Emotions à cœur battant
On fera halte auprès d’un récit tiré d’un best‐seller suédois. Il s’ouvre dans un cimetière en recueillement d’êtres disparus avant de suivre les désirs croisés d’une jeune femme lettrée et d’un agriculteur bourru. Deux solitudes que tout sépare.
Comment ensuite manquer une revisitation ironique et musicale de la figure de Don Juan? Ce personnage‐clé́ chez Mozart et tant d’autres est désormais vu par les regards croisés de son cercle familial. Dans le cinéma attachant et humaniste d’un Robert Guédigian, le repas entre proches occupe souvent un rôle pivot. C’est aussi le cas chez la jeune dramaturge genevoise Fanny Gurunlian pour Crocodiles. Soit une mordante et enlevée comédie de mœurs qui s’inscrit possiblement dans le sillage des pièces de Yasmina Reza et Florian Zeller.
Enfin, le Théâtre sis à Cologny si proche de Genève‐Cité vernit une déclinaison de contes dominicaux pour tous les âges. Faisant confiance à des équipes aguerries et bien connues des publics, sa directrice, Aline Gampert, coureuse de fond à la vie, nous souffle quelques étapes de son Théâtre de 60 places qui a tout de la foulée programmatique d’une grande scène.
Quel est l’esprit vos saisons résumé pour la nouvelle par ces mots: «Un théâtre vivant. Un cœur battant»?
Aline Gampert: Avec le studio SO2 Design, nous élaborons des lignes graphiques sur 3 saisons. Accompagnée des danseurs Yera Moreno et Léonilde Torrini, celle-ci nous plonge au milieu d’un univers onirique et poétique, permettant de déployer pleinement son imaginaire.
Au Crève-Cœur, ce qui compte avant tout, c’est l’accessibilité de la programmation pour tous les publics. Chaque personne doit se sentir la bienvenue sans prérequis culturels ou autres pour saisir et apprécier ce qui se déroule sur le plateau.
Le Crève-Coeur est, à mon sens, un lieu profondément humain. Il est fait de liens et d’émotions et permet une rencontre intime avec le spectacle vivant. C’est avant tout un théâtre de création qui privilégie l’engagement de compagnies locales et régionales.
La proximité est telle entre la scène et le public, que cela demande de s’orienter clairement vers des choix de thématiques précises. Il y a des formes qui ne fonctionnent pas sur la scène du Crève-Cœur. Par exemple, l’extrême violence, tant physique que psychique, est bannie de notre Théâtre. Le public n’aurait aucun moyen de créer la distance nécessaire qui permettrait de supporter tel ou tel acte qui se passerait sous ses yeux. En définitive, c’est un lieu hautement poétique.
La découverte fait aussi partie de l’ADN du Crève‐Cœur. Crocodiles (du 5 au 31 mars 2024, n.d.l.r.) fut imaginée par son autrice lors d’un stage d’écriture au Théâtre AmSramGram, alors dirigé par Fabrice Melquiot, qui y a immédiatement trouvé beaucoup de potentiel. La pièce a d’abord fait l’objet d’une première lecture à AmStramGram pour être au final montée au Crève-Coeur par Julien George.
Jeune avocate, Fanny Gurunlian s’est rendu compte que tel ne serait pas son destin. Elle met alors le cap vers l’écriture. Et sa pièce d’être rapidement repérée par plusieurs directions de Théâtres parisiens. La comédienne Mariama Sylla, qui m’a proposé ce texte, décrit cette pièce comme «une comédie de mœurs grinçante qui décortique subtilement les rapports humains». Comme un clin d’œil, elle fait aussi le lien avec l’atmosphère des pièces présentées à l’époque à la télévision dans le cadre du programme Au Théâtre ce soir. Plus proche de nous, l’écriture se rapproche aussi de l’univers de Florian Zeller, dont Le Crève‐Cœur a programmé au début de 2023 L’Envers du décor, dans une mise en scène de Didier Carrier.
Eric Devanthéry, qui met en scène La Comédie des erreurs, a un long compagnonnage avec le grand William Shakespeare. En atteste encore Les Joyeuses Femmes de Windsor qu’il monte au mois de juillet en plein air au parc de Vandœuvres. Pour La Comédie des erreurs et à l’occasion de cette création, Eric Devanthéry, artiste complet, propose une nouvelle traduction de cette courte pièce, encore trop peu méconnue du grand public. Le jeu d’acteurs acrobatique et ses quiproquos, entre les deux jumeaux et leurs deux valets respectifs, feront sans aucun doute des étincelles sur la scène du Crève‐Cœur, tant elle est en étroite capillarité avec son public.
