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«Touche pas à mon héroïne fétiche!»

Publié le 16.02.2021

 

Du 23 au 28 février, la Compagnie Confiture invite à découvrir en streaming et en direct une adaptation d’un roman de Stephen King, Misery. Dans ce spectacle, Paul est un écrivain renommé aux jambes brisées dans un accident. Il est séquestré par une infirmière psychopathe, Annie. Elle veut qu’il ressuscite sur le papier son héroïne fictive, Misery Chastain. Elle ne lui pardonne pas de l’avoir fait mourir dans la fiction. Huis-clos palpitant, Misery est le thriller le plus brut, profond de Stephan King. Pour King, «la vie n’est pas faite pour soutenir l’art. C’est tout le contraire». Misery est ainsi une forme d’essai sur la création littéraire et le récit autobiographique.

Nul recours au fantastique, pas de spectre à l’horizon. La véritable peur n’est-elle pas la meilleure quand elle se révèle aussi tangible que nos vies dictées par d’autres entités sous (semi-) confinement et menace virale? «Parfois pour garder le lien, il suffit de cliquer dessus», disent en chœur le metteur en scène Lambert Bastar et le comédien Gaspard Boesch que l’on a rejoint en répétitions… par Zoom.

 

Vous jouez le rôle de Paul Sheldon.

Gaspard Boesch: L’histoire aborde le cas d’un écrivain inventif tentant désespérément de survivre. Et d’échapper à son emprisonnement, un piège mortel se refermant sur lui sous la coupe d’Annie Wilkes, une admiratrice tortionnaire, mais aussi inspiratrice. Ceci notamment en rampant tel Bruce Willis au corps martyrisé et blessé dans Piège de cristal (Die Hard) signé John McTiernan. Je m’en suis inspiré. Plus que du jeu de James Caan dans le film tiré du livre de Stephen King, Misery réalisé par Rob Rainer (n.d.l.r.: en Annie Wilkes, Kathy Bates décroche alors l’Oscar de la meilleure actrice).

 

Mais encore.

Gaspard Boesch: Il faut savoir que Bruce Willis, pour ses débuts à Broadway, a commandé l’adaptation théâtrale de Misery au dramaturge William Goldman, (n.d.l.r.: dans une mise en scène de Will Frears en 2015). Ce que l’acteur américain aime jouer, c’est la souffrance parfois taciturne sur la durée que l’on retrouve dans les différents films de la série Die Hard. Dans la pièce, en jouant Paul Sheldon, il faut avoir une constance physique, un cheminement de scène en scène. Ceci afin de de jouer cette douleur physique en étant couché, assis, rampant ou montant péniblement sur une chaise roulante.
Il y a un développement sensoriel de la souffrance que l’on ne peut construire sur les dialogues. On doit être atteint physiquement en permanence. Cela demande une grande concentration physique. Dans un personnage qui, lui, est constamment en train de réfléchir à des stratégies pour fuir ou éliminer sa sauveuse puis kidnappeuse.

 

C’est une intrigue sur la condition d’écrivain.

Gaspard Boesch: Oui. Ce qui est génial dans ce personnage d’auteur tourmenté est le fait qu’il remercie à la fin Annie Wilkes de lui avoir fait écrire son possible chef d’œuvre d’intelligence dans l’intrigue. Ainsi Paul Sheldon est caractéristique de l’auteur populaire, qui n’est pas reconnu comme vrai artiste. C’est le cas en miroir de Stefan King lui-même. L’histoire évoque la souffrance de l’écriture bien réelle lorsque l’on est auteur. Au fond, l’infortuné otage est constamment en train d’essayer de manipuler celle qui le séquestre. Derrière l’apparence du théâtre de genre, la pièce de William Goldman d’après Stefan King est très dense.

 

 

Comment en êtes-vous venu à choisir ce récit?

Lambert Bastar: Avec mon expérience d’acteur, je m’intéresse ici comme metteur en scène à à la manière d’incarner des émotions variées et le sentiment pur. C’est le cas avec Misery: une formidable mécanique à jouer et un affrontement hors normes entre deux protagonistes. C’est aussi un souvenir d’enfance par la découverte du film tiré du roman avec ma mère. Il m’a marqué à vie. A travers les plans sur des paysages montagneux enneigés du Colorado, le spectateur entre doucement dans l’univers halluciné d’une psychotique.

