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EMS Spectron: l’image du son d’un autre temps

Publié le 20.09.2021

Contrechamps consacre une partie de son programme La musique et son double du 26 septembre (Salle Frank-Martin, Genève) à un synthétiseur d’images, l’EMS Spectron. La société londonienne EMS – pour Electronic Music Studios – a été l’un des grands créateurs de synthétiseurs de sons du début des années 70. Son VCS 3 a été très utilisé, notamment sur les albums de Pink Floyd, et joué sur scène par Brian Eno (Roxy Music). En parallèle, les studios d’EMS étaient fréquentés par des compositeurs tels que Stockhausen ou Birtwistle.
Développé au cours de cette période faste, le Spectron n’a pas connu comparable destinée, n’étant produit qu’à quelques exemplaires. Des artistes comme Geneviève Calame l’ont expérimenté (son travail sera présenté le 26), il a accompagné le groupe Tangerine Dream en concert, mais il aurait surtout servi dans le domaine de la publicité. Les explications de Flo Kaufmann, ingénieur spécialisé dans les synthétiseurs.

Comment avez-vous découvert l’EMS Spectron?

Flo Kaufmann: Je l’ai découvert dans l’importante collection de pièces technologique de la Haute Ecole d’art de Berne. Je suis ingénieur électronique, spécialisé dans les synthétiseurs audio et vidéo. Je me suis rapproché de l’école via des projets de recherche sur les arts électroniques, sur la sauvegarde et la présentation des œuvres produites dans les années 70. Je m’intéresse à ces technologies depuis 25 ans.



Comment approche-t-on cet instrument?

C’est un appareil assez compliqué. Nous sommes très loin du plug and play. On le met difficilement en marche si on ne comprend pas les bases de son fonctionnement. A Berne, j’avais réussi à le remettre en état. J’en ai ensuite joué pour un festival consacré aux arts numériques, en 2010, à Bâle, et en quelques autres occasions. Il était ensuite retourné dans son dépôt.

On a parfois l’impression que les appareils électroniques de cette période sont plus difficiles à remettre en état que des instruments de l’époque baroque.

Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai eu de grandes difficultés pour retrouver les schémas électriques dont j’avais besoin pour la révision. Retrouver quatre personnes qui ont le même synthétiseur et qui en jouent m’a beaucoup aidé.

Et les œuvres crées avec cet appareil ne sont sans doute pas montrables avec un appareil de nouvelle génération.

Les œuvre de Geneviève Calame des années 70 qui seront montrées à Genève comportent des éléments très caractéristiques de ce synthétiseur. Les diffuser autrement serait sans doute possible, mais cela serait comme une œuvre classique pour piano qui serait interprétée avec un autre instrument.





Quel est le principe de l’EMS Spectron?

L’image proposée réagit au son, elle peut changer de taille, de position, de couleur… L’appareil propose aussi des formes géométriques très simples, des cercles, des demi-cercles, des carrés, que l’on peut lui demander de modifier, et de faire réagir et évoluer avec le son - il s’agit pratiquement des premiers effets vidéo.
Pour une démonstration, j’ajouterais sans doute au dispositif un petit synthétiseur de sons, une caméra externe et un moniteur vidéo d’époque pour alimenter le Spectron en images et le montrer les modifier. Mais à Genève, mon rôle sera plutôt de parler de l’appareil et de ses principes technologiques.

Quel usage de cet appareil avait en tête les concepteurs?

Sans doute le light-show des groupes de rock. Le groupe électronique allemand Tangerine Dream l’a beaucoup utilisé pour au moins une de ses tournées. Il a surtout été adopté par la publicité. Son apparition correspond à des changements qui s’opèrent dans le monde de la télévision, avec notamment le développement des chaînes privées. Il y avait alors une demande importante pour créer des images pour des spots publicitaires.

Qu’est-ce qui explique sa distribution restreinte?

Son prix, très élevé pour l’époque, a été très certainement un frein. Et l’histoire de ces synthétiseurs analogiques a été assez courte, une quinzaine d’années tout au plus. Assez vite, avec les premiers ordinateurs, il a été beaucoup plus facile de générer des images. Les atouts du Spectron étaient alors moins déterminants pour le marché de la publicité.





Quels étaient ces avantages? Et par ailleurs, existe-il un domaine dans lequel, encore aujourd’hui il excelle?

L’avantage prépondérant des synthétiseurs analogiques, c’est leur rapport au temps: une image modifiée par un son l’est en temps réel. Alors qu’avec les technologies digitales, il y a toujours un petit retard, dû au fait que l’ordinateur doit réaliser une opération sur chaque image. Mais d’un autre côté l’analogique est moins prévisible, les résultats peuvent varier en fonction de l’humidité dans l’air, de la température... Ces appareils bénéficient aujourd’hui d’une forme de revival.

Des œuvres peuvent-elles être produites aujourd’hui sur un tel appareil.

Je n’ai pas d’exemple. Mais cela pourrait se faire via une résidence d’artiste dans un centre de recherche ou auprès d’une fondation qui disposerait d’un EMS Spectron.

Existe-t-il aujourd’hui des appareils de conception comparable?

On peut mentionner le Chromagnon, de LZX. Et avec des amis de Fribourg, Michi et Max Egger, nous avons créé un synkie, un synthé vidéo en open source à réaliser soi-même (www.anyma.ch). Il faut des écrans cathodiques, lourds et encombrants, il faut être au minimum trois pour en jouer. Et c’est tellement compliqué que cela reste destiné à un public très restreint!

Propos recueillis par Vincent Borcard

La musique et son double – Ensemble Contrechamps
Le 26 septembre, 17h, à la Salle Frank-Martin, Genève

Renseignements, réservations:
https://contrechamps.ch/date/la-musique-et-son-double-26-09-2021

Programme:
Geneviève Calame, Labyrinthes Fluides (1976) pour le EMS Spectron (projection)

Flo Kaufmann, présentation avec le EMS Spectron

Geneviève Calame, Dragon de lumière (1991) pour ensemble instrumental

Joanna Bailie, A Giant creeps out of a Keyhole (création suisse) pour vidéo, électronique et ensemble – commande de Contrechamps et du Festival Musica Strasbourg

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