Eric Devanthéry semble posséder une facilité naturelle à approcher les grands auteurs du répertoire, en alliant magnifiquement le détail de la fable. Ceci dans le souci de la rendre accessible et jubilatoire à un large public. De plus, des Joyeuses Femmes de Windsor à La Comédie des erreurs, il permet à certain.es de ses interprètes de jouer une pièce puis l’autre, ce qui favorise une belle continuité. Enfin, monter un Shakespeare dans un Théâtre aussi petit que le nôtre, tient du défi et c’est très stimulant!
Oui, c’est une jolie façon de créer un lien avec la plus jeune génération, qui est aussi, rappelons-le, le public de demain! L’idée est de proposer à nos spectateurs-rices d’aller au théâtre en prenant un enfant par la main.
Le lien aux activités pour les enfants ne vient pas de nulle part. Au‐delà de sa programmation, Le Crève‐Cœur fondait en 1990 Les Ateliers-Théâtre du Crève-Cœur destinés aux enfants, adolescent.es et plus récemment aux adultes. Nous comptons actuellement une centaine d’élèves. Les spectacles de fin d’année sont présentés en juin sur la scène du Crève-Cœur. Ce mois festif est introduit par un spectacle Jeune Public que nous accueillons pour 9 représentations, principalement destiné aux écoles primaires de Cologny.
Ces matinées de contes, elles, seront testées pour la première fois cette saison. La magie des contes pour initier les enfants à la magie du théâtre et on se réjouit! Trois dimanches matin, trois conteuses s’installent dans le décor du spectacle à l’affiche. En novembre, on y entendra notamment des histoires croustillantes et savoureuses autour de la pâte et de la farine.
Oui, ce spectacle créé en janvier dernier au Théâtre 2.21 (Lausanne) est une performance boulangère, pour laquelle j’ai eu un véritable coup de cœur. Le Chant du Levain est une incroyable expérience multi-sensorielle où le comédien Michel Sauser, autrefois boulanger et artisan pâtissier, nous emmène dans l’univers du pain.
Lors des confinements successifs liés à la pandémie, il a eu envie de se remettre à faire du pain et de la pâtisserie, créations qu’il postait quotidiennement par des photos et des vidéos sur les réseaux sociaux. Fasciné par sa démarche, le vidéaste Nicolas Wintsch y a vu un acte artistique. Avec la collaboration du comédien Benjamin Knobil et du musicien Pierre Audétat, ils ont alors créé un spectacle totalement original, qui a déjà séduit un grand nombre de personne. L’opus nous rappelle que la saveur du pain est aussi dans sa croûte. C’est une manière ludique et partageuse de vivre l’artisanat, en réfléchissant aux circuits courts, inversement au pain industriel et à leurs farines. C’est un retour aux sources et à nos valeurs premières. L’idée, lors de la venue de ce spectacle au Crève-Coeur, sera de collaborer avec les artisans boulangers et le monde agricole de la région.
Georges Guerreiro, metteur en scène du spectacle, est un habitué des adaptations de textes non‐théâtraux. C’est le récit touchant d’une rencontre entre deux personnes n’ayant à priori rien à voir l’une avec l’autre. Cette comédie romantique confronte des destinées contrastées. Une femme et un homme se croisent au gré de leurs venues au cimetière et finissent par créer un lien au travers du deuil. Entre ces deux êtres marqués par la vie, on assiste à la naissance d’une passion.
Je passe régulièrement au cimetière pour visiter mon père Bénédict Gampert, décédé en 2007. Ces lieux sont baignés d’un calme profond. Ils sont à la foi silencieux et rempli d’énergies très fortes. Si les deux protagonistes de ce récit parviennent à se connecter, c’est sans doute aussi grâce à cet endroit propice à la méditation et au retour sur soi. C’est un lieu où tous nos sens sont éveillés et avec une grande pureté.
Leana Durney et Davide Autieri, co-fondateur de la Cie Comiqu’opéra, savent à merveille revisiter, interroger et détourner certains canons de l’opéra. À travers leurs créations, cette compagnie a depuis toujours l’objectif de rendre cet art profondément populaire. C’est aussi entre eux et nous un long compagnonnage puisqu’ils sont déjà venus à trois reprises au Crève-Cœur.
La confiance mutuelle que nous avons tissée, me permet, à chacun de leur nouveau passage, de leur donner «carte blanche ».
Ainsi, je me réjouis de découvrir (presque) en même temps que le public La Famille Don Juan, spectacle qui s’appuiera sur deux monstres sacrés du répertoire, Dom Juan de Molière et Don Giovanni de Mozart et ainsi en confondant texte et art lyrique.
Théâtre Le Crève Coeur
Premiers spectacles de la saison:
La Comédie des erreur s
Du 19 septembre au 15 octobre
Contes croustillants - Les Contes du Crève Cœur
Le 26 novembre
Le Chant du Levain
Du 14 novembre au 10 décembre
Programme complet, informations, réservations:
https://lecrevecoeur.ch