 

Comment voyez-vous le jeu pour cette figure de psychopathe?

Lambert Bastar: Qualifiée de «dangereuse cinglée» par l’auteur dans son roman, Annie Wilkies est un personnage complexe et riche. Il est incarné par Rebecca Bonvin qui possède une large palette de jeu. Le personnage d’anthologie d’Annie n’a que zéro psychologie. Avec le cœur et les tripes qui parlent, cette femme n’agit que par pulsions et passion. C’est un vrai défi pour une actrice, qui la relevé ici avec talent, d’être dans l’instant d’une interprétation visant à gommer toute psychologie et réflexion. En sheriff, Philippe Matthey montre jusqu’à quelle extrémité est prête à aller cette terrible admiratrice.

Au début, on donnerait à cette infirmière le bon dieu sans confession. Puis par glissements successifs, l’intrigue fait découvrir la vraie personnalité d’Annie Wilkes. De plus c’est le seul roman de Stefan King qui ne contient pas de surnaturel, voire de rapports au monstre. Il pourrait s’agir d’une histoire vraie, plausible. Côté scénographie, il y a tout un travail de projections reflétant notamment l’état de dépendance de Paul Sheldon envers un puissant calmant addictif que lui administre pour ses douleurs sa «plus grande fan». Mais aussi afin de le maintenir sous sa coupe.

 

 

Le streaming fait débat…

Gaspard Boesch: Aux personnes qui s’interrogent et doutent de la pertinence d’une pièce filmée live et retransmise en séances payantes sur le net, je dis ceci: «Mieux vaut faire du théâtre public virtualisé que pas de théâtre du tout.» De même se parler par zoom que rester dans son coin. A certains collègues me confiant que leur pièce ne peut se concevoir et voir en streaming, je leur rétorque qu’en vrai, ce n’est pas le cas non plus (rires). Aujourd’hui, il faut respecter le travail des gens. C’est positif.
Il s’agit d’une solution transitoire. Récemment, j’ai fait une expérience d’un streaming payant sur Facebook, une bonne chose. Le jour de la représentation les acteurs sont en direct. Pour une somme modeste, j’y accède depuis mon salon. De son côté, l’équipe artistique et technique peut préserver ses conditions de travail.

Lambert Bastar: Ce dispositif permet de garder l’instantanéité du spectacle vivant, du live qui créée un plus. Sa qualité varie en fonction de la performance des comédien-ne-s à chaque soir différente. Si un-e acteur-trice se plante, a un blanc, cela participe de la vraie présence au plateau. On est ainsi plutôt dans la virtualisation temporaire de l’événement théâtral que dans sa captation.

 

Un an après l’apparition du Covid, quel est l’un des enjeux majeurs pour continuer à faire du théâtre?

Gaspard Boesch: Je suis membre du comité exécutif de l’association TIGRE créée en juin 2020. Elle a pour but de promouvoir et défendre les intérêts des producteur.ice.s de théâtre indépendant et professionnel. Quand nous faisons une demande de subventions, il est par exemple indiqué six semaines de répétitions et des dates de jeu dans un théâtre. Cela n’est plus possible depuis bientôt un an. Le Conseil fédéral ne semble guère s’y intéresser, pour l’instant.
Le travail d’expérimentation, de recherches, d’écriture notamment doit être rémunéré et soutenu plus largement et massivement. Il va de toute façon respirer, «ruisseler» sur la représentation. En dialogue avec la Ville et la Comédie de Genève notamment, nous nous efforçons de détacher le pôle expérimentation du volet représentation.

 

 

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Misery
de William Goldman, d'après Stephen King
Du 23 au 28 février 2021 en streaming en direct du Théâtre de l'Espérance

Mise en scène, Lambert Bastar
Avec Gaspard Boesch, Rebecca Bonvin et Philippe Mathey

Renseignements, réservations:
+41 (0)22 793 54 45
http://www.theatre-confiture.ch

Photo Gaspard Boesch © Joan Perruchoud

 

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