Duo de ténors rossiniens
Au beau milieu d’une production de La Cenerentola au Semperoper Dresden, il profite d’un moment de libre pour répondre à nos questions, en amont de son récital, en compagnie de Lawrence Brownlee, ténor également.
À quelques jours du récital, vous apparaissez dans une production en Allemagne que vous reprendrez à Paris juste après. Comment gérez-vous ce planning chargé?
C’est vrai que c’est une période intense, le récital se trouve au milieu de deux productions, mais nous sommes habitués. Lawrence Brownlee et moi-même n’arriverons à Genève que la veille du récital. Cela ne fera que peu de temps sur place, mais nous connaissons très bien le programme pour avoir déjà donné ce récital à plusieurs reprises. De mémoire, nous avons dû le chanter cinq fois la saison passée: à Paris, avec orchestre dans le sud de l’Allemagne, mais aussi au Capitole de Toulouse.
Le programme est bien rodé. Quand nous présentons ce récital plusieurs fois d’affilée, c’est assez normal d’avoir un temps de préparation sur place assez court. Aucune inquiétude de ce côté, nous sommes heureux de pouvoir le chanter à Genève!
Avec Lawrence, nous nous connaissons depuis une dizaine d’années. C’était mon idole quand j’étais étudiant; je n’aurais jamais imaginé que mes idoles deviendraient mes collègues. Quand je suis parti pour l’Europe après mes études, j’ai travaillé avec un ami metteur en scène et ancien ténor. Il connaissait Lawrence parce qu’ils avaient travaillé sur une production d’Armida au MET à New York. Il nous a mis en relation et nous nous sommes rencontrés à Paris. Il chantait à l‘Opéra Bastille et je venais pour une audition, donc nous sommes allés boire un café. Une amitié est née entre nous dès ce moment.
Il chantait en récital avec Michael Spyres, avec qui il a enregistré un CD, mais un jour, quelqu’un m’a dit: vous êtes les deux seuls ténors de couleur connus à chanter ce répertoire. Vous n’avez pas la même voix, mais vous chantez la même chose; ce serait intéressant que vous fassiez quelque chose ensemble.» J’ai soumis l’idée à Lawrence et il a accepté. Nous avons le même manager, qui a donc organisé une date à Paris. C’était un énorme succès, nous avons continué sur notre lancée en ajoutant des dates.
Nous ne changeons pas les airs en duo pour deux ténors. Par contre, nous nous laissons la possibilité de changer des arias en solo. Par exemple, l’année dernière, nous avons chanté des arias qui montaient très haut dans les aigus. Pour ce premier récital de la saison, j’ai décidé de me calmer un peu et de choisir des airs dans un registre plus «raisonnable». Le bel canto reste tout de même au cœur de ce récital.
Qu’est-ce que ce répertoire vous apporte?Lawrence et moi sommes tous deux des ténors de bel canto, mais, encore plus particulier, nous sommes des ténors rossiniens; c’est un autre répertoire spécialisé. Beaucoup de ténors ne peuvent pas chanter Rossini en raison de la difficulté technique, du large ambitus et des aigus. C’est un répertoire qui nous tient à cœur: c’est celui qui nous a permis d’avoir ce parcours, cette carrière.
Je chante également volontiers d’autres opéras italiens, évidemment, comme Don Pasquale de Donizetti, ou du Bellini, mais les opéras de Rossini sont ceux pour lesquels je suis le plus demandé, ils ont une place particulière dans mon cœur.
Nous ne pouvons jamais vraiment décider selon nos envies. Nous sommes déjà demandés pour le répertoire du bel canto qui occupe une très grande partie de notre saison. Si une autre opportunité se présente à moi et si mon emploi du temps me le permet, je suis ouvert à de nouvelles choses. Je remplis ma saison avec mon répertoire de prédilection et si j’arrive à caser autre chose au milieu, comme du Mozart, c’est génial ! Je chanterai d’ailleurs dans l’Enlèvement au Sérail à Paris, en décembre, pour une prise de rôle (Belmonte). J’aime avoir la possibilité d’inclure des opéras que je n’ai encore jamais interprétés.
La voix qui évolue au cours du temps vous permet également d’élargir votre répertoire?Oui, exactement. D’ailleurs, ma voix change et les graves se renforcent sans altérer les aigus; les possibilités s’élargissent car je peux désormais interpréter des rôles pour lesquels ma voix n’était pas adaptée il y a encore quelques années.
C’est grâce à cela que j’ai pu chanter I Puritani de Bellini la saison passée, à Paris. C’était un test pour moi. C’est l’Everest des opéras; il est très long et très difficile pour les ténors. Si tu réussis I Puritani, c’est une énorme valeur ajoutée à ton répertoire. C’est une œuvre que j’ai longtemps repoussée, car il fallait que mes médiums se renforcent.
Certains passages requièrent une puissance énorme pour passer au-dessus de l’orchestre. Je finissais une production à Zurich à l’époque, j’ai fait un remplacement en dernière minute, je n’ai pas eu le temps de réfléchir. J’ai appris l’œuvre en trois jours et je me suis lancé.
Il faut vraiment se plonger dans chaque opéra, pour donner un sens à notre interprétation. Il faut que le public puisse comprendre l’histoire, pour que ce ne soit pas qu’une succession de notes aiguës ou de passages techniques impressionnants. La plupart du temps, nous chantons le récitatif avant l’air pour nous immerger dans l’histoire. Mais finalement, dans ces airs, l’histoire est toujours la même: un homme qui parle de la femme qu’il aime. C’est simplement écrit différemment, mais c’est aussi cette variété qui nous plait.
Propos recueillis par Sébastien CayetRécital de Lauwrence Brownlee et Levy Sekgapane
Le mercredi 20 septembre au Grand Théâtre de Genève
Programme Belcanto et mélodies, avec airs et duos de Gaetano Donizetti, Gioacchino Rossini, Vincenzo Bellini et Giuseppe Verdi
Giolio Zappa, piano
Informations, réservations:
https://www.gtg.ch/saison-23-24/lawrence-brownlee-et-levy-sekgapane/