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Histoire d’une enfant pugnace

Publié le 01.12.2014

 

Recycler les contes, réinventer les traditions

 

La marionnettiste et comédienne Laure-Isabelle Blanchet signe La Ligne de Chance, co-mis en scène par la Genevoise Julie Annen. Le spectacle emmènera le public dans des contrées tour à tour merveilleuses et dangereuses. Une jeune héroïne fera le guide : Chance. Sa mère est frappée par la maladie et Chance est ignorée par les enfants de son âge dans le village de Trappe-en-forêt. La fillette va découvrir dans la nature tout un monde fantastique. Pour ce nouveau spectacle à voir au Théâtre des Marionnettes de Genève dès le 3 décembre, Laure-Isabelle Blanchet s’est inspirée de la tradition des papiers découpés, pratiquée notamment par l’artiste du Pays-d'Enhaut Johann Jakob Hauswirth. Les enfants ne lui offraient-ils pas des papiers de bonbons pour qu’il en fasse des bouquets colorés au cœur de ses tableaux ? Dialogue avec la marionnettiste Laure-Isabelle Blanchet, qui, elle, cisèle de délicieuses chansons sur une musique qui revisite les instruments suisses traditionnels.

 

Laure-Isabelle Blanchet, qui est votre personnage, Chance ?

 

C’est une petite fille âgée d’environ 7 ans qui vient d’ailleurs. Ses parents sont arrivés dans un village juste avant sa naissance. La famille de Chance est mise à l’écart du village, car son arrivée coïncide avec la fin de l’âge d’or. Cette injustice de l’exclusion de la famille, Chance ne peut l’accepter. Le second événement déclencheur des aventures de la petite fille est la maladie de sa maman. L’enfant part dénicher des herbes médicinales au cœur de la forêt. En cherchant, elle trouve la trappe ouvrant sur le monde du fantastique…

 

Quel a été votre désir initial pour la création de La Ligne de Chance ?

 

A la racine de cette création, il y a l’envie de travailler sur les papiers découpés suisses. C’est une tradition que je connais bien, mes grands-parents maternels étant originaires du Pays-d'Enhaut. Ces tableaux de genre m’ont envoutée par leur dimension éminemment graphique et la poésie tour à tour quotidienne et subtile qui se dégage de ces découpages. Aux découpages anciens, dont des silhouettes et des montées d’alpage signées notamment par Johann Jakob Hauswirth (1809-1971) et Louis David Saugy (1871-1953), répondent aujourd’hui des œuvres contemporaines d'une grande diversité. Le désir est né de convoquer ce matériel pour en faire un spectacle.

 

 

 

 

On décrit souvent les paysages idylliques d’Hauswirth. Mais les conditions de vie réelles des gens de l’époque paraissent très rudes. Ce, comme dans la centaine de contes et légendes suisses qui vous ont inspirée.

 

Des contes comme Le Diamant de la Vouivre, La Boîte aux mille merveilles, Le Loup qui aimait la musique ou Les Âmes du glacier ont connu plusieurs variantes. Ces histoires ont voyagé entre les cantons suisses et les pays, sans auteurs véritablement attitrés. Entre contes, mythes et légendes, ce sont des sources mouvantes qui participent d’une tradition orale. La fable intitulée Les Âmes du glacier ouvre sur une notion de paradis perdu en Helvétie, un âge mythique qui tend à disparaître. Or, du mythologique à l’actualité politique des récentes votations populaires en Suisse, les histoires participent à former l’identité d’un peuple. Si la transmission de ces histoires n’est plus réalisée, alors cette identité peut s’affaiblir et, tendanciellement, mener à une forme de repli identitaire. Dès lors, il me semble important, dans une société où le commercial prend beaucoup de place, de revenir aux sources des identités en Suisse afin de partager, le temps d’une représentation, une histoire qui rassemble et fait sens.

 

Quels autres contes vous ont nourrie ?

 

La Boîte aux mille merveilles raconte les aventures d’une personne qui se promène en forêt. Elle découvre à terre un objet et tente de le ramasser. Ce faisant, le personnage ouvre une trappe qui donne accès à un inframonde. Lequel peut être à la fois intérieur et extérieur, en convoquant, comme souvent dans l’univers des contes, un versant psychanalytique. Ainsi l’héroïne de La Ligne de Chance, passe-t-elle par cette étape de découverte d’un univers intime et inconnu. Autre conte, Le Loup qui aimait la musique parle précisément d’un loup qui symboliserait ce qui nous fait peur de manière profonde. La musique permet, elle, d’affronter ce prédateur légendaire et de le rendre plus inoffensif. Il est intéressant de donner une espérance aux enfants en faisant que les épreuves, qui troublent et génèrent de l’inquiétude, puissent être affrontées victorieusement par le biais de la créativité. Enfin, le dernier conte, Le Diamant de la Vouivre, évoque cet animal mythique qu’il est intéressant de mettre en scène. Il existe sans doute peu de récits de dragons en Suisse. Il s’agit d’un serpent ailé qui porte un diamant sur la tête et qui est l’un des interlocuteurs de Chance. C’est aussi une histoire qui permet de mettre en lumière les phénomènes d’exclusion. La rumeur prête à ce dragon une voracité sans égale. L’animal est pourchassé sans relâche alors qu’il est fait mention dans plusieurs contes que la vouivre ne mange que du lait de lune et de la rosée du matin. Elle est donc persécutée à tort.

 

Propos recueillis par le Théâtre des Marionnettes de Genève

 

La ligne de Chance, du 3 au 21 décembre, au Théâtre des Marionnettes de Genève. Dès 4 ans. Infos et horaires : www.marionnettes.ch

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