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Le Dératiseur de Hamelin au Théâtre des Marionnettes de Genève

Publié le 20.01.2015

 

Les Enfants, vivante richesse du monde

 

Au pied d’une sauvage colline, la ville industrieuse de Hamelin prospère. La Cité s’enrichit ainsi au-delà de toutes les espérances : greniers et entrepôts regorgent de grains dorés, de gras fromages et de vins parfumés… plus qu’il n’en faut pour un siècle d’abondance et de commerce. Mais l’excès de nourritures terrestres attire de plus en plus malfaisants rongeurs, qui font des dégâts catastrophiques et menacent de transmettre l’abominable peste noire. Le conseil de la ville entreprend une démarche après l’autre pour se débarrasser de ces créatures malfaisantes, mais rien n’y fait : la famine s’installe et des voix apocalyptiques s’élèvent pour crier que la ville est punie de son orgueil.

 

La légende du Joueur de flûte de Hamelin travaille et fascine l’imaginaire européen depuis la fin du 13e siècle. Dans ses versions populaires, l’histoire tient en quelques lignes ou en quelques paragraphes tout au plus, donnant ainsi libre cours à toutes les appropriations possibles : maléfique, eschatologique, romantique, ambiguë, moralisatrice, historicisée, etc. C’est ainsi qu’elle a été investie par de nombreux artistes (Browning, Goethe, Apollinaire ou Walt Disney pour ne mentionner que les plus connus) et qu’elle s’est hissée au panthéon des archétypes narratifs occidentaux. Elle a également inspiré des musiciens comme Schubert, Wolf ou Led Zeppelin. Et envouté Shrek !

 

​C’est ce potentiel de réinterprétation, allié à la profondeur de l’archétype, qui a séduit La Compagnie Pied de Biche. Ainsi que les possibilités infinies de dramatisation et de créativité scénique qu’offre l’histoire. Rencontre avec Frédéric Ozier qui signe la mise en scène du Dératiseur de Hamelin au côté de Julie Burnier, pièce présentée au Théâtre des Marionnettes de Genève du 24 janvier au 08 février 2015.

 

Qu’est-ce qui vous a retenu dans la légende ancestrale du Joueur de flûte de Hamelin pour en faire un conte musical ludique et fantasmagorique ?

 

La Compagnie Pied de Biche adore faire partager les histoires à dimension épique. Elles permettent d’exprimer toute une générosité théâtrale expressive teintée d’humour et de macabre. Le peintre et sculpteur français Jean Dubuffet avance en 1946 que « l’art doit toujours un peu faire rire et un peu faire peur », ce qui est en quelque sorte notre devise pour les créations destinées aux enfants ou aux adultes. J’apprécie l’esprit de cet artiste affirmant que « le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. »

Tragédie prégnante, Le Dératiseur de Hamelin met en scène l’invasion de rongeurs et l’exode d’enfants. Autant de thèmes riches d’actualité et de symbolique au cours de l’histoire. Racontée avec viscéralité et ironie, cette légende présente de forts contrastes entre la figure de l’artiste et la réalité du marchand, l’adulte et l’enfant, l’animal et l’humain. On peut songer à la saga Star Wars dans cette réflexion sur le Bien et le Mal et les figures sans cesse retournées, détournées que ces idées revêtent comme au sein d’un kaléidoscope.

De plus l’intitulé « dératiseur » me semble plus adéquat que « joueur de flûte » relativement à la fable et cette colère froide, calculée d’un musicien magicien que l’on peut voir comme justicier ou être diabolique décidant de se venger du tort qui lui a été fait par les moyens dont il dispose : son pipeau. Il embarque les enfants dans un aller simple vers l’inconnu. Le bourgmestre aurait pourtant dû se méfier d’un homme inconnu capable d’ensorceler comme Orphée des êtres vivants par des sons hypnotiques et de les soumettre à sa volonté. Est-il venu dans la Cité, car il la savait corrompue par l’argent, la cupidité et méritant de fait une punition ? La question reste ouverte.

 

 

Vous abordez la marionnette dans sa diversité.

 

Le travail mêle les styles marionnettiques selon les besoins et intentions de la dramaturgie afin de faire ressortir au mieux l’essence de chaque personnage. Le choix de jouer un protagoniste par un acteur et un autre par la marionnette participe d’un même mouvement. Prenez le rat qui sera incarné par divers types de marionnettes en passant par le roi de la communauté des rats arrivant suite à un pantagruélique banquet des Bourgeois assoupis. Il est à une taille permettant de lui insuffler des traits significatifs.

Ses sbires seront des rongeurs sur tiges formant de petites pantomimes pouvant montrer de quelle manière les habitants de Hamelin tentent de dératiser leur Cité par eux-mêmes. Plus véloces, ces rats permettent acrobaties et cascades croquignolesques. Ils ont l’avantage de pouvoir grimper sur les comédiens ou crapahuter furtivement dans les intérieurs des maisons. Il y aura enfin une masse de rats signifiant l’exode vers le fleuve encerclant la ville de Hamelin et appelé la Weser.

 

Pour le personnage central du joueur de flûte, vous convoquez les figures d’Orphée et Pan voire de Clint Eastwood en justicier crépusculaire dans le film Pale Rider ?

 

La solitude du Dératiseur est essentielle. Dans l’antinomie entre la communauté villageoise et l’étranger solitaire surgi de nulle part. Afin de développer le côté magique, fantastique et extraordinaire de l’Enchanteur, le choix s’est porté sur une incarnation double par la marionnette et un comédien fraîchement sorti de la Manufacture au physique longiligne, dégingandé comme une signature tout ensemble burlesque, étrange et inquiétante. Ce, afin de pouvoir jouer sur les échelles. Dans les scènes de confrontation rapprochée entre le Bourgmestre et le magicien flûtiste passé par une marionnette cristallise sans doute mieux les enjeux qui circulent entre les protagonistes. L’identification est identique dans el costume entre la marionnette et l’acteur dans sa silhouette de « grande bringue » que l’on dirait presque un pantin au naturel.

 

Propos recueillis par Bertrand Tappolet pour le Théâtre des Marionnettes de Genève

 

Le Dératiseur de Hamelin, au Théâtre des Marionnettes de Genève (TMG) du 24 janvier au 08 février 2015. Renseignements au +41 22 807 31 07 et sur le site du théâtre www.marionnettes.ch

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