Du chenapan tyran à l’enfant altruiste
Sur les ailes du jars (ou mâle de l’oie domestique, ndr) de ses parents, Nils fera la connaissance d’un curieux renard à la suavité ambiguë. Il croisera la Reine des oies, tout en découvrant la Suède vue de haut.
Flanqué d’un réalisateur de marionnettes inspiré, Nick Barnes, la Cie lausannoise Pied de Biche s’attache à cette figure d’anti-héros non conformiste. Rencontre avec la comédienne et co-metteuse en scène du spectacle - aux côtés de Frédéric Ozier - Julie Burnier.
Sur quoi repose votre intérêt pour ce récit de plus de 400 pages adapté ici pour le théâtre?
Julie Burnier: L’attrait se concentre sur le parcours initiatique de ce petit Nils débutant comme un Bad Boy, sale gamin désobéissant à ses parents. Avant de devenir un chouette garçon, il s’en prend à tout le monde, surtout aux animaux.
Le voyage de Nils est l’occasion pour lui d’apprendre des valeurs telles que la solidarité et l’empathie. Apprendre à vivre avec les autres nous semble un beau sujet à creuser avec les enfants. Ceci jusque dans cette période troublée, alors que la pièce a été créée à l’hiver 2019.
Par son corps menu, sa vivacité physique et mutine, Pascale Güdel se révèle parfaite pour jouer l’énergie, les humeurs et les émotions de ce petit garçon. Elle est par ailleurs une formidable marionnettiste, parvenant à transmettre son énergie et ses mouvements à la marionnette qu’elle manipule.
Vous avez revivifié le texte originel.Le récit initial est le fruit d’une commande scolaire au 19e siècle. Il se révèle ainsi didactique et informatif, tant au plan historique et géographique, que du point de vue des mythes et des légendes de la Suède. Ce que la version présentée ici ne retient pas.L’atmosphère lyrique qui se dégage parfois de l’écriture atténue les rudes réalités dépeintes.
Notre adaptation, signée Nicolas Yazgi, préserve le méchant renard Smirre que l'on rencontre tout au long de la fable. Il est pareil à une épée de Damoclès surplombant l’odyssée du jeune Nils. Mais c’est aussi à travers lui que l’enfant apprendra l’empathie et la capacité à pardonner.
Oui. Le goupil est interprété, entre l’humain et l’animal, par le danseur fin, ciselé et vif, Philippe Chosson, flanqué d’une longue perruque rousse et d’oreilles animales. Le personnage a aussi un aspect volontairement ridicule, proche de la Drag Queen de certains cabarets burlesques. Lorsque l’on raconte aux petits enfants des situations avec des protagonistes qui font peur, il est heureux de désamorcer ce sentiment, cette tension par de la drôlerie.
L’une des étapes les plus signifiantes est celle de l’amitié développée avec le jars Martin. Le début de cette fantaisie nordique les découvre ennemis jurés, se battant continuellement à la ferme. Pourtant, très vite les voici contraints de s’entraider pour survivre. Tous les deux apprendront à faire ensemble plutôt que l’un contre l’autre.
Et que signifie la séquence qui confronte le garçon au chat de la maison?C’est un épisode intense. Les enfants reconnaissent, de manière décalée, le traitement qu’ils peuvent possiblement parfois infliger à un félin, en lui tirant les «moustaches» ou poils sensoriels, par exemple.
Après le changement de taille intervenu, Nils désormais incarné par une petite marionnette aide certains spectateurs enfants de la pièce, à prendre conscience qu’il n’aurait guère voulu se retrouver face à un chat aussi gigantesque. Le sort jeté à ce garçonnet par une créature légendaire est de devenir plus petit et encore plus vulnérable.
Mais encore?… C’est principalement pour cela que Nils a besoin des autres, qui sont dans l’histoire des animaux. Des parties du récit que n’avons pu retenir évoquent aussi la solidarité et l’entraide entre êtres de petite taille. Petit, il est possible de se cacher, voire de grimper à un arbre afin d’échapper à une menace. Quant à la famille, elle est le point de départ et d’arrivée de la fable.
Dans le récit de base inspiré des légendes nordiques, le tomte, est un être peu sympathique, sorte de servant de la maison. Traditionnellement, il veut dérober les bijoux de la famille. Nous l’avons plutôt placé dans une situation qui le met sur un pied d’égalité avec Nils, car les deux personnages convoitent les délicieux cookies cuisinés par le père du garçon.
Selon ce lutin, le chenapan mérite une punition, du fait de sa méchanceté. Lorsque les interprètes s’occupent des manipulations marionnettiques et des changements de décors, ils ont des bonnets noirs, qui suggèrent la présence d’autres lutins de la maisonnée.
Il y aussi la Reine des oies, marionnette que vous manipulez en lui donnant votre voix.Akka est une figure souveraine, d’abord autoritaire, puis bienveillante pour les solitaires que sont le jars Martin et Nils. Maternelle, elle les prend donc littéralement sous son aile. On peut repérer dans ce personnage le merveilleux travail de l’Anglais Nick Barnes qui a réalisé les marionnettes du spectacle.
Parlez-nous des créations de Nick Barnes?Pour Akka, il s’est inspiré des couleurs grises et blanches des oies sauvages qui ont dans le spectacle une taille proche de la réalité. Sans oublier de lui insuffler un côté doré, ce qui permet de la sublimer. Rencontré à Brighton (Sussex), Nick Barnes est l’un des plus grands réalisateurs de marionnettes au monde, ayant travaillé pour l’Opéra de Chicago notamment. L’artiste a créé ici des marionnettes dont on voit essentiellement le contour. Elles ont ainsi beaucoup de vide à l’intérieur de leur silhouette.
Pour ce créateur, ce vide correspondait symboliquement à celui que Nils doit combler par son périple. Il y a aussi un côté pratique. Si certaines marionnettes d’oiseaux étaient compactes et pleines dans leurs formes, leur manipulation aurait été délicate, du fait de leur poids.
Propos recueillis par Bertrand TappoletNils, le merveilleux voyage,
D’après le roman de Selma Lagerlöf
Mise en scène: Julie Burnier et Frédéric Ozier - Cie Pied de Biche
Dès 5 ans
Du 15 au 19 décembre au Théâtre du Loup
Informations, réservations:
https://theatreduloup.ch/spectacle/nils-le-merveilleux-voyage
Samedi 18, à 17h, représentation accessible avec interprétation en langue des signes française
Inscriptions auprès de LSF@ecoute-voir.org ou au +41 (0)79 956 98 34
Dimanche 19, à 17h, représentation accessible avec audiodescription
Inscriptions auprès de AD@ecoute-voir.org ou au +41 (0)79 893 26 15