Publié le 04.12.2023
Playlist, créée par Léa Pohlhammer en étroite collaboration avec son équipe artistique, tire son inspiration de la musique pop. À découvrir du 5 au 17 décembre au Théâtre du Loup, ce spectacle explore la culture commune des chansons pop qui ont marqué les moments-clés de nos vies.
Nous avons écouté ces tubes, ici au bord de l'abîme, là surfant sur la crête de la félicité. Voici un assemblage cohérent créé grâce à une alchimie intuitive mêlée à des correspondances énigmatiques ou claires. On se souvient avoir dansé sur le slow suprême d’Hotel California des Eagles. Mais qui se rappelle que ses paroles évoquent en réalité un centre de traitement pour toxicomanes? «Au début il n’y avait rien, juste un doux rêve scintillant/Dans ce monde fait d’acier et de pierres», entend-on dans la pénombre.
Servis dans une scénographie subtile et inspirée signée Victor Roy, les clips théâtraux mêlent chansons de gestes, poses et postures. L’univers pop se trouve musicalement réarrangé et revisité par le sourcier électro Andrès Garcia dans un formidable mashup*.
Si pour vous la musique est magique et la magie est la vie dans ce qu’elle a de plus surprenant et mélancolique, authentique et ludique, pourquoi ne pas rejoindre Léa Pohlhammer et son Girls and Boys Band à nul autre pareil. Rencontre.
La musique, c’est votre liquide amniotique?
Léa Pohlhammer: Assurément. Côté biopic, je suis la seule à n’être pas musicienne du côté de ma famille paternelle, mon père et son épouse, mon frère et ma sœur s’adonnant à la musique. Baignée dans la musique dès ma plus tendre enfance, je l’écoute en continu. C’est ma vie. Lorsque, je cuisine ou m’ennuie, heureuse ou non, la musique est dans l’air. À ma mort, j’aimerais que l’on monte le son très fort.
Loin de n’être sensible qu’à la pop, je me suis mise dans la tête de faire un spectacle à partir de ce matériau. Ou plutôt en prenant comme désir de départ, l’effet que me fait la musique. J’aime aussi à rappeler cette citation de Nietzsche, une «vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil». Ou ces mots de Pina Bausch, il «faut danser, danser… sinon nous sommes perdus». Voire «La musique est l’aliment de l’amour», avancé par William Shakespeare.
Ces propos sont une manière de dire que la musique est omniprésente. Partout et tout le temps. Avant de savoir parler, un enfant chante.
Si la musique est dans notre ADN commun, je pense sincèrement qu’elle permet à l’âme de s’exprimer. On peut naturellement le faire avec des mots. Mais la même scène jouée avec ou sans musique, ce n’est pas la même chose.
La musique amène des situations intensément poétiques. Ou elle exacerbe des sentiments et émotions que l’on peut traverser et connaître. À mes yeux, il n’y a que peu d’artistes, philosophes. écrivain.es… qui ne font pas de liens avec la musique.
Ce qui m’a intéressée? Découvrir au fil de tubes et titres que nous avons toutes et tous chantés, le vrai sens des paroles qui venaient souvent à nous échapper. Prenez Smalltown Boy de Bronski Beat chantée par Jimmy Sommerville, un hit dansant éminemment triste. Il évoque ainsi un jeune gay solitaire, incompris et opprimé devant fuir sa banlieue car victime d’homophobie.
J’ai donc d’abord décortiqué les textes des chansons d’artistes qui m’ont marquée dès l’enfance. Ensuite le pari fut de trouver des morceaux suffisamment référencés pour que le public les reconnaissent tout en ayant une dimension théâtrale. Dès lors, Il a fallu imaginer des profils, figures ou caractères plutôt que des personnages.
Il s’agit de réaliser une grande fresque. Grâce à la collaboration du compositeur et musicien Andrès Garcia, nous sommes littéralement plongés dans un univers parallèle à la pop. En témoigne le tube Nuit de folie interprété originellement par le duo Début de soirée. Nous avons pris le thème de Midnight Summer Dream, une ballade rock des Stranglers pour y mettre les paroles de Nuit de folie. Du coup, on assiste à une forme de voyage à travers les morceaux.
Le pitch?Disons que je suis une sorte de maitresse de cérémonie. Les autres interprètes incarnent une facette de la pop sortant de mon esprit. Mais aussi un reflet de la manière dont on peut traverser intimement la musique. De la revendication à la tristesse qu’évoquent les chansons, par exemple.
Ainsi Catherine Büchi porte les grandes chanteuses et divas, Céline Dion, Bonnie Tyler ou Whitney Houston. Travesti, Pierre Mifsud porte, lui, la parole des minorités, des opprimé.es, de toutes les personnes qui se réfugient dans la musique pop et y trouvent une source de réconfort. Quant à Tiphanie Bovay-Klameth, elle représente la pop américaine, ses stars incontournables.
Enfin David Gobet campe les rockers et loosers, dragueurs et poseurs. On le devine d’abord possiblement moins à la recherche de l’amour que de la femme. Mais l’amour n’est-il pas finalement son horizon? Au cœur de ce voyage musical, Il existe de nombreuses interactions entre ses comédiennes et comédiens.
Oui. Même quand on ne le repère pas forcément, les textes sont intégralement issus de paroles des chansons. Chaque titre contient sa petite histoire. La création se présente comme une succession de brefs récits, d’histoires intimes, de petits drames, joies et victoires personnelles qui en deviennent universelles.
Avec la créatrice des costumes, Aline Courvoisier, nous adorons les paillettes que l’on retrouvera à foison. Il y aussi a le souvenir de ma garde-robe rêvée d’enfant que je bidouillais grâce à des bouts de tissus et de grandes chemises notamment.
Les costumes permettent d’évoquer ce qui ne peut l’être tant par les paroles que les musiques. Selon moi, la musique pop ne peut exister sans un écrin vestimentaire. Madonna, Beyoncé, Michael Jackson et tant d’autres n’auraient pu être ce qu’elles.ils sont sans costumes, scénographies et chorégraphies. Sans se prendre au sérieux, nous cherchons la star qui se cache en nous.
Les cheveux font vraiment partie intégrante de la musique pop. D’où certaines vestes qui sont composées de perruques. À ce titre, il me semble essentiel d’avoir autant de beauté, de délicatesse et de connerie dans le fait précisément de ne pas jouer la perruque.
Si les comédiennes et comédiens ne sont pas ici chanteuses et chanteurs de métier, cela amène une fragilité pouvant être tour à tour touchante, drôle et bouleversante. Sommes-nous des enfants qui jouent ou des stars déchues? C’est cette incertitude qui m’intéresse. En résumé, nous jouons des scènes à travers des chansons. En répétitions, j’encourageais les interprètes à se vautrer dans les grands sentiments, le kitsch et le too much. C’est libérateur.
Oui, il y a les paroles agrégées de plusieurs titres: Irene Cara pour la bande originale du film Flash Dance - «Au début, il n’y avait rien/juste un doux rêve scintillant…» (What a Feeling) -, l’un des artistes que j’aime le plus, Prince, Imagination, Michel Berger, David Bowie, Johnny Hallyday, Jean-Jacques Goldman «Quand la musique est bonne/Quand la musique donne...» (Quand la musique est bonne)...
Tous ces mots, je me les réapproprie. «Aimons-nous vivants/N’attendons pas que la mort nous trouve du talent/S'il faut danser, je veux danser maintenant…» (François Valéry, Aimons-nous vivants). Bienvenue dans mon rêve, qui, je l’espère, est aussi le vôtre.