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Platon comme un polar d’Idées

Publié le 10.10.2022

Dialogue imaginé par Platon, La République est un mano a mano avec les Idées, qui se savoure comme un thriller verbal au Théâtre Pitoëff du 11 au 23 octobre. Il y a 2500 ans, le philosophe grec le plus lu au monde avance une conception singulière de la vie sociale au sein d'une Cité idéale. Pour l’auteur latin Cicéron, voici le premier livre de philosophie politique grecque. La cité grecque a imaginé un homme voulu libre, maître de sa parole autant que de sa pensée.

En dix Livres, l’ouvrage piste la présence, au-delà du domaine sensible, d'un monde intelligible, l’univers des Idées. Dans l’adaptation signée José Lillo en trois actes-livres de ce magnum opus philo, Platon se mue en chantre de la décroissance avant la lettre. On le découvre aussi pourfendeur des vérités alternatives chères aux extrêmes droites complotistes, au Trumpisme étasunien et au Bolsonarisme brésilien. Rencontre avec le dramaturge, metteur en scène et comédien José Lillo.



Qu’est-ce qui vous a attiré dans le dialogue de Platon, La République?

José Lillo: C’est la joute verbale, la capacité à aller au bout des questions qui se posent. Et à le faire à la manière d’un combat de Kung Fu. Il existe ainsi une dimension étroitement liée à la dialectique posée comme un art martial dans la manière dont Socrate et les autres philosophes avancent leurs idées et arguments au fil de La République. L’ensemble se révèle éminemment vivant alliant intimement verbe et acte.

Contrairement à notre époque de réseaux sociaux notamment, les personnages s’écoutent et se répondent réellement. D’où une manière vertueuse de discuter sans que les protagonistes ne soient toutefois des sages. Ces philosophes sont profondément humains. Quant à Platon, il possède un immense talent de dramaturge dans l’écriture des dialogues.



Dans votre mise en scène, la figure de Socrate est incarnée par plusieurs comédiennes et comédiens…

La pièce se joue dans une dramaturgie et une mise en espace de conférence publique. Ceci avec questions scène-salle, public-conférenciers dans notre univers d’ajourd’hui. Parmi le public, Socrate est incarné, passé successivement par différents interprètes qui prennent le relais. Nous sommes ainsi au cœur d’une Agora, d’un débat voulu réellement démocratique. La cité philosophique est un bel espace de réflexion. Il favorise le dialogue et l’entretien de la pensée. Le «connais-toi toi-même» est un projet politique. La pensée a ainsi besoin d’autrui pour se réfléchir et s’entretenir. Par ailleurs, Platon est d’une grande modernité pour son temps, défendant l’égalité femmes-hommes.

Il y aussi de l’humour.

Oui. En témoigne la thèse posée par un adversaire de Socrate, l’oligarque Thrasymaque, un sophiste opposé à la démocratie athénienne, est d’affirmer que seul compte l’intérêt du plus fort dans le gouvernement. Non porté au dialogue, Thrasymaque campe sur ses positions, non sans effet comique dans la mise en jeu du personnage.





Parmi les protagonistes de la pièce, Cephale.

Il s’agit bien d’un montage favorisant les péripéties et réalisé à partir de l’œuvre originelle. Approchant de la fin de sa vie, Cephale est un nanti qui se pique de philosophie. À la manière de l’Inspecteur Columbo, Socrate pousse cet homme de biens dans ses ultimes retranchements, le contraignant à se révéler, si ce n’est capituler. Ceci à force de questions et de mises en causes de thèses qu’il estime erronées.

On glisse ainsi de la dimension individuelle du bonheur à celle sociale et généralisée directement rattachée au choix du régime politique - démocratie, oligarchie, tyrannie présentée comme le pire des régimes et timocratie où «les hommes sont avides de richesses», relève Platon. Le texte de Platon parle bien du monde dans lequel nous vivons.

Cephale aborde la justice, l’un des thèmes centraux de La République.

Ce philosophe affirme qu’il serait profitable d’être un homme injuste. Ou plutôt de donner l’apparence de la justice selon un vertigineux mode d’emploi. Pour Platon, la question de la liberté est liée à celle de la justice. Cela s’inscrit dans le cadre de la politique. Sans notion véritable de la justice, on ne peut concevoir la possible meilleure manière de gouverner.

Et Socrate de s’interroger dans La République: «Mais les justes, sont-ils capables, par la justice, de rendre injustes? Et les gens de bien peuvent-ils, par l’excellence de la vertu, rendre les autres méchants?» On mesure toute l’acuité de ce questionnement, notamment à l’aune de l’affaire du Ministre français de la Justice, Eric Dupont-Moretti. Ce dernier, mis en examen, est renvoyé devant la Cour de justice de la République pour conflit d’intérêt.





Socrate propose le mythe de la caverne, un manifeste philosophique.

Il invite à dépasser les apparences pour orienter la pensée à la lumière du soleil de la vérité, si accessible à l’entendement. Dans cette nécessité d’aller vers le soleil de la connaissance, se lit une allégorie de la philosophie. Mais avec Platon, les choses sont à la fois allégoriques et concrètes, constatables par l’empirisme. La s responsabilité de celui qui a acquis cette connaissance est bien de la diffuser. En d’autres termes, il doit revenir dans la caverne auprès des hommes enchaînés et les amener vers cette lumière. Mais cela est difficile, tant celui qui sait passe alors pour un fou et peut être menacé de mort.

Il faut rappeler ici que Platon est essentiellement aporétique. C’est-à-dire que le raisonnement n’arrive pas à fonder définitivement les Idées exprimées. Cela témoigne d’une pensée en mouvement prenant des risques et traversée de doutes.

En quoi la dialectique serait-elle un vaccin contre les faits alternatifs?

Chez Platon, deux et deux font quatre. Et tout son raisonnement en découle. Il met donc à l’épreuve les thèses et les hypothèses par la logique. Sa tâche essentielle consiste détricoter les raisonnements et les arguments de ses adversaires, les sophistes. Ces derniers minaient la société athénienne par leurs affirmations et promesses qui ne tenaient pas compte du vrai. Ils sont les premiers chantres de ce que l’on appelle désormais la post-vérité. Soit des raisonnements lacunaires et mensongers pouvant devenir tout et n’importe quoi.

Enfin Platon serait un objecteur de croissance.

Ensemble, les philosophes s’essayent à définir les besoins élémentaires des humains réunis au sein de la Cité: manger, se vêtir, pouvoir se loger… Ceci grâce à une construction en paroles basée sur l’échange de points de vue et hypothèses. Ils parviennent in fine à un projet de société très modeste et totalement automne. Cela scandalise les Sophistes qui semblent identifier ce projet de société à une forme de ZAD – ou zone à défendre regroupant des miltant.es vivant de peu et s’opposant à des projets de construction et d’aménagement présentant notamment des atteintes à l’environnement, ndr.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


La République
Du 11 au 23 octobre au Théâtre Pitoëff

José Lillo, adaptation, mise en scène
AvecJean-Alexandre Blanchet, Felipe Castro, François-Xavier Fernandez-Cavada, Charlotte Filou, Christian Gregory, Hélène Hudovernick, José Lillo, Guillaume Chenevière, Mariama Sylla

Une production de Attila Entertainment

Informations, réservations:
https://www.ville-ge.ch/culture/pitoeff/detail-teaser.html#/events/la-republique-de-platon-1145677