qui frôle parfois le jeu de massacre. Forcément, la critique s’adresse toujours aux autres, mais pour autant, comme chez Molière, personne ne devrait en sortir complètement indemne...

Rencontrée à Genève, Rebekka Kricheldorf raconte volontiers son monstre. Et la metteuse en scène Florence Minder dit son plaisir d’en tirer tout le potentiel comique, sans freiner sur le burlesque. La comédie est un jeu risqué qui sourit aux audacieuses


 

 

Dès l’introduction, l’humour se manifeste avec générosité, avec gourmandise. Est-ce une prise de position?

Rebekka Kricheldorf: Non. Si tel était le cas, cela reviendrait à assumer l’incompréhension de base qui accompagne la comédie. Cela doit être drôle, mais pas que drôle, à l’image du Misanthrope de Molière, qui est aussi une incroyable critique de la société. J’aime beaucoup le pur divertissement, mais je m’engage sur le terrain d’une comédie qui est aussi critique.

 

 

Excuser la question, mais que cache le choix d’inverser les genres, et de proposer une misanthrope liée à un homme très recherché et apprécié des femmes?

Rebekka Kricheldorf: Dans chacune de mes pièces, je réfléchis toujours, en amont, à la constellation, à l’équilibre des genres parmi les personnages. Proposer une misanthrope m’est apparu intéressant à plus d’un titre. Cela permet de mettre en scène une femme influente qui vit avec un homme beaucoup plus jeune qu’elle, alors que nous sommes davantage habitué au contraire. Je pense aussi que ce personnage existe. Au moins depuis Dorothy Parker (n.d.l.r.: auteure américaine aussi connue pour ses chroniques théâtrales mordantes dans les années 20-30). Et cela me permet de créer un personnage féminin important, ce qui n’est pas si fréquent dans le théâtre classique.

 

Dans Fraülein Agnès, votre Misanthrope au féminin, on retrouve des personnages secondaires qui sont l’équivalent des (petits) marquis de l’original, de purs bouffons. Est-ce un hommage?

Rebekka Kricheldorf: Je les perçois différemment. Quand, en tant qu’artiste, on propose une critique de la société, il faut faire très attention de ne pas reproduire ce que l’on est en train de critiquer, ces personnages d’Annabelle et Cordula me permettent de mettre cela en action, ils ont aussi cette fonction.

 

 

Et comment, metteuse en scène, approche-t-on ce type de personnages (secondaires)?

Florence Minder: Je choisis de grossir le trait. Ce sont des personnages qui ne sont pas sauvés par le texte. Donc il est possible d’en faire des archétypes, de grossir le trait de la caricature. Sans pour autant les juger, je n’oublie pas de prendre sur moi: nous sommes tous l’ «Annabelle et Cordula» de quelqu’un!

 

Comment s’attaque-t-on à la mise en scène d’une comédie volontiers pétillante?

Florence Minder: Plutôt naturellement, en partie peut-être en raison de ma formation en Belgique, où l’amour de l’absurde, et la distance qu’il implique, est davantage cultivé qu’ailleurs. Le théâtre y est moins patrimonial, moins intellectuel et plus charnel. Et puis j’aime beaucoup travailler sur la comédie. On est toujours sur le fil, cela exige beaucoup de précision. Cela demande une très grande technicité de la part des acteurs, il n’y a pas d’effets de mise en scène qui peuvent leur venir en aide. J’apprécie énormément la prise de risques que cela implique. La comédie ne pardonne pas grand-chose.

 

Que fait la metteuse en scène si il n’y a pas d’effets de mise en scène!?

Florence Minder: Les situations sont parfois déjantées. Pour que cela fonctionne, tout doit être très calé, très précis. Et en même temps – c’est un peu bateau de le répéter! - il faut que l’acteur puisse exprimer son inventivité. Une des particularités est aussi qu’aussi longtemps que le public n’est pas là, on ne sait pas exactement si ce que l’on prépare va vraiment déclencher des rires. Cela demande donc toujours une adaptation.

 

Comment s’établit cette mécanique du rire, pour l’auteur. Avec une expérience de la mise en scène?

Rebekka Kricheldorf: Je n’ai jamais rien mis en scène! Lors de l’écriture, je suis très attentive au rythme. J’ai aussi appris en écrivant. Mais même avec l’expérience d’une trentaine de pièces, il y toujours des surprises, et dans les deux sens!

 

Molière situe son action très près de la cour du Roi. Fraülein Agnès se situe dans le monde de la culture. Deux lieux de pouvoir, ou deux univers hors-sol?

Rebekka Kricheldorf: En Allemagne, le monde de la culture est très hiérarchisé. Il était donc possible de retrouver et de reproduire les travers décrits par Molière. Dans mon travail, je privilégie la critique de la société, mais l’objectif n’était pas ici de proposer une étude du milieu culturel en particulier, le propos est plus général.

 

Pour autant, comment ont réagi les milieux culturels, lors des représentations en Allemagne?

Rebekka Kricheldorf: Très, très bien. Personne ne s’est senti visé, tout le monde a reconnu les travers des autres!

 

Propos recueillis par Vincent Borcard
Avec la collaboration de Florence Minder, traductrice de Rebekka Kricheldorf

 

Fraülein Agnès, de Rebekka Kricheldorf. Mise en scène de Florence Minder
Du 25 novembre au 15 décembre
Avec Angèle Colas, Vincent Coppey, Jeanne de Mont, Aurélien, Gschwind, Guillaume Miramond, Léa Pohlhammer, Bastien Semenzato, Nora Steinig
 

Informations, réservations:
poche---gve.ch

 

 

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