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Pantagruel prend place à Meyrin

Publié le 12.02.2015

 

« L’histoire de Gargantua qui creuse le lac Léman, c’est une vraie histoire ! »

 

En préambule de l’entretien, Olivier Martin-Salvan annonce qu’il vient de signer un contrat pour le prochain festival d’Avignon où il jouera Père Ubu, auprès de trois autres comédiens, dans Ubu sur la butte d’Alfred Jarry, pièce pour marionnettes. Ce comédien français, qui collabore depuis huit ans avec Valère Novarina, a pour particularité de régulièrement proposer lui-même des pièces aux metteurs en scène. Après Religieuse à la fraise, mis en scène par Benjamin Lazar, ou Bigre, il revient cette fois avec Pantagruel, pièce créée à Quimper en 2013.

 

Rabelais, ses excès, son univers rocambolesque, sa langue ornée de mots précieux. L’auteur du 16e siècle, qui fut moine, prêtre, médecin, chirurgien, traducteur, écrivain, homme de lettres, était un humaniste et défenseur de la connaissance : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait-il. Sa langue risque bien d’être ressuscitée au Forum Meyrin grâce au jeu d’Olivier Martin-Salvan, dans un monologue de longue haleine. Le comédien, de nouveau mis en scène par son complice Benjamin Lazar, savoure et transmet le roman Pantagruel, personnage qui n’est autre que le fils de Gargantua. Il le porte à la scène dans un monologue, en compagnie de deux musiciens. Pensant, comme Rabelais, que le rire est thérapeutique, Olivier Martin-Salvan invite le public à un voyage imaginaire et sonore.

 

Combien de représentations de Pantagruel avez-vous déjà assurées ?

 

Nous avons créé la pièce en janvier 2013 à Quimper, et nous arriverons bientôt à la 100e représentation, sachant que nous avons encore une quarantaine de dates prévues. Mais nous allons faire une pause et la reprendre pour la saison 17-18. C’est mon bébé, mais il faut que je le laisse un peu à la garderie, car je veux faire aussi d’autres enfants…

 

Ce monologue semble haletant. Vous l’envisagez comme un sprint ou comme un marathon ?

 

Je dirais que c’est un triathlon. Je le joue en ce moment à la Rochelle, et je me rends compte encore qu’il faut être très attentif à l’écho du public, sans cesse reprendre de l’énergie, c’est comme du jazz, il ne faut pas que ce soit dé-rythmé, pendant une heure et demie, c’est long… J’ai l’impression de me battre avec un énorme poisson tellement la langue est riche. D’abord c’est lent, c’est axé sur la langue, puis il y a des passages avec beaucoup de mimiques, puis la tempête, puis le passage avec Panurge, etc. Valère Novarina, qui est venu voir la pièce, m’a dit qu’il reconnaissait des mots savoyards. En Poitou-Charentes, les spectateurs m’ont retrouvaient certains mots qui se disent encore... Il y a énormément de matière à recevoir ! Pour le public, Pantagruel est un véritable tsunami de langue du 16e siècle. Je sais que beaucoup de spectateurs reviennent voir le spectacle. Car leur esprit est ébranlé, c’est le côté alchimiste de Rabelais. Pour ma part, j’ai l’impression d’envoyer des flèches, d’être un passeur sans savoir quelles seront les réactions individuelles en face. Au moment des applaudissements, j’ai l’impression que c’est Rabelais qu’on applaudit. Je pourrais presque lui faire un signe de la main. J’ai l’impression que ses mots sont là pour nous consoler.

 

Quelle est votre préparation pour affronter cet exploit théâtral ?

 

Je dois me mettre en veille pendant toute la journée, ne pas sortir, garder l’énergie, l’attention à l’intérieur. Il y a quelque chose d’un peu animal. Je me prépare à être un acteur « tuyau », à avoir une vitalité très forte, je me mets en mode « page blanche ». Le matin, je fais des choses et vers le milieu d’après-midi, je me mets en hibernation. Puis, je vais au théâtre, je fais un échauffement physique intense, je retrouve les musiciens avec qui on se connecte, on se reparle un peu de certains points… On est comme des marcheurs de haute montagne. Avant que ça commence, on reste un quart d’heure dans le noir pour se concentrer… Souvent, on se dit qu’on est comme des sages qui vont déterrer une histoire enfouie dans une grotte depuis des années…

 

 

Rabelais, ce sont les mots, les excès, la boisson, la nourriture,… Quelle est votre gourmandise préférée chez cet auteur ?

 

Au début du texte, il dit que si on ne le croit pas, il nous fera subir les pires sévices. Et puis il ne cesse de partir dans des digressions et des mensonges. Tout à coup, dans son récit, il raconte quelque chose qui semble ne pas avoir d’intérêt, et il part sur toute une histoire. J’adore ça ! Son érudition me plaît beaucoup également, la langue aussi. Comment un mot peut cacher un autre sens. C’est un hommage à la liberté. Avec les musiciens, on se sent comme des missionnaires avec ce spectacle. Nous pensons que toute la planète devrait entendre les mots de Rabelais !

 

Comment digère-t-on Rabelais ?

 

On réentend ses mots à chaque représentation. Peut-être qu’il y a trop pour digérer. Pendant les 60 premières dates, au début du spectacle, les musiciens et moi, on se demandait à chaque fois comment on allait arriver au bout, tellement ça nous demandait un effort. C’est un effort gigantesque, il faut tenir l’attention.

 

Vous dites qu’il y a un lien avec l’art brut ?

 

En tant qu’acteur, on sculpte du vide. J’ai une formation mais la meilleure formation de l’acteur c’est de parvenir à être soi-même, à se trouver. C’est impalpable. D’abord créer pour soi pour que les spectateurs viennent, c’est ce que nous apprend l’art brut. Chez Rabelais, la langue est tellement forte… Et on s’est posé des questions comme : comment un géant est-il habillé ? On s’est dit qu’il fallait tisser de la paille, nous étions beaucoup dans l’imaginaire du carnaval. Avec Rabelais, j’imagine Attila, c’est un univers barbare, quelque chose de violent, d’ahurissant…

 

Le rire thérapeutique : c’est un thème à la mode en ce moment sur les scènes de théâtre. Avez-vous d’emblée pensé à ce thème du rire quand vous avez eu l’idée de Pantagruel ?

 

Le rire est central dans mon travail, depuis longtemps. Le rire permet de fendre l’armure, de faire passer beaucoup de choses. J’ai étudié ce phénomène. Quand on fait rire les gens, on peut d’avantage les toucher, le rire fait déconnecter. Le rire, l’érudition, l’humanisme, Rabelais c’est tout ça. Il y a aussi quelque chose de paillard : le sexe, la boisson, la scatologie. A un moment dans le spectacle, il y a tout une histoire de « prout », après un long passage d’érudition. On entend les spectateurs rire comme des enfants, le rire des hommes devient aigüe. C’est libérateur…

 

Propos recueillis par Cécile Gavlak

 

Pantagruel, lundi 23 février à 20h30 au Théâtre Forum Meyrin. Renseignements au +41 22 989 34 34 ou sur le site du théâtre www.forum-meyrin.ch

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