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Le Théâtre avant tout au TFM

Publié le 02.03.2018

 

«Paris, 1942. […] En zone occupée, le couvre-feu vide les rues après onze heures du soir et, pour les Parisiens, il est terriblement important de ne pas rater le dernier métro. Parce qu’ils ont froid chez eux, les Parisiens se pressent chaque soir dans les salles de spectacle. Au Théâtre Montmartre une pièce est en répétition et pourtant le directeur, Lucas Steiner, d’origine juive, a quitté la France précipitamment: il n’avait pas le choix».

Face au retour en force des extrémismes, la peur des lendemains et la menace de guerre qui plane, comment se positionner? C’est la question que se pose Dorian Rossel en adaptant Le Dernier métro (1980) du cinéaste français François Truffaut, son plus grand succès au box-office avec Les 400 coups. Véritable manifeste, Le Dernier métro est un «film d’amour et d’aventure qui témoigne de notre aversion possible contre toutes les formes de racisme et d’intolérance, mais aussi notre amour profond pour tous les gens de théâtre», comme le présentait le cinéaste.

Depuis ses débuts en 2004, la compagnie STT s’efforce de mettre au présent des écrits aux intemporelles scènes de la vie courante en adaptant des textes hors du répertoire théâtral, comme des essais sociologiques ou des œuvres littéraires, films, ou encore bandes dessinées, donnant naissance à des spectacles tels que L’Usage du monde (2011), Une femme sans histoire (2015) ou encore Voyage à Tokyo (2016). Ses spectacles sont conçus dans un va-et-vient entre l’élaboration dramaturgique et le travail de plateau. Dans cette pièce, on retrouve le quotidien qu’a connu enfant le réalisateur. La censure antisémite veille, le critique de la collaboration rôde… Malgré tout, la troupe du Théâtre Montparnasse continue. Le théâtre avant tout.

 

Dorian Rossel, quelle place occupe Le Dernier métro dans votre cœur?

C’est un film que j’ai vu plusieurs fois, à différentes époques de ma vie, et qui à chaque fois, a trouvé des résonances différentes. Truffaut voulait faire trois films sur des microcosmes artistiques. Sur celui du cinéma, il réalisera La nuit américaine (1973), sur celui du théâtre, Le Dernier métro, et le dernier volet aurait dû être sur le cabaret, mais il n’a pas eu le temps de le faire. Cette œuvre m’est chère pour la richesse de sa langue qui a plusieurs portes d’entrée et plusieurs degrés de lecture. Nous avons cherché une transposition scénique qui rende compte de cette richesse.

 

A travers ce film, François Truffaut rend un hommage vibrant au théâtre.

Surtout dans ces temps difficiles de la deuxième guerre mondiale, où les gens ont besoin d’être ensemble, d’écouter des histoires ensemble, quelque chose dont je suis persuadé et dont le théâtre doit se faire le porte-parole. C’est ce théâtre que nous célébrons à travers les résonances que ce film trouve dans notre quotidien. Des artistes qui travaillent ensemble pour qu’advienne la poésie, malgré tout. Car on entend dans les médias des choses qu’on n’entendait pas il y a cinq ans et c’est très choquant. Ces mêmes discours qui passaient à la radio sous l’occupation, que Truffaut reprend dans son scénario, et que j’ai pu entendre récemment sur les réfugiés: «un certain type de population qu’on ne veut pas voir, dont on dit qu’ils sont venus chez nous pour profiter et non pour travailler.» Or on oublie que si ces gens sont là, c’est parce qu’ils n’ont plus la possibilité de vivre sereinement chez eux. Cette pièce s’inscrit comme une piqûre de rappel de ce que cela signifie actuellement que de vivre dans un pays occupé. En 2018, Le Dernier métro trouble par l’écho qu’il trouve dans notre époque où les repères s’étiolent et les acquis vacillent. Quelle limite reste-t-il entre la réalité et la fiction, entre la vie quotidienne et le théâtre, quand la violence devient une mise en scène mondiale?

 

Adapter, c’est trahir un peu ou pas du tout?

Il n’y a pas une manière d’adapter des films au théâtre, mais une diversité des possibles. C’est avant tout une envie de rendre un hommage par le biais d’une rencontre avec le présent. Quand nous avons adapté La maman et la putain, nous avons voulu changer le titre, parce qu’il s’agissait bien d’une nouvelle création qui se démarque du film existant. Pour Quartier lointain ou Voyage à Tokyo, la part du cadre était beaucoup plus prégnante. Dans Le Dernier métro, on pourrait presque croire que les dialogues ont été écrits pour la scène. Truffaut s’inscrit dans un cinéma de l’ici et du maintenant, ce qui est aussi une définition du théâtre.

 

 

Qu’est-ce qui vous plait tout particulièrement dans l’adaptation de matériel filmique au théâtre?

C’est la rencontre avec une nouvelle écriture. Chaque cinéaste est un écrivain avec ses propres mots, images ou sons. Nous avons à cœur de comprendre cette grammaire et d’en inventer une nouvelle pour le théâtre. Dans les deux documentaires que j’ai choisi d’adapter, l’écriture se situait au niveau de la structure, des morceaux choisis et de leur agencement. Mais dans le fond, je suis très attaché à la singularité de chacune des écritures. Comment chacune, réelle ou fantasmée, arrive à nous conduire dans un vertige intime qui devient universel.

 

Un mot sur la scénographie.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle prend place dans un théâtre (sourires). Nous avons expérimenté dans de nombreuses directions et avons finalement imaginé un espace en évolution permanente dans lequel tout est possible. Loin des images projetées, ce sont plutôt de petits détails qui nous renseigneront sur le cadre et surtout la teneur des dialogues, d’où notre souhait de ne pas surligner l’époque dans la scénographie qui invite le spectateur à en percevoir l’écho actuel.

 

On y retrouve un puissant esprit de troupe et énormément d’humour. Le théâtre qui vous rend heureux?

En superposant l'évocation des contingences matérielles et des aléas de la préparation d'un spectacle à l'exaltation de l'esprit de troupe et à la notion de rôle dans la vie comme en art, Truffaut invite le spectateur à se positionner contre l’air du temps. Par l’art et l’inventivité, nous lui proposons un air joyeux qui l’entraîne à réfléchir sur lui-même, sur notre époque, sur les ressorts cachés des hommes, dangereux ou magnifiques, lâches ou résistants.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Le Dernier métro, une pièce mise en scène par Dorian Rossel à découvrir au Théâtre Forum Meyrin du 7 au 9 mars 2018.

Renseignements et réservations au +41.22.989.34.34 ou sur le site www.forum-meyrin.ch

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