Kaléidoscope de récits et formes artistiques
L'imaginaire se mêle à l'enfance, à la nature et à la nuit, notamment au cœur de réinterprétations de contes. Mais il explore également le monde de la téléréalité et des réseaux sociaux comme autant de langages visuels et d'identités en construction. Entre arts de rue, cirque revisité à la manière de Fellini, théâtralité burlesque et révélatrice, poésie et sensibilité, la saison promet une offre incroyablement variée. Joan Mompart, directeur d'Am Stram Gram, nous plonge dans cette diversité à travers un focus sur plusieurs spectacles.
Un texte de présentation évoque une «hauteur d’émerveillement» chez un enfant couché dans l’herbe et regardant les étoiles...
Joan Mompart: Le théâtre nous permet d'établir une connexion avec différentes dimensions. Tout d'abord, un lien avec la verticalité, une forme de transcendance. Ensuite, une relation à l'horizontalité, considérant que chaque individu est égal devant un art scénique qui célèbre l'assemblée et le collectif.
Ne sommes-nous pas tous fondamentalement dignes du théâtre? Cette relation transcendantale au spectacle se traduit par une communion émotionnelle palpable dans le public et entre le public et les artistes, une possibilité d'émerveillement.
Bien que le théâtre repose principalement sur les mots, il cherche souvent à s'exprimer de manière universelle, à travers la physicalité. C'est dans cette optique que la pièce chorégraphique Mire, qui a déjà été présentée à Am Stram Gram au gré d’une version pour adultes, a été adaptée pour un jeune public, avec des couleurs vives et pop pour les vêtements des interprètes. Cette démarche vise à mieux connecter avec les générations plus jeunes.
Ce spectacle unique et captivant invite le spectateur à entrer dans un état méditatif, à suspendre le temps et à s'élever au-dessus du tumulte quotidien. Les mouvements des corps, semblables à un kaléidoscope anatomique ou à un zootrope, ouvrent la voie à une culture des possibles.
J’ai une fille âgée aujourd’hui de onze ans, qui a autrefois été pour le moins troublée, voire choquée par le cours d’éducation sexuelle de son école pourtant envisagé comme participant à un développement positif et harmonieux de l’enfant. Elle s’interrogeait sur le bien-fondé de ce type de cours au sein de l’univers scolaire sur le mode parfois de la répulsion.
Je me suis alors interrogé en dialogue avec elle sur son ressenti négatif face à cet enseignement. Pour parler aux enfants et jeunes ados de ce sujet parfois délicat si ce n’est controversé, je me suis tourné vers Antoine Courvoisier et la compagnie Mokett, dont un spectacle aux Grottes abordait sans tabous plusieurs impensés de la sexualité. De là est née l’idée de Dégueu, qui démarre comme un cours d’éducation sexuelle - aujourd’hui on dit «Histoire de la vie» -, cours qui déraille et nous entraîne dans un docu-fiction foisonnant, drôle, théâtralement hyper ingénieux.
Aux côtés d’un autre grand conte renouvelé par le tandem formé de Sophie Gardaz et Michel Toman, Seule dans ma peau d’âne (du 2 au 4 février 2023) d’Estelle Savasta, le spectacle signé Igor Mendjisky, Gretel Hansel et les autres s’inscrit dans une passionnante rêverie menée autour des contes classiques. On y trouve une manière pertinente de se connecter avec des histoires dont l’adaptation contemporaine participe à restituer la part ancestrale. Loin d’être figés dans une forme arrêtée, les récits et histoires évoluent, se modifient et s’adaptent au gré des époques.
La fable Gretel Hansel et les autres se situe dans un avenir proche. Les gens ne mangent alors plus d’aliments mais des repas sous formes de pilules. Peut-être pour échapper à ce monde qui a perdu sa saveur, deux enfants se sauvent. L’objet théâtral d’Igor Mendjisky - qui déploie une profusion d’outils théâtraux - poétise les problèmes et défis contemporains à travers un texte alliant la part archaïque du conte et sa mise au jour contemporaine à travers une enquête policière.
