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Fin de partie en EMS

Publié le 28.03.2023

Comment regarder la fin de vie en face, prendre en compte ce que représente une existence dans son ultime chemin en EPHAD - l'équivalent de l'EMS en Suisse*, n.d.l.r. -, tel est le pari d’Une Mort dans la famille du dramaturge et metteur en scène britannique Alexander Zeldin, un défi à découvrir du 31 mars au 6 avril à La Comédie de Genève.

Dans ce spectacle plus proche de la fiction que du documentaire, l'artiste mêle comme à son habitude interprètes professionnels chevronnés et non professionnels, dans le souci d’interroger le jeu et le théâtre. Pour cette création, Alexander Zeldin s’est souvenu du décès de son père, et de l'emménagement de sa grand-mère dans la maison familiale avant qu'elle ne soit placée dans un EPHAD et y meurt à son tour. Le travail se développa par des rencontres dans un EPHAD à Saint-Ouen. S’il ne faut retenir qu’une seule réalité de la pièce, c’est le dévouement, le professionnalisme et la bienveillance des deux aides-soignantes noires (Nicole Dogué et Karidja Touré).

Se souvient-on des innombrables drames familiaux des seniors sanctuarisés - 
sous pandémie et sans vaccin -, agonisant en EPHAD, séparés de leurs proches désemparés? La question peut se poser en découvrant Une Mort dans la famille. Cette forme de "Plus vraie la vie" stylisée se déroule donc dans le réfectoire d’un EPHAD et dans la chambre de Marguerite (Marie Christine Barrault). Avec ses pensionnaires partagé.es entre interprètes pro et seniors issu.es de ces établissements ou qui vivent chez eux.elles. A pas comptés, ces résident.es rejoindront le vivant du public pour acter de leur propre disparition.

Rencontre avec Kenza Berrada, à la dramaturgie et la collaboration artistique à la mise en scène.



C’est notamment de ses parents qu’est parti Alexander Zeldin pour l’écriture de sa pièce.

Kenza Berrada: L’auteur et metteur en scène a d’abord écrit la partie de l’intrigue se déroulant au sein de la famille de Marguerite. Il a vécu dans sa chair la fin de vie de son père atteint d’une maladie dégénérative durant deux ans avant son décès. Alexander Zeldin a donc vu, à l’âge de quatorze ans, son père perdre progressivement toute capacité physique.

Sa propre grand-mère australienne a aussi vécu dans un EPHAD anglais et il la visitait. C’est la mère de l’homme de théâtre qui s’est occupée de son époux jusqu’à la fin et a fait revenir sa propre mère d’Australie pour la placer en EPHAD en Angleterre.

Le travail artistique a débuté lors du premier confinement par ce qui n’est pas une forme de théâtre documentaire. En ce sens, il n’y a pas d’éléments dans les dialogues venant de situations réelles. La pièce est donc inspirée du réel sans vouloir en proposer une copie conforme. Sa mise en scène développe plutôt en toute simplicité ce que Zeldin nomme des micro-actions, reconnaissant dans les actes quotidiens une grande dignité. Et leur insufflant une profondeur insoupçonnée.




La pièce entre de manière abrupte dans la déliquescence du corps de Marguerite, la grand-mère et son incontinence.

Que ce soit dans Faith, Hope and Charity et Love, deux autres pièces de Zeldin, ou peut relever l’omniprésence de toilettes dans ses mises en scène. Est donc révélé ce qui traditionnellement n’est guère montré. On croise ainsi dans Love une figure de mère incontinente. La faillite du corps se voit aussi bien chez Marguerite qu’auprès des autres protagonistes résidant en EPHAD, dont l’une est aussi en chaise roulante.

Dans Une Mort dans la famille, l’écriture met comme ailleurs dans l’œuvre de Zeldin, l’accent sur la fragilité, la vulnérabilité, la gentillesse rencontrées lors de nos séjours en EPHAD pour la préparation du spectacle. Il existe alors un souci constant de transmettre un sentiment de dignité tant chez les aides-soignantes que les pensionnaires.





Lorsque Marguerite est d’abord dans sa famille, une certaine confusion règne sur qui doit essentiellement s’occuper d’elle entre les deux enfants et la mère déboussolée.

