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Récital de postures médiévales et au-delà

Publié le 01.11.2023

A voir au Pavillon genevois de la danse ADC, les 7 et 8 novembre, Medieval Crack mêle réflexions sur les genres au Moyen-Âge, décryptage de poses inspirées par la peinture et sculpture médiévales et réappropriation queer d’une culture ultralibérale hétéronormée. Mon tout est pictural et sculptural, poétique et impertinent sans se poser iconoclaste.

Crack donc telle une effraction dans les imaginaires et les représentations tant sociales qu’iconographiques d’une époque moins tourmentée qu’il n’y parait. Ou comment le réinventer, l’interroger, le réenchanter peut-être. Que vous repériez l’épisode de Saint-Georges et du Dragon ou pas, l’inventivité et la virtuosité des poses, torsions et contorsions sont au rendez-vous. Voyez cette sidérante coiffe dite double hennin (ou «coiffure papillon») servant d’embrayeur de présence, d’identité fluide tout en rehaussant un visage méditatif à la mélancolie de Madone du Quattrocento.

On suit avec passion le destin de Joseph, un moine de Schönau mort en 1188, mais qui est né femme. Il a inspiré une partie des danses, dialogues et chants de Medieval Crack. L’opus du Collectif Foulles s’est imaginé avec l’apport du performeur et historien Clovis Maillet. Qui revisite les représentations médiévales au prisme des genres fluides et de la transidentité en signant une «archéologie des transidentités».

Au fil d’un merveilleux morphing, la pièce parcourt des tableaux vivants. Ils reproduisent en les décalant des fresques d’église. On y retrouve non le baiser mais le souffle de vie qui se transmet d’une figure à l’autre. Puis les figures s’émancipent de l’iconographie médiévale ultra codifiée pour retrouver le grotesque de gargouilles. Ou des poses semblant surgir de compositions signées Jérôme Boesch et Simone Martini. L’émancipation est leur horizon commun. Rencontre avec le Collectif Foulles, qui s'exprime d'une seule voix.


Votre appoche?

Fondamentalement, nous tentons de réinventer des corporalités contemporaines en puisant dans l’époque médiévale.

Comme se présente votre spectacle?

Sur scène, un tapis de sol ocre évoque les fonds d’or des reliques médiévales. A cinq performeur.ses.x, nous créons de nos mouvements et postures au gré d’un alignement de scènes arrêtées, figées. Parfois certaines d’entre elles induisent un mouvement souvent infime, comme un balancement d’avant en arrière.

Nous fonctionnons à la manière de zooms ou recadrages successifs de scènes tirées de fresques d’églises et de tableaux de Simone Martini (1284-1344). Relevons toutefois que nous ne reproduisons pas exactement les couleurs médiévales. Il s’agit toujours d’une réinterprétation, d’une refiguration distanciée augmentée d’éléments et réflexions de notre temps. Il y a un esprit coloré et pop. Cette immersion dans le médiéval peut se révéler un embrayeur d’imaginaires émancipateurs pour nos présents et nos devenirs.



Sur le titre de la pièce, Medieval Crack...

Le terme Medieval rejoint le désir de marquer temporellement et culturellement une époque médiévale. Quant au mot Crack, il permet d’affirmer une approche non chronologique de cette période. C’est une sorte d’effraction au cœur de représentations et de rapport entre les genres que nous nous plaisons à questionner et subvertir. Car ce mot signifie notamment fissure. D’où le souhait d’ouvrir des brèches dans la période médiévale, sa manière de penser les genres, les rapports entre les êtres, les regards adressés et échangés aussi. Des éléments que nous avons amplement travaillés.

De fait, la pièce fourmille d’anachronismes. On relève également des plongées dans les problématiques actuelles liées au genre, à la transidentité et au queer* notamment. Le mot était d’ailleurs déjà présent dans l’une de nos créations passées, A prayer before the crack of dawn (Une prière avant l'aube, 2020) abordant une époque médiévale fantasmée et baignée d’absurde tout en la croisant avec des enjeux contemporains liés au genre et au devenir du monde animal.

Il existe un goût pour le grotesque.

Tout juste. Crack désigne aussi la raie des fesses. Nous mettons plein d’humour dans nos pièces tout en aimant l’idée du double sens, de l’absurde et du grotesque. Au Moyen-Âge, le rapport aux différentes parties du corps se révèle fort différent de celui d’aujourd’hui.

La pièce interroge ainsi la manière dont ces géographies anatomiques ont évolué. Et comment cette histoire des rapports au corps ont construit les êtres humains. En revenant à ces géographies corporelles passées, peut-être pouvons-nous ouvrir des brèches.





L’image d’un postérieur vêtu d’un short sport bleu Madone revient comme un leitmotiv dans la pièce.