Oui. Prenez l’Agora intergénérationnelle sur l’eau et l’alimentation (17 et 19 novembre). Elle interroge ce qui nous fait nous arrêter quotidiennement à trois ou quatre reprises par jour autour d’une table. Il s’agit ici de s’interroger sur ce que l’on mange, ses origines, nos pratiques, les processus de transformation et de diffusion des aliments - avec évidemment le souci que nous déployons dans la plupart de nos Agoras de nos modes de consommation contemporains tout à la fois sur notre santé et sur la planète.
Mais retrouver aussi - à travers des performances, des jeux, des ateliers, des repas partagés, le temps de trois jours de grande effervescence dans nos murs - une relation affective à ce que l’on ingurgite sans y penser.
Cosignée Caroline Bernard et Gaël Siller, The Loft Theory (du 17 au 25 novembre) explore télé-réalité, réseaux sociaux et cinéma du réel.
Inspirée dans son titre de la célèbre émission de téléréalité Loft Story (2001-2002), la pièce jongle jusqu’au vertige entre le vrai et le faux, rendant leurs limites respectives indiscernables. Les ados se voient ainsi ménager des espaces surprenants, technologiques, à l’intérieur desquels ils racontent, sans filtre, leur quotidien, leur vécu, leurs ressentis. Il se dégage de l’ensemble une douce altération de la réalité par un ensemble de témoignages, performances et textes.
Vous accueillez une icône de la scène suisse, Martin Zimmermann (metteur en scène, chorégraphe et acteur physique) pour Ciao Ciao (du 12 au 28 janvier 2024) avec notamment la circassienne jurassienne Eline Guélat. Pour une plongée dans un monde à la Fellini.
Au côté du ballet du Theater Basel, l’artiste multiprimé a réalisé une première version de Ciao Ciao qui est ici entièrement recréée pour le jeune public Sur scène, une forme de songe cauchemardesque se déploie autour de Gelsomina, figure lunaire et emblématique du film de Fellini, La Strada. L’atmosphère étrange et poétique se révèle parfois proche d’Alice au Pays des Merveilles et du cinéma de Tim Burton.
Ce geste permet aussi de collaborer avec des artistes de Suisse alémanique. Pour ce spectacle parmi d’autres, les temps de représentations ont été sensiblement augmentés. Je souhaite ainsi pouvoir les partager sur au moins trois semaines ce qui permet de les bonifier ainsi que de multiplier les chances d’une tournée, au-delà de leur présence à l’affiche d’Am Stram Gram.
Cette création est l’occasion pour le tandem formé de Marjolaine Minot et Günther Baldauf (associé ici à Sam & Fred Guillaume), qui crée et tourne beaucoup, de trouver un espace pour se réinventer au fil d’une production conséquente en termes de moyens et de temps. Leur synopsis est énigmatique. Changeant d’apparence, une chaise nous immerge au cœur d’un questionnement métaphysique.
C’est une réalisation en trompe-l’œil comme souvent chez ces artistes. Dans l’une de leurs précédentes pièces, La Poésie de l’échec, nous étions confrontés à la matière, aux bruitages en parfaite synchronie avec les gestes et les non-dits dans un univers parfois voisin de la bande dessinée et du film d’animation. Ce nouvel opus nous ouvrira sans doute à des mondes intérieurs. Nous serons possiblement dans une forme d’introspection acérée, ludique voire burlesque du regard même des protagonistes.
Saison 23-24 du Théâtre Am Stram Gram
Prochains spectacles:
Foreshadow, d'Alexander Vantounhout, les 9 et 10 septembre (dès 12 ans). Dans le cadre de La Bâtie
Dégueu, d'Antoine Courvoisier, du 29 septembre au 8 octobre (dès 9 ans)
De Bonnes Raisons, Cie La Volte-Cirque, du 14 au 20 octobre (dès 8 ans)
Saison complète, informations, réservations:
https://www.amstramgram.ch/fr
*Jouet optique (1834) basé notamment sur la persistance rétinienne, le zootrope donne l'illusion de mouvement chez un personnage dessiné.