La question de la prise en charge de Marguerite est centrale. Or, sa fille Alice (Catherine Vinatier), la mère, s’est déjà occupée longtemps de son désormais défunt mari comme proche aidante. Ceci jusqu’à l’épuisement, ayant dû abandonner momentanément toute activité professionnelle avant de la reprendre à raison de deux jours par semaine.

Dans la première partie de la pièce, Alice est à bout. Se tournant vers Marguerite, elle lui dit avoir été longtemps au chevet de son mari, David. Et avoir maintenant besoin de moments à elle pour vivre. Or c’est bien Alice qui trouve la maison de retraite pour Marguerite - cette dernière ayant un patrimoine, c'est son argent qui paie sa résidence à l’EPHAD, Les Cèdres. Mais ce que l’on comprend à demi-mot, c’est que ces fonds ne suffiront pas à couvrir tous les frais. Dès lors, Alice envisage d’augmenter ces heures de travail rémunérées.

Ce genre des situations liées au coût des EPHAD impacte notablement une majorité de familles aujourd’hui. Reconnaissons enfin que ce sont plutôt des femmes qui prennent en charge le devenir des personnes âgées.

Et pour les enfants d’Alice?

Ce que pose la pièce, c’est que des enfants parfois très jeunes - ici un adolescent et un garçon - sont amenés à gérer des situations exigeantes d’encadrement de la personne âgée. Lorsque Alex (Elios Levy), l’adolescent, confie en substance qu’à seize ans il ne veut plus, après le décès de son père, avoir affaire à davantage de morts chaque année, il est dans une forme de rébellion, ne supportant plus la mort qui rôde dans la maison.

Le plus jeune enfant, Olive (en alternance, Aliocha Delmotte et Mona), est dans une grande tendresse envers sa grand-mère et de manière plus fluctuante pour sa mère.





Remontant à la tragédie grecque, le dialogue entre morts et vivants est essentiel dans ce théâtre.

C’est la signature de l’univers théâtre d’Alexander Zeldin où tout le monde fait communauté entrant en communion. Il n’existe ainsi pas de frontières entre les spectateurs.trices et le plateau où le public peut s’installer, pour être vraiment en immersion dans l’histoire. D’où ces moments paisibles de passage d’un monde à l’autre. Certaines personnes sont capables de voir les êtres partir vers la mort alors que d’autres non. Ceci dans une mise en scène qui module alors la présence ou la persistance d’une absence.

Sur le rapport à la mort.

Toute la distribution a un rapport particulier à la mort. Il leur a été demandé de jouer ce qu’elles sont dans une vie très proche de sa fin. Ce mouvement n’avait parfois pour elles rien d’évident. Partant, il a fallu un lâcher-prise conséquent.

Dans sa personnalité, Marie-Christine Barrault, elle, semble avoir développé une certaine distance face à son personnage. Physiquement, elle a un rôle qui lui demande beaucoup. Forte de son professionnalisme au long cours, la comédienne a fait totalement confiance au texte et à Alexander Zeldin. Etant par ailleurs très sensible à la fin de vie depuis longtemps, elle s’est jetée corps et âme dans ce rôle et la pièce.

La trajectoire de son personnage débute par le fait que Marguerite s’enquiert s’il peut rester au sein de la famille. Mais elle se révèle quelque peu insupportable, prompte à faire culpabiliser les autres. L’aide du préparateur physique Marcin Rudy collaborant depuis de nombreuses années avec Alexander Zeldin sur le mouvement a été ici déterminante. Ceci pour moduler le déclin et la faillite du corps, le temps qui passe. Ou comment le corps se transforme après avoir vécu un choc, une chute débouchant sur l’hospitalisation pour Marguerite.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Une Mort dans la famille
Du 31 mars au 6 avril à La Comédie de Genève


Alexander Zeldin, texte et mise en scène - Marcin Rudy, travail du mouvement - Kenza Berrada, dramaturgie et collaboration artistique 

Avec Marie Christine Barrault, Thierry Bosc, Nicole Dogué, Annie Mercier, Karidja Touré, Catherine Vinatier, Elios Levy Et Nita Alonso, Flores Cardo, Dominique de Lapparent, Françoise Rémont, Marius Yelolo Et Aliocha Delmotte, Mona (en alternance)

Informations, réservations:
https://www.comedie.ch/fr/programme/spectacles/une-mort-dans-la-famille 

*EMS: Etablissement médico-social
EHPAD: Etablissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes