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Morts en série au Théâtre de l'Orangerie

Publié le 15.08.2017

 

On connaît le Tchekhov dramaturge et ses chefs-d'œuvre comme La Mouette ou Ivanov. Mais le Russe est également l'auteur de plus de 600 récits et nouvelles, rédigés entre 1883 et 1887 et publiés dans divers journaux. C’est cette matière qui a inspiré au metteur en scène Didier Carrier sa prochaine création, Nouvelles mortuaires, qui se joue au Théâtre de l’Orangerie du 15 au 27 août 2017.

La nuit au cimetière, L’envie de dormir, La fin d’un acteur, Le juge d’instruction, La peur et Ma vie forment la base sur laquelle Didier Carrier a construit sa pièce. Ces nouvelles témoignent de l’humour acerbe de Tchekhov mais aussi de son incroyable tendresse pour des personnages écorchés par la vie. Explications avec Didier Carrier.

 

 

Quand avez-vous découvert ces nouvelles de Tchekhov et pourquoi les avoir mis en scène?

Cela doit faire une trentaine d'années, j'étais alors à l'École supérieure d'art dramatique de Genève. Nous avions fait un stage sur les nouvelles de Tchekhov, je les ai lues dans leur intégralité et j'ai senti un sujet théâtral. J'ai proposé ce projet quand j'ai rencontré Valentin Rossier, directeur de l'Orangerie, et il a tout de suite trouvé original de théâtraliser des textes moins connus de l’œuvre de Tchekhov.

 

Après Maupassant et Jorn Riel, vous êtes un habitué des textes non-théâtraux…

Je ne le fais pas exprès, mais il est vrai que j'aime la littérature et que j'ai du plaisir à partager les textes qui m'ont plu avec le public. J'effectue un gros travail sur le texte, avec beaucoup de remaniements et de coupes, mais j'ai à cœur de restituer au mieux le style d'un auteur. Le fait que Tchekhov soit un auteur dramatique aide beaucoup, ses nouvelles contiennent déjà du dialogue et même les parties narratives sont écrites à la première personne. C'est plus facile pour un metteur en scène de le transposer à la scène. Le théâtre est pour moi une façon d'écrire, je suis un metteur en scène-auteur.

 

Comment avez-vous adapté ces nouvelles à la scène?

La pièce est une suite de sept courtes histoires tirées des différentes nouvelles de Tchekhov. Mon travail a consisté à créer une unité entre les histoires, un scénario qui permette de suivre les différents récits dans une certaine logique. Il y a donc un fil conducteur avec le thème de la mort. Les comédiens incarnent à tour de rôle les protagonistes de l'histoire ou les conteurs.

 

 

Comment avez-vous abordé ce thème central de la mort?

J'adore aller fouiller ailleurs, à revers de ce que les gens pensent en général, y compris moi-même. J'aime me surprendre. Avec un thème comme la mort, l'aborder de front est libérateur. Nous croisons donc toute une galerie de personnages: des suicidés, des mourants, des revenants, des assassins, des médecins légistes, des juges d'instruction, tous ceux qui font métier de la mort. On aborde toutes les variétés que peuvent nous apporter ces expériences de vie, parce que la mort est une expérience de vie. On fait renaître des mourants qui se trouvent dans l'esprit d'une personne sous la forme d'un fantôme ou d'un souvenir. Ces personnages sont confrontés à leurs traumatismes. Y faire face nous permet de vivre sa vie d'une façon plus poétique, et c'est ce que nous proposons dans cette pièce.

 

Ne craignez-vous pas qu'un sujet tel que la mort puisse rebuter?

La mort est un thème intemporel dans lequel il est sain de se pencher de temps en temps. Nous sommes dans une société qui cache la mort, ce qui n'a pas toujours été le cas à d'autres époques ou dans d'autres cultures comme au Mexique où le jour des morts est un moment de fête. Dans nos sociétés, la mort est feutrée dans les cérémonies. Mais il y a tout de même quelques chose de privilégié dans les enterrements, c'est le moment où nous pouvons dire au revoir à nos chers disparus. Et finalement, nous n'avons pas besoin de vivre la perte d'un être cher pour connaitre cette expérience. La perte d'un amour, d'un objet… notre vie est faite de petits deuils.

 

 

Que représente le cimetière qui plante le décor de votre pièce?

C'est le fil conducteur. Je l'ai voulu très simple, avec des stèles et des tubes noirs qui se transforment en lit ou en table d'autopsie.

 

Qu'est-ce qui vous parle chez Tchekhov?

J'aime sa pensée déterministe. Il nous montre des histoires tristes ou sordides, mais pour lui tout ce qui arrive à l'humanité à un sens. C'est un scientifique - il était docteur - et, même s'il s'est toujours considéré comme un conservateur, sa pensée s'opposait au monde des tsars. Il vivait dans une société où la religion était dominante et proche de l'aristocratie, ce qui permettait d'enliser les paysans dans des croyances qui dépassaient souvent le cadre de la religion chrétienne. J'aime l'ironie, à la fois douce et amère, avec laquelle il regarde l'humanité.

 

Propos recueillis par Marie-Sophie Péclard

 

Nouvelles mortuaires d'Anton Tchekhov dans une mise en scène Didier Carrier à découvrir au Théâtre de l'Orangerie à Genève du 15 au 27 août 2017.

Renseignements et réservations au +41.22.700.93.63 ou sur le site du théâtre www.theatreorangerie.ch

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