La meilleure version de vous-même?
Fuyant le gag formaté et la pochade, La Théorie du Bilboquet choisit une approche visant à déséquilibrer doucement certains dogmes du coaching. Ce feel good theater les tirent imperceptiblement vers le loufoque et l’inattendu. Contrairement à l’humoriste Blanche Gardin, il ne fait pas du stand-up avec vraies fausses questions au public. Rencontre avec un artiste qui résiste par l’humour à la tyrannie soft du bonheur obligatoire.
Sur le titre, La Théorie du bilboquet, qui est aussi une méthode de travail pour le comédien que vous êtes.
Léo Mohr: Lors d’une déménagement, j’ai retrouvé par hasard un bilboquet que mon père m’avait donné dans mon enfance. Ayant oublié que j’adorais cet objet en forme de jeu d’adresse mettant en jeu la recherche d’équilibre et la coordination. Honnêtement, l’intitulé de cette création préexistait à l’idée et l’écriture de cette satyre roulant autour des stages de bien et mieux être. Etant une personne mélancolique, j’ai toujours été intrigué par toute une palette de coachings en développement personnel, le langage et les méthodes tant psychiques que corporelles mises en mouvement par cet accompagnement.
Le jeu du bilboquet et le coaching?Par essence, le bilboquet c’est de l’équilibre allié à la persévérance. Pour le spectacle, j’ai recouru à des grandes phrases, sentences et maximes ouvertes. Qui sont le moteur de certains coachings dans leur dimension de persuasion. Or elles n’expriment souvent rien de réellement pertinent. Et peuvent être interprétées de multiples manières. Ainsi celle-ci notamment que j’ai retenu: «Après l’effort, essaye encore et persévère d’une autre manière.» On peut donc toujours parvenir à atteindre un but en essayant continument et persévérant.
Votre approche?Si ces coachings peuvent susciter des dommages psychologiques, notamment dans le poids qu’accorde la personne coachée à ce qui lui est dit et prôné voire dicté, il s’agit ici de mobiliser l’humour. Mais aussi la distance, le décalé et une forme d’Absurde et de poésie du quotidien que j’affectionne particulièrement. Dans le spectacle, je joue une version plus riche dans le bien être, améliorée, augmentée du Léo Mohr que je suis. Mon personnage a fait l’Ecole internationale, voyagé partout dans le monde et s’exprime avec un accent anglophone. Il a aussi accompli tous ses rêves d’enfance: être coach de vie, astronaute et… boulanger. Je fais d’ailleurs mon propre pain tous les matins.
Oui. Je demande à une personne dans le public qu’elle était son rêve d’enfance sur ce qu’elle voulait devenir. Et l’aider à ce que nous le réalisions ensemble avec d’autres personnes du public. C’est un exercice ludique. J’aime bien ces mots du poète et dramaturge irlandais William Butler Yeats: «Marchez doucement, parce que vous marchez sur mes rêves.» Or c’est une tirade que l’on peut aisément instrumentaliser dans le cadre d’un coaching. Comme celle de Samuel Beckett: «Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Echoue encore. Echoue mieux.» Ce que je questionne jusqu’à l’absurde, c’est le fait de suivre aveuglément ces désormais conseils programmatiques de vie et d’attitude pour cabinet de coaching. Au fond, qu’est-ce qui atteste que pour se distinguer dans cette société, il fallait d’abord échouer?
Et pour l’enfant en nous?Le conseil voire l’injonction de se reconnecter à son enfant intérieur revient à la mode comme axe pour vendre un stage de mieux être. A mes yeux, il existe une part de vérité dans cette volonté de renouer avec l’enfant oublié que nous fûmes. Elle peut nous amener dans des endroits incohérents et intuitifs essentiels. Au plateau, c’est au détour d’un monologue théâtral, de se retrouver avec son poing en bouche. Soit une envie tout enfantine. Si le spectacle fait une critique du coaching, il en soulève aussi certains points et fonctions utiles.
Comment avez-vous collaboré avec Chase Brantley?Juste avant la pandémie, j’ai travaillé avec Chase Brantley aux Etats-Unis une version basique de cette création. Il en est ressorti l’intention de ne jamais se moquer d’un stage de bien être, où le public pourrait se sentir déstabiliser à l’issue de la représentation. Il s’agit de dévoiler les artifices de charlatans – il y en a – vendant un bonheur factice. J’ai fait huit spectacles avec lui en Amérique dont When I Was Zorro, So Happy For Christmas, Fruit Salad.
Il y a ce proverbe africain présent dans l’une de ses créations: “If you want to go fast, go alone. If you want to go far go together.” Dans ce type de théâtre d’humour en Amérique, où les subventions et soutiens financiers n’existent pas, il faut simultanément aller vite, monter un spectacle en quelques jours. Et aller loin, c’est-à-dire le jouer le plus longtemps possible, parvenir à séduire un auditoire. Cela m’a beaucoup appris sur ce qu’il est souhaitable et possible de faire ou non au plateau en quasi-immersion avec le public.
Les grandes messes d’un pape du développement personnel, l’Américain Tony Robbins. Lors d’un voyage, je l’ai rencontré à San Diego, en Californie. Controversé, il a conseillé Présidents, personnalités politiques (dont Nelson Mandela), des stars et chefs d’entreprises dans le monde. Il a sans doute démocratisé l’usage de la Programmation Neuro-linguistique (PNL).
Son message en résumé?Il affirme pouvoir nous faire trouver la porte pour notre développement personnel et nous aider à en façonner la clé. Il y a chez Robbins l’illusion de donner des outils, en quelques heures, pour la connaissance de soi. Dans l’objectif de faire des personnes les meilleures analystes d’elles-mêmes. Je reste parfaitement incrédule. Mais si des gens s’y retrouvent, loin de moi l’idée de les critiquer.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans le jeu de Robbins?La façon douce, avenante puis tranchante et provoquante dont il induit la personne à trouver elle-même sa solution a constitué un moteur lointain de certaines atmosphères du spectacle. Mais je reste fondamentalement clown et bouffon. Et donc plus bienveillant, joueur et pas manipulateur pour un sou. Il s’agit de préserver le rire, la distance, le chant en commun pour dire ce que l’on a enfoui ou que l’on ne reconnait peut-être plus en soi. Sans croire nécessairement au bonheur obligatoire et au culte du bien-être. Le théâtre, ça pose des questions. Sans marteler des réponses toutes faites.
Chacun.e reste fondamentalement libre de se forger sa propre opinion. Je joue sur l’inattendu, l’impromptu, l’accident, le côté artisanal et bricolé tout en étant très travaillé. L’improvisation aussi, parfois en fonction des réactions du public. L’essentiel reste de passer un bon moment ensemble.
La Théorie du Bilboquet
Ecrit, mis en scène et interprété par Léo Mohr et Stanley Robbins
Du 20 au 29 mai 2022 au Théâtricul, Chêne-Bourg
Informations, réservations:
https://theatricul.net/11429-2/