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Ultime tour de piste pour les clones

Publié le 15.06.2024

Where are nos chaussures?, la nouvelle création du Collectif BPM à découvrir au Théâtre de l’Orangerie (Genève) jusqu’au 30 juin, s'inscrit dans une réflexion audacieuse sur l'avenir des arts vivants à l'ère de l'intelligence artificielle.

Inspirée notamment par leur épisode La K7 tiré de La Collection - une série de brèves pièces consacrées à un objet familier vintage et démodé -, cette œuvre plonge le public dans une dystopie ludique. Les artistes sont remplacé.es ici par leurs avatars robotiques imaginaires, revisitant un répertoire fait de souvenirs et de nostalgie.

Catherine Büchi, Léa Pohlhammer et Pierre Mifsud explorent avec humour et profondeur la tension entre fiction et réalité, questionnant la place de l'humanité dans un monde toujours davantage régi par la tech. En jouant des robots qui dysfonctionnent, puisant dans leurs réminiscences et répertoires, les interprètes rappellent la beauté des imperfections humaines et l'importance de la narration comme acte de résistance si ce n’est de résilience.

Leur spectacle, sorte de mash-up entre français et anglais basiques se veut une célébration jubilatoire et inventive de la mémoire collective, transformant chaque performance en une expérience à la fois intime et universelle. Le Collectif BPM, fidèle à son approche joyeuse, sauvage et appliquée, cherche à captiver et émouvoir en regardant cette fois vers un devenir incertain tissé de passé recomposé.

Depuis 2013, ces artistes ont su redonner vie à des objets obsolètes à travers des créations qui mêlent improvisation, souvenirs personnels et archives culturelles. Avec Where are nos chaussures?, le Collectif BPM ouvre une nouvelle voie, où l'anticipation et la critique sociale se conjuguent pour offrir une réflexion amusée et burlesque sur notre devenir.

Ce spectacle invite aussi à une méditation sur notre rapport à la technologie et sur ce qui fait de nous des êtres fondamentalement humains. Rencontre.



Sur le titre, Where are nos chaussures?


Catherine Büchi, Léa Pohlhammer et Pierre Mifsud (BPM): Ce spectacle est le fruit d’une commande de Céline Nidegger et Bastien Semenzato du Théâtre de l’Orangerie (TO). Ce tandem souhaitait que nous réalisions une création autour d’un objet - réel ou fictif - qui serait obsolète dans le futur.

Dès le départ, nous étions convaincus de ne pas explorer les réponses les plus communes à cette obsolescence programmée comme les smartphones ou les ordinateurs.   En s’interrogeant sur ce qui ne serait possiblement jamais périmé un jour, nous avons fait le choix des chaussures. Ne participent-elles pas à créer nos identités?

À travers l’histoire et les modes, la chaussure est vraiment un élément porteur de tout un imaginaire et de signes. Le désir initial était aussi de fuir tout objet technologique. Nous aurions tout autant pu opter pour le gant de toilette, qui a tendance à disparaître aujourd’hui (rires)?



C’est un récit vraiment dystopique?

La fable navigue entre passé, présent et avenir avec des échos, boucles et allers-retours. Where are nos chaussures? est censé se dérouler en 2124, un temps où nous ne serons plus. Et désormais remplacé.es par des clones de nous-mêmes tirés d’une forme de Musée.

Qu’elles soient porteuse d’énergie ou de souvenirs voire connectée, la chaussure reste un formidable prétexte à dérouler histoires et récits.

Nous jouons des clones d’une ancienne génération et réalisons un dernier tour de piste avant notre remplacement programmé. A l’instar des humains, nous sommes mortels. En scène, comme clones-machines, nous revisitons le répertoire de La Collection de notre Collectif BPM qui n’est plus

La période de cette commande artistique par le TO rejoignait la grève des scénaristes à Hollywood hanté.es par la présence et la crainte de leur remplacement possible par l’IA. Une fois les scénaristes remplacé.es, ce sera la tour des acteurs.trices qui ont d’ailleurs rejoint la grève des scénaristes.

Nous nous sommes alors lancé.es dans cette voie de l’hypothétique obsolescences des comédiennes et comédiens.





À propos de la langue et des voix...

Le texte du spectacle fait la part belle aux jeux de mots, sonorités, rythmes, avances et retours rapides sur la partition et l’action ainsi que mélange de français et d’anglais de base parfois dans un même mot. Dotés d’une conscience, nos personnages de robots forment une sorte d’ultime cercle de paroles à la manière parfois d’un bilan de vie.

Fidèle collaborateur de BPM, Andres Garcia a développé tout un travail autour d’un paysage sonore mouvant, inventif et foisonnant. En effet, les interprètes que nous sommes sont « microté.es » avec des filtres posés sur la voix.

Amplifiées, nos voix au plateau sont modifiées, triturées, amenées dans les aigus ou les graves. Cela rejoint le fait la fait de jouer des doubles robotiques de nous-mêmes derrière des masques stylisés. Nous nous amusons avec ce matériau que dessinent les voix trafiquées et l’Auto-tune.

Qu’en est-il du dialogue robot-humain ?

Il est frappant de constater à quel point parler de la machine met en valeur l’humain. Jouer un robot raconte ainsi essentiellement l’humain. Avec ses limites, ses contradictions et ses attentes.

Nous avons visité l’exposition interactive Robot toujours à l’affiche du musée scientifique L'Espace des inventions (Lausanne) interrogeant le capital de sympathie que la machine peut générer. On constate ainsi que les robots ressemblant notablement aux humains furent souvent peu appréciés au fil de l’histoire. Dès qu’un visage humain apparat, l’empathie s’efface et la peur étreint les humains.





Mais encore...

Nous ne serons jamais aussi preformant.es qu’une machine, mais cette dernière ne pourra guère posséder l’imagination ou les rêves, les désirs ou les regrets propres à un être humain.

Dans le spectacle, nous ne sommes absolument pas en compétition avec les machines. Et il n’est pas question ici de dénoncer leur péril.

Plus modestement, nous tentons de rendre compte d’une réalité. C’est alors au public de faire ses projections et ses conclusions. Il existe aussi un questionnement sur la manière dont ressentons les situations et relations.

Quels sont nos rêves? Si une protagoniste avance ne rien ressentir, l’autre rêve de dire des textes à La Tchekhov, dont nous monterons une version des Trois Sœurs dans un avenir pas si lointain.

Quelques mots sur La Collection...

C’est un travail ethnographique, burlesque et ludique proposant au plateau la revisitation des objets démodés du quotidien - la K7 audio, le téléphone à cadran rotatif, le vélomoteur, la machine à écrire, la pince à asperges... - dans le cadre d’une série théâtrale intitulée La Collection. Elle a rencontré un bel engouement public et critique, notamment au Festival off d’Avignon en 2021.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Where are nos chaussures?
Jusqu'au 30 juin 2024 au Théâtre de l'Orangerie (Genève

Un spectacle du Collectif BPM
De et avec Catherine Büchi, Léa Pohlhammer et Pierre Mifsud

Informations, réservations:
https://www.theatreorangerie.ch/events/where_are_nos_chaussures