A l’époque médiévale, il n’y avait rien de répréhensible ou choquant dans le fait de montrer ses fesses en public, cette partie du corps n’étant alors pas vue comme érotisée. A contrario, genoux et chevilles sont des parties taboues que l’on ne montre pas et qui n’apparaissent guère voire jamais. A cette époque, s’embrasser sur la bouche, voire monter ses fesses était aussi pratiquer afin de sceller accords et contrats.

On partageait aussi par la bouche et les fesses le souffle de vie et le baiser de paix. Pour signer une confiance réciproque accordée. Dans la chorégraphie, nous apportons donc une dimension queer contemporaine à la lecture de ces gestes ancestraux tels deux bouches qui se rapprochent.

Pour les contenus des tableaux, vous travaillez chorégraphiquement notamment sur des personnages invisibilisés dans les peintures originelles.

Plus largement, nous tentons de faire réapparaitre des personnages absents des tableaux ou qui ont manqué à l’histoire. Ces personnages ont été effacés, sont à la marge des tableaux. Ils.elles n’ont pas été représentés dans l’iconographie médiévale. Medieval Crack vise donc à dévoiler certaines figures qui n’ont pas été racontées et dont l’histoire n’a guère retenu l’existence.

Un exemple?

L’histoire d’un prédicateur de l'évangile né en 1140 et mort en 1217, Valdès, est contée par Clovis Maillet. C’est un personnage historique qui allait «nu» ayant fait don de ses biens pour suivre l'idéal de pauvreté apostolique du Christ en son dénuement. Ne parlant pas le latin, Valdès a été jugé hérétique. Il a fondé la fraternité des pauvres de Lyon, le mouvement vaudois avant d’être excommunié voyant son mouvement persécuté.





Et un.e autre?

Hildegonde-Joseph de Schönau (1170-1188) qui est née assignée femme et a vécu toute sa vie comme un homme. Son vécu présuppose que la question des genres n’était sans doute pas aussi binaire que dans la période contemporaine.

Certes la société médiévale répartissait les personnes en ordres sociaux et genres sexués. C’était très hiérarchisé et identifiable par le vêtement. Mais des historiennes et historiens ont mis en avant des expériences de transidentité médiévale, dont Clovis Maillet*.

Sur la coiffe papillon qui donne une grande expressivité à l’un.e de vos interprètes?

Cette coiffe féminine ici cornue, qui apparaît vers 1420 en France, participe d’un heureux hasard. Pour Medieval Crack, il y eut une recherche préparatoire qui a mené à la costumerie de l’Opéra de Zurich et la découverte d’attributs dont ce double hennin. Elle participe d’un Moyen-Âge tardif au seuil de la Renaissance. Elle arrive significativement au moment du baiser de paix.

Si elle fait sens pour notre Collectif Foulles, c’est que nous sommes attaché.es à une grande précision historique qui navigue avec une imprécision historique totale. D’où le fait que la silhouette avec coiffe est complétée par un top maillé laissant entrevoir le buste et un pantalon cuir.

Un tableau découvre vos corps se balançant légèrement d’avant en arrière...

C’est une petite histoire de fresque voire de frise d’une église. Si l’univers peint de Jérôme Boesch est souvent source d’inspiration dans ce spectacle dans son côté parfois loufoque et inquiétant, ce n’est pas le cas dans cet épisode. Il aborde en l’occurrence certaines zones corporelles problématiques au Moyen-Âge: genoux et chevilles qui étaient intensément sexualisés.

Nous fantasmons le geste que nous faisons de mettre le doigt dans la chaussette pouvant alors être érotique. En fait, nous mettons en mouvement, transformons ou modifions légèrement certains éléments ou détails extraits d’une peinture. Ce passage est aussi lié à tout un univers de gargouilles et chimères médiévales aux figures monstrueuses et grimaces. Elles furent sources d’inspiration pour les mouvements et expressions comme les frises de personnages des églises et cathédrales qui s’adonnent parfois à des scènes sensuelles.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Medieval Crack
Les 7 et 8 novembre au Pavillon ADC, Genève

Collectif Foulles - Collin Cabanis, Auguste de Boursetty, Délia Krayenbühl, Emma Saba, Fabio Zoppelli
Avec Collin Cabanis, Auguste de Boursetty, Délia Krayenbühl, Clovis Maillet, Fabio Zoppelli

Informations, réservations:
https://pavillon-adc.ch/spectacle/collectif-foulles-2023/


* Queer: désigne les personnes dont l'identité de genre et le genre assigné à la naissance ne concordent pas, ou dont l'orientation sexuelle n’est pas hétérosexuelle, ndr.

** Les genres fluides. De Jeanne d’Arc aux Saintes trans, Arkhê, 2020. L’auteur consacre un chapitre à «Joseph Hildegonde, Devenir garçon» expliquant qu’à l’époque, «il est possible de devenir un homme quand on est une femme. L’habit et la coiffure (tonsure) étaient des signes plus importants qu’aujourd’hui, et l’être intérieur était censé être visible à l’extérieur.» (op. cit., p. 97), ndr.

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