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Les Indes Galantes sur le chemin de la guerre

Publié le 07.12.2019

 

Du 13 au 29 décembre, le Grand Théâtre de Genève invite au voyage avec Les Indes galantes, un opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau dans une mise en scène de Lydia Steier. Dans le prologue original du librettiste Louis Fuzelier, Hébé, déesse de la jeunesse, déplore la séduction de ses fidèles par Bellone, déesse de la guerre. Hébé appelle l’Amour à la rescousse pour qu’il envoie ses petits Cupidons ailés recruter des guerrières et guerriers pour la cause galante. Lydia Steier part de ce conflit naissant qu’elle vas placer au centre de sa mise en scène. Les bombes se mettront à tomber, chaque partie paiera son tribut. À la fin, il ne restera qu’à construire ensemble une nouvelle société des nations!

Avec cette œuvre où la danse et la voix sont à parité quasi complète, le Grand Théâtre inaugure une nouvelle ère de collaboration entre sa scène lyrique et sa compagnie de ballet. Le maestro Leonardo Garcìa Alarcòn évoque cette production, vue de l’orchestre, et son travail au service conjoints de la mise en scène et de l’oeuvre de Jean-Philippe Rameau

 

 

Maestro pour Les Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau au Grand Théâtre de Genève, vous avez dirigé la même œuvre il y a quelques mois à Paris. Comment évoquer, de votre position de chef d’orchestre, la différence entre ces deux productions?

Déjà, je ne sais pas si j’aurais une fois la chance de vivre cette expérience très particulière de jouer à des dates aussi rapprochées deux fois la même pièce, avec le même orchestre, mais avec des visions de mise en scène aussi contrastées. C’est fantastique!
Pour répondre à votre question, ce influence mon travail, c’est toujours et avant tout la musique de Rameau, qui est à la base de toute la production! Ensuite, c’est la lecture du texte et comment l’histoire va être racontée. Une même scène peut devenir une grande fête joyeuse ou une prière à l’intérieur d’une caverne… Je peux influer sur la conduite de la ligne, sur la dynamique générale, sur le choix du tempo, sur l’articulation des instruments. Je peux toucher à beaucoup de paramètres pour que cette musique puisse s’adapter à l’histoire telle qu’elle sera racontée.

 

 

Celle des Indes Galantes varie beaucoup. A Paris, la mise en scène privilégiait les phénomènes naturels. A Genève, les spectateurs se préparent à assister à une guerre mondiale!

Oui. Pour mon travail, tout part de discussions avec la metteuse en scène Lydia Steier. J’ai aussi fait la connaissance du chorégraphe Demis Volpi, argentin comme moi. Ces échanges me permettent de lancer la réflexion: quelle forme faut-il privilégier, comment communiquer cette guerre mondiale. Ce choix d’une seule histoire qui traverse tout le spectacle, du début à la fin, est une grande nouveauté pour cette pièce. Une lecture qui unifie toute l’œuvre est quelque chose de formidable, une très bonne idée. Découvrir de tels choix est aussi ce qui me plaît en tant que chef d’orchestre: je vais pouvoir m’adapter à une lecture, à une idée forte.

 

Et si une idée vous plaît moins?

Le maestro ne doit pas venir avec une idée fixe sur ce qu’il convient de privilégier: il n’y aurait pas de dialogue possible. Pour la préparation de chaque spectacle, il faut donc se présenter au-delà des convictions. Sinon, nous entrons nous aussi dans une bataille esthétique! On ne peut pas faire ça, surtout dans une pièce qui parle de la place de l’étranger, des particularités de diverses sociétés, de la place qu’y tient l’amour!

 

Comment définiriez-vous ce rôle, et la part de disponibilité qui le caractérise?

J’appelle mon art la science-fiction. Avec tout ce que l’on sait – nous, chefs d’orchestres – sur l’art de la musique, nous pouvons amener la science: la lecture des manuscrits, la connaissance des instruments originaux, l’étude des lieux, des espaces où la pièce a été jouée, des analyses de tempi… Cette science de la musique se rapproche d’une géométrie musicale.
Et en même temps, nous sommes dans la fiction. Nous essayons de nous approcher le plus de la matière musicale que le compositeur a créé. Mais les instruments d’aujourd’hui et la lecture du metteur en scène la ramène à une actualité contemporaine qui peut parler aux gens d’aujourd’hui. Quand on joue une pièce de Rameau, il faut l’accepter. Car le but n’est pas de créer une pièce de musée. Ceci explique aussi pourquoi la création d’un opéra ou d’une œuvre telle que Les Indes Galantes est aussi un art de la communication et du dialogue, du compromis. Sinon, c’est encore la guerre! Et si on arrive pas à s’entendre dans un domaine artistique, comment le demander ensuite aux politiciens?

 

 

Comment, dans ce cadre, se déploie votre force de proposition?

Par ma force de conviction à transmettre aux musiciens, aux chanteurs, comment je crois que la pièce doit être interprétée. A l’intérieur d’une pièce, le compositeur nous fait passer des messages, il nous communique comme un idéal utopique: comment la pièce doit être jouée. C’est cela que je partage dès la première lecture. Après, il est très difficile de me défaire de mes convictions. (Rire) Il faut que le metteur en scène vienne avec une idée très forte pour me faire céder.

 

Un exemple?

Prenons Forêts paisibles, toujours exprimé assez vivement dans Les Indes Galantes. Un metteur en scène pourrait me demander d’en faire un moment calme. Et en étudiant la question, il est possible que je découvre que c’est possible, cela m’apparaîtra même peut-être comme une évidence… C’est formidable de réaliser à quel point une même musique peut se prêter à des différentes lectures. C’est évident pour l’opéra, qui est un art de l’illusion et de l’émotion – très différent en cela de la musique sacrée.

 

L’approche pour un ballet, est-elle particulière?

Je serais en contradiction avec tout ce que j’aime si je disais que qu’il est possible d’apprécier la musique des opéras de Monteverdi mais pas leurs textes. C’est la même chose avec Rameau, qui est un génie des couleurs mais aussi un génie rythmique. Le ballet est indissociable de la musique française. La France, c’est la danse! Et puis je viens d’un famille de danseurs, j’adore le ballet!

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

 Les Indes galantes, un opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau
Du 13 au 29 décembre au Grand Théâtre de Genève

Informations, réservations
gtg.ch

Direction musicale Leonardo García Alarcón
Mise en scène Lydia Steier - Chorégraphie Demis Volpi
Avec Kristina Mkhitaryan, Roberta Mameli, Claire de Sévigné, Amina Edris, Renato Dolcini, Gianluca Buratto, Anicio Zorzi Giustiniani, François Lis et Cyril Auvity
Cappella Mediterranea
Chœur du Grand Théâtre de Genève

 

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