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Les Helvètes, martyrs oubliés de l’identité suisse

Publié le 22.09.2020

 

Au petit écran, il y a Game of Thrones et en scène, Dominique Ziegler, abonné aux blockbusters théâtraux. En de vifs tableaux mariant une scénographie abstraite, géométrique à des costumes d’époque fidèlement refigurés, son Helvetius (Théâtre Alchimic du 22 septembre au 11 octobre) navigue habilement du monde romain à celui des Celtes. En 58 av. J.-C., Jules César, politicien et stratège contesté dans son impérialisme, veut une guerre pour conforter son pouvoir. A la même époque, les Helvètes, Celtes vivant sur la Suisse contemporaine, émigrent. Le destin les confronte. Divisions, trahison et coups de théâtre sont au menu alors que l’ombre d’un désastre humain plane.

Côté Celtes, le chemin le plus court transite par une cité allobroge, sous domination romaine, Genève. Après Calvin, Lénine et Jaurès, Dominique Ziegler s’empare de La Guerre des Gaules, pour en faire une contre-histoire populaire des vaincus notamment. Elle marie le thriller avec le tragique, l’épique et le comique. Rencontre avec l’auteur et metteur en scène le plus populaire de notre région.

 

Qu’est-ce qui détermine la scénographie de cette création?

Elle est inspirée du travail du scénographe suisse Adolphe Appia et ses «espaces rythmiques», transformable, composés de volumes horizontaux et verticaux avec l’utopie d’un art vivant auquel tout le monde participerait. Elle est l’œuvre de Célia Zanghi, la scénographe attitrée de La Revue annulée pour cause de Covid.
Cette référence historique répond à la question suivante: Comment faire un péplum au théâtre? Nous sommes dans la règle des tableaux qui se succèdent, la pièce géopolitique. Ainsi Helvetius débute à Rome avec les préparatifs militaires de l’invasion. Il y a ensuite des scènes alternées et parallèles chez les Helvètes et les Romains. Chez les Helvètes, on est confronté à une mosaïque de peuples s’étant eux-mêmes divisés.

 

 

Et sur la pertinence des éléments scéniques?

Des lieux multiples demandent une scénographie, moderne, malléable, évocatrice - tente de César, Sénat romain, village helvète, mobile. Elle laisse toute la valeur à l’acteur, au texte et aux costumes. On est dans une structure ingénieuse qui se dématérialise et se réagence en direct.
Côté lumières, chez les Romains, l’atmosphère est froide, grise marbre alors que l’univers helvète est empreint d’un jaune plus chaleureux. La musique, elle, joue la carte des contrastes en suivant une colonne sonore proche du Krautrock.

 

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cet exode des Helvètes sous la menace des Germains?

L’intérêt fut de savoir qui sont les Helvètes à cette époque de 58 av. J-C, pour me rendre compte que le seul témoin contemporain en était leur propre bourreau, Jules César, assurant la seule mention de ce peuple dans l’Antiquité. Son Commentaires sur la Guerre des Gaules débute avec la description des Helvètes. Il relève une menace migratoire helvète risquant de déstabiliser la Gaule. Ou l’espace celte. Il conquiert alors la Gaule en sept ans pour devenir le Jules César dictateur.

L’acte fondateur d’une société constituée sur le plateau suisse est par le fait qu’ils veulent partir de l’Helvétie tout en la brûlant (villes, villages et maison) avant leur exil. Pour être certains de ne pas y faire retour, prenant des vivres pour trois mois. Sous la menace des Germains, ancêtres des Allemands, ils se dirigeaient vers la terre des Santons, un peuple gaulois prêt à les accueillir sur leur territoire. Ils devaient ainsi passer par Genève gouvernée par le Proconsul de la Gaule transalpine, Jules César.

 

Qu’en est-il de l’analogie actuelle avec d’autres exils forcés récents?

L’analogie avec les réfugiés syriens, afghans ou éthiopiens notamment est marquante. Nous avons affaire à des gens fuyant une menace, se retrouvant pris dans les filets de la géopolitique, sous le jeu des moyennes et grandes puissances. Ils sont finalement instrumentalités par tous les pouvoirs politiques. Aujourd’hui la Confédération helvétique pourrait aider sur un mode bien plus ample les migrants et réfugiés, tout en ayant la fâcheuse tendance à leur fermer la porte.

 

 

Et à l’époque de la pièce?

Pour faire retour au contexte historique de la pièce, César voulait créer un conflit de toutes pièces, en arrêtant les Helvètes à Genève dans leur exode. Une partie est massacrée sur le Rhône, l’autre s’échappe vers les Eduens, alliés collaborationnistes. Les Helvètes se retrouvent, une nouvelle fois, taillés en pièces, laminées par les légions à Bibracte. Partis à 386'000, seuls 110'000 parviennent à survivre. Une partie est mise en esclavage, l’autre ramenée de force, à la manière stalinienne, sur le territoire helvète brûlé.

 

Vous êtes pour une forme de contre-histoire suisse?

Pourquoi l’histoire nationale ne se réclame-t-elle pas davantage de ce peuple fondateur? Cette épopée des Helvètes ne va-t-elle pas à l’encontre des discours xénophobes et de replis sur soi? L’ADN de la Suisse, ce sont des gens qui souffrent, des martyrs, réfugiés et personnes rapatriés de force, instrumentalisés, trahis et massacrés. Voilà l’histoire de nos Ancêtres. Il faut ainsi redonner à connaître le roman national à nos compatriotes. A mes yeux, cela peut changer nombre de choses en termes de perspectives d’accueil, de solidarité et d’humanité.

 

Pour le récit de la Guerre des Gaules par César?

L’une des interrogations en est: a-t-on affaire à des Fake News par ses rapports envoyés par César au Sénat pour justifier son action? L’écrit se transforme ensuite en une sorte de compilation littéraire. S’agit-il d’une entreprise cynique de manipulation de haut niveau?

 

 

Comment se présentent la société helvète et la fable que vous avez écrite?

Les univers celte et romain connaissent alors des structures sociales relativement parallèles. On est en République chez les Romains et en oligarchie aristocratique au sein des Celtes. Comme dans l’Afrique précoloniale, il faut imaginer des peuples disséminés sur l’espace celte. Ce sont les riches qui accaparent ainsi le pouvoir. César cite ainsi Orgétorix, qui n’est pas un chef. Mais une sorte de magnat d’affaires richissime, style John David Rockfeller ou François Pinault avant la lettre.

Fort d’une armée comptant 10'000 hommes, il est une forme d’Etat dans l’Etat, investissant financièrement dans l’exil des Helvètes. Comme dans toute bonne intrigue politique, il caressait le secret dessein de rétablir la Monarchie et fomente un plan machiavélique déjoué par Divico, un chef helvète.

 

Pendant ce temps chez les Romains… l’intime, le familial et le politique se rejoignent dans votre magistrale scène d’ouverture, un vrai teaser de tragédie.

Il n’est toutefois pas facile de régater après une telle entrée en matière. Cette ouverture m’a été inspirée par un haut fonctionnaire romain, Suétone, dans sa Vie des douze Césars évoquant le rêve du viol de sa mère par César. Les devins vinrent alors disant que ce n’était point sa mère qu’il avait abusée, mais la Terre attendant qu’il la possède. Cette anecdote de deux lignes fut un déclencheur pour cet épisode le confrontant à Aurelia Cotta, sa mère, et au devin.

 

Il y a toute une symbolique…

Ennuyé de ne pas être la hauteur de ses ambitions, César rêvait alors d’être Alexandre le Grand, dont il avait déjà dépassé l’âge. C’est sa frustration qui se concentre en ce rêve. Avec toute la violence militaire, patriarcale, la mère représentant symboliquement l’humanité terrestre qu’il va contraindre.

Plus avant dans l’histoire, César rencontre le personnage fictif d’une femme druide helvète emblématisant cette humanité qu’il violentera encore in fine. Dans une ère antique loin d’être MeToo friendly, il est pertinent de dépeindre César sous les traits d’un cruel chef de guerre abuseur et violeur autant qu’un politique cynique.

 

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

 

Helvetius, de Dominique Ziegler
Du 22 septembre au 11 octobre au Théâtre Alchimic, Carouge

Avec Marie Druc, Jean-Paul Favre, Yves Jenny, Olivier Lafrance, Vincent Ozanon, Ludovic Payet, Julien Tsongas

Renseignements, réservations :
alchimic.ch


Portrait de Dominique Ziegler © Guillaume Megevand


